mercredi 18 mai 2011

Chimères, Jan FABRE

 Chimères
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Il faut faire vite : une nouvelle exposition de Jan Fabre est à voir à la galerie Daniel Templon à Paris et elle ferme ses portes le 21 mai. Je ne pouvais, évidemment, pas faire l'économie de cette visite étant donné le titre que Jan Fabre a donné à son expostion : Chimères. Ici, pas de squelette mais nous sommes dans les entrailles de la boîte crânienne. Nous connaissons l'attrait exercé par le cerveau dans l'œuvre de l'artiste.
Des pièces en céramique représentant des cerveaux chimérisés sont montrées de manière somptueuse sur des socles de bois soignés, enchâssés dans de hautes vitrines verticales, le tout disposé selon un alignement régulier et lumineux..
   
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 Ici la chimère consiste à prendre comme dénominateur commun le cerveau humain - à l'échelle précisément humaine- extrait du crâne et posé soigneusement sur un socle de bois naturel et d'y greffer un autre élément emprunté  à une autre partie du corps : yeux, pieds (chaussés), ailes (corps animal) ou bien d'une tout autre nature (croix, arbre miniature, figure humaine, etc.)
   
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 Il semble que ces hybridations résultent d'une déclinaison poétique autour d'un objet essentiel, fondamental, source et générateur des sentiments, de l'intelligence, de la perception, de la création, de la mémoire et donc de la transmission : le cerveau humain. 
   
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 Le cerveau est multiplié, circule d'une vitrine à l'autre, encombré d'excroissances et de variations. La matière est fraîche, les couleurs sont vives comme si l'extraction de la boîte crânienne était récente. À la manière d'une relique, il est présenté de manière sacralisée. Il existe une sorte de collusion ici même entre le corps et l'œuvre d'art.
 
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 Dans cette exposition Jan Fabre présente des sculptures mais également des photographies accompagnées de dessins, plus petits, placés juste à côté, qui sont autant de commentaires ou d'évasions (ci-dessus). Ces photographies montrent des portraits d'hommes chauves cadrés à la limite du regard et dont la tête est surmontée d'un chou-fleur. La matière du légume s'apparente visuellement à celle du cerveau humain. Cette mise en scène du cerveau ou de son substitut visuel nous invite à considérer alternativement les éléments fixés sur les cimaises et les sculptures dans un rapport qu'on ne manquera pas d'établir entre le dedans et le dehors : dans un premier temps (la sculpture), le cerveau est extrait des os du crâne (disparition du squelette) ; dans un second temps (la photographie), le cerveau, sous une forme végétale, semble s'extraire lui-même de la porosité d'un crâne chauve et lisse qui rappelle celui du squelette. Je vous l'avais dit : pas moyen de l'éviter ce squelette...

         
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Chimères, une exposition de Jan Fabre à la Galerie Daniel Templon à Paris, du 14 avril au 21 mai 2011.
           
           

Commentaires

Bonjour,
c'est dificile de faire un commentaire après le spécialiste...surtout pour une néophyte!
Aussi je vais essayer de me rappeler mes premières impressions, en entrant dans la galerie.
Ce qui m'a frappé, c'est le décalage entre l'ordre de la présentation, la pûreté de ligne des vitrines, la couleur neutre du bois clair, L'aspect "cossu", tout cela est digne d'une expo de sciences naturelles du Jardin des plantes ...Le"contenant"crée donc une atmosphère naturaliste  asceptisée.
Le "contenu" très étonnant  m'a amusé :L'aspect très réel lié à la plastique et aux couleurs mis en scène avec d'autres parties  du corps très symboliques.Les différents yeux par exemple créent des impressions d'intelligence ou d'états émotionnels divers. Chimère génétique.
La vue du cerveau même  représenté est toujours impressionnante ,on le connait si peu ...il est tout pour nous, il inspire le respect .
Mais on va plus loin puiqu"on trouve de vieilles galoches d'enfant et là on passe donc à une chimère habillée...Ne dit on pas que "lorsqu'on n'a pas de tête ,il faut des pieds"?! Cette pièce est sympathique, par toutes les connections qu'elle entraine entre le corps et l'esprit. La randonneuse y verra une chimère poétique entre le corps et la nature, qui fait que l'on aborde le monde qui nous entoure par tous les élements de notre être, de la ...tête aux pieds... Les 5 sens, la réflexion, mais auusi les sensations physiques dans le  mouvement, l'effort,etc..j'ai aussi pensé à  un poème de Rimbaud ,et bien sûr à Rousseau et ses "Rêveries d'un promeneur solitaire"...
On pourrait continuer à disserter car le sujet est passionnant mais alors l'artiste ne finirait il pas par allumer un  feu dans notre cerveau?





Commentaire n°1 posté par pascale le 24/05/2011 à 09h22
Merci pour ce commentaire sensible qui adopte un point de vue riche et singulier ; vous voyez,  pas la peine d’être « spécialiste » pour apprécier le travail d’un artiste comme celui-là ! Vous avez donc vu l’exposition … C’est bien (j’ai vu assez peu de comptes rendus de cette expo). Effectivement, la remarque concernant le dispositif de présentation très ordonné, quasiment scientifique, est juste.
Réponse de espace-holbein le 25/05/2011 à 16h32
           

dimanche 15 mai 2011

vendredi 13 mai 2011

Sirènes

Chimères
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Tout au long du temps, les sirènes changent de forme. Leur premier historien, le rhapsode du douzième livre de l’Odyssée, ne nous dit pas comment elles étaient ; pour Ovide, elles sont des oiseaux au plumage rougeâtre et au visage de vierge ; pour Apollonios de Rhodes, le haut du corps est femme, et le bas, oiseau marin ; pour le maître Tirso de Molina (et pour l’héraldique), «moitié femmes, moitié poissons.» Leur genre n’est pas moins discutable ; le classique dictionnaire de Lemprière dit qu’elles sont des nymphes, celui de Quicherat qu’elles sont des monstres et celui de Grimal qu’elles sont des démons. Elles résident dans une île du Ponant, près de l’île de Circé, mais le cadavre de l’une d’elles, Parthénope, fut retrouvé en Campanie, et donna son nom à la célèbre ville qui porte maintenant celui de Naples, et le géographe Strabon vit sa tombe et fut présent aux jeux gymniques qui se célébraient périodiquement pour honorer sa mémoire.
 L’Odyssée rapporte que les sirènes attiraient et perdaient les navigateurs, et Ulysse, pour entendre leur chant et ne pas périr, boucha avec de la cire les oreilles des rameurs et ordonna qu’on l’attachât à un mât. Pour le tenter, les sirènes lui offrirent la connaissance de toutes les choses du monde :

   Personne n’est passé par ici dans son noir vaisseau sans écouter de notre bouche la voix douce comme le miel, et sans être réjoui avec elle et sans avoir poursuivi son voyage plus sage… Car nous savons toutes les choses : les travaux infligés aux Argiens et aux Troyens dans la vaste Troade par la volonté des dieux, et nous savons tout ce qui arrivera sur la  terre féconde. (Odyssée, XII.)

 Une tradition recueillie par le mythologue Apollodore, dans sa Bibliothèque, conte qu’Orphée, sur le navire des Argonautes, chanta avec plus de douceur que les sirènes, et  que celles-ci se précipitèrent à la mer et furent transformées en rochers, car leur loi était de mourir quand quelqu’un ne subirait pas leur charme. Le sphinx aussi s’élança d’un sommet quand on devina son énigme.
 Au VIe siècle, une sirène fut capturée et baptisée au nord de Galles, et elle figura comme une sainte, dans certains calendriers, sous le nom de Murgen. Une autre, en 1403, passa par une brèche dans une digue, et habita Haarlem jusqu’au jour de sa mort. Personne ne la comprenait, mais on lui apprit à tisser et elle vénérait la croix, comme par instinct. Un chroniqueur du XVIe siècle démontra que ce n’était pas un poisson parce qu’elle savait tisser, et que ce n’était pas une femme parce qu’elle pouvait vivre sous l’eau.
 La langue anglaise distingue la sirène classique (siren) de celles qui ont queue de poisson (mermaids). Les tritons, divinités du cortège de Poséïdon, ont dû avoir, par analogie, une influence sur la formulation de cette dernière image.
 Dans le dixième livre de la République, huit sirènes président à la révolution des huit cieux concentriques.
 Sirène : soi-disant animal marin, lisons-nous brutalement dans un dictionnaire.

 
 
   Jorge Luis BORGES
Margarita GUERRERO

Manuel de zoologie fantastique,

Traduit de l’espagnol par Gonzalo Estrada et Yves Péneau
Christian Bourgois Éditeur, 1957,
1965 pour la traduction française,
1980, p170-171
   
   

  Taqsim

   
   
 
source sonore :
Ensemble Al Kindi,
Taqsim Tar Iraq, parfums ottomans
2006
   
   
   
   

mardi 10 mai 2011

La sirène d'ENSOR

Chimères
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J'avais promis d'éviter les squelettes, voilà qui est fait. Je vais tout de même évoquer un amoureux des squelettes. Il en a peint beaucoup et il s'est souvent squelettisé. Vous vous rappelez sans doute la mystérieuse sirène présentée dans une vitrine sombre à l'occasion de l'exposition James Ensor, au Musée d'Orsay, en 2009 ? Cette sirène appartenait au peintre belge fameux et excentrique. Nous n'étions pas encore au XXIe siècle mais cette chimère, figure à la fois connue et insolite, était de fabrication chinoise. Il s'agit d'une Sirène des Îles Fidji, faite de bois, de poisson séché  et d'un fragment du corps d'un singe. La sirène provient du magasin familial, «un fouillis inextricable d'objets hétéroclites» (comme il le dira lui-même).  Ensor est né en 1860, à Ostende, un petit village de pêcheurs, devenu aujourd'hui une vraie ville. C'est lui, James, le créateur de l'art-Ensor.
 
 
 
 
 
 
 

samedi 7 mai 2011

Benedetta BONICHI

Chimères
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À l'occasion de cette suite d'évocations des chimères (chimères authentiques, métaphoriques ou parfaitement inventées), je m'aperçois que j'ai fait la part belle aux squelettes. Ceci n'était pas réellement mon intention et je prends conscience qu'on se laisse guider, malgré soi, par un imaginaire qu'on ne maîtrise pas totalement. Ceci pour annoncer que je vais encore  montrer des os et des squelettes au travers d'œuvres créées par cette artiste italienne (née en 1968), Benedetta Bonchini qui, après un itinéraire assez atypique , a été amenée à produire ces chimères, mystérieuses et poétiques. Je vais ensuite essayer d'éviter les squelettes.
 
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  Les squelettes font apparemment partie de son monde, de son imaginaire à elle. Un grand nombre d'œuvres qu'elle a produites en témoignent (voir les liens en bas de page). Il va sans dire que le motif du squelette ou du crâne est une composante forte et constante dans toute l'histoire de l'art et qu'à ce titre Benedetta Bonchini s'inscrit  dans un sillage bien tracé. Sa formation philosophique est là pour conforter et étayer ses convictions et sa sensibilité artistique. Mais cette artiste (à l'instar de grands aînés comme Marey ou Muybridge) va utiliser des médiums empruntés au domaine des sciences. Dans le cas de ces images qui sont montrées ici la technique de la radiographie médicale est utilisée à des fins artistiques.
 
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Il ne s'agit pas pour elle d'esthétiser des radios mais de créer le trouble en mêlant différentes catégories. L'imagerie médicale peut-elle prétendre à une dimension artistique ? Il s'agit de la transformer, de lui faire subir une métamorphose, de l'embarquer sur un terrain qui n'est pas le sien et de lui désigner un usage qui contribuera à nous faire réfléchir sur sa place, sur son statut. La première difficulté pour l'artiste a été de produire de grands formats avec une technique (la radiographie) qui ne le permettait pas. Cette contrainte a constitué un premier pas vers une transformation. Les radiographies médicales ont dû être photographiées pour permettre un agrandissement conséquent (en général de l'ordre de 2,50 m de haut) puis imprimées sur papier ou sur tout autre support préparé. Le statut initial de la radiographie ainsi que sa fonction se trouvent ainsi transformés par cette opération. À partir de là une telle image peut s'émanciper tout en gardant certains traits constitutifs de son origine scientifique ou médicale.
 
rontgen 300 La radiographie, rappelons-le, naît en 1895 (l'année de l'invention du cinéma), découverte par Wilhelm Röntgen. L'image qui reste de l'invention  de cette technique s'affirme décidément dans un domaine que l'on pourra qualifier ultérieurement d'artistique puisque c'est une radio représentant la main baguée de sa femme  que l'on conservera dans la mémoire collective (photo ci-contre). Même si cette image n'est pas forcément artistique, elle reste néanmoins affectée par les sentiments et ne peut évidemment être réduite à de l'imagerie médicale comme ce qui sera la règle pour ce type d'objet. Quelques artistes vont profiter de cette opportunité et tenter de détacher l'image radiographique de celle du corps malade.   
 
Benedetta Bonichi va être de ceux-là et mettra en scène des disposifs liés aux codes de la peinture et notamment à ceux de la séduction dans la peinture. On rencontrera dans ses photographies des femmes parées de bijoux, s'admirant dans un miroir ou prenant des poses de séductrices. Mais l'ensemble sous la forme de radiographies. L'extérieur, la surface, l'apparence, la superficie (pour ne pas dire le superficiel) de chaque figure seront contredits par ce que nos yeux seront incapables de voir  naturellement, tous les jours, dans la vie courante, sans appareillage, c'est à dire l'intérieur du corps, l'architecture des os, la forme du crâne (ruinant instantanément tout espoir et toute envie de séduction). L'artiste va placer le spectateur dans une situation plusieurs fois paradoxale : nous l'avons dit, dans un premier temps la radiographie renvoie à la pathologie (ou plutôt à la recherche de pathologies, vers un corps potentiellement malade). Ici les figures montrées expriment le contraire, elles montrent le désir la séduction, voire des formes de sexualités, donc la vie. Le dehors contredit le dedans. Ensuite on devra considérer ce qui relève de la pose et du mouvement : la qualité d'une radiographie repose sur la capacité du sujet radiographié à se tenir le plus parfaitement immobile (jusqu'à ne plus respirer, nous le savons tous pour avoir subi au moins une fois cette épreuve dans notre vie). Ici, les scènes ou les figures représentées supposent la vie donc le mouvement. Un autre paradoxe relèverait de ce qui serait montré à l'excès et qui s'avérerait parfaitement inutile pour ce que l'on attend de la situation décrite et qui peut même se poser de manière contradictoire. Et puis enfin ce jeu d'illusion et de réalité confondues que Benedetta Bonchini va radicaliser en mettant en scène des chimères  que je qualifierai d'objectives (pour être objectivement composites) comme la femme-pieuvre, la femme à tête d'oiseau ou bien la sirène. L'imagerie radiographique fait référence à la science et l'objet observé, qui comporte toutes les apparences de la réalité, n'en est pas moins une invention improbable, un leurre. Néanmoins, Benedetta Bonchini ne ment pas, elle ne cherche pas à abuser de notre crédulité. Elle pose un objet artistique. Un autre artiste va également devenir un artisan d'objets à caractère scientifique, fabriquant lui aussi des chimères dont il va légitimer l'existence dans un corpus beaucoup plus vaste, plus complexe : il s'agit de l'artiste catalan Joan Fontcuberta dont je parlerai sans doute un peu plus tard.   
 
 
 
 Benedetta Bonichi, photographe italienne née à Rome en 1968 .
 
Travaux extraits de la série  FRENOLOGIA DELLA VANITAS 
 photo 1 : La collana di perle, 2002
 photo 2 : La metamorfosi, 2007
 photo 3 : La sirena, 2001
 
 photo 4 : Wilhelm Röntgen, radiographie, 1895
 
 
 
 
 
Benedetta Bonichi
 
d'autres œuvres

 
 
 
 
           

vendredi 6 mai 2011

jeudi 5 mai 2011

Cheval ailé

Chimères
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source
 
 

Commentaires

Mazette, un site comme je les aime, un vrai cabinet de curiosités avec des os partout... Miam ! :-)
Commentaire n°1 posté par Sophie K. le 06/05/2011 à 01h00
Venez donc  partager notre repas...
Réponse de espace-holbein le 07/05/2011 à 06h54

mercredi 4 mai 2011

mardi 3 mai 2011

lundi 2 mai 2011

Siamois

Chimères
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Ectopagus

source : Collection d'images d'anomalies congénitales issues de Human Monstrosities de Barton Cooke Hirst (1861-1935) et George Arthur Piersol (1856-1924), 1891-1893.
 Mütter Museum: Historic Medical Photographs
 
 
 
 

Commentaires

Ce qui est à toi est aussi à moi.
Commentaire n°1 posté par PhA le 06/05/2011 à 21h13
Ce qui me me meut m'émeut.
(enfin non, il ne s'agit ni de chat ni d'autruche)
Réponse de espace-holbein le 07/05/2011 à 07h01

dimanche 1 mai 2011

L'enfant à la queue

chimères
Le docteur Nédellec, en poste en Indochine, avait découvert un petit Chinois de huit ans, enfermé avec ses parents à la prison  de Saïgon, et qui possédait une queue de douze centimètres. La photographie de l'enfant prise par Nédellec et diffusée dans le monde entier donna un énorme retentissement à sa communication.




Martin MONESTIER
Les Monstres,
Éditions du Pont Neuf, 1980, p218




photographie : p219
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Commentaires

Dans une introuvable BD d'Imagex, Colonie de vacances, les enfants dont la queue pousse - très semblable à celle-ci - acquièrent le pouvoir de léviter au-dessus du sol. Mais ce n'est pas facile.
Commentaire n°1 posté par PhA le 06/05/2011 à 21h13
Faute de pouvoir essayer, je n'ai pas d'opinion sur le sujet (mais je veux bien vous croire).
Réponse de espace-holbein le 07/05/2011 à 06h59