samedi 29 septembre 2012

Joana Vasconcelos, Versailles

Joana Vasconcelos, Versailles
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L'exposition des travaux de Joana Vasconcelos se termine demain. Il aurait fallu avoir le temps d'en parler comme de tant d'autres belles choses vues ces deux derniers mois. Je retiens cette pièce, Golden Walkyries, pour montrer à quel point Joana Vasconcelos sait à la fois exister et intégrer l'espace qui lui est confié (à la différence -peut-être- des artistes qui l'ont précédée). Joana Vasconcelos produit ici une œuvre magistrale qui montre que l'art contemporain peut prendre toute sa place au sein d'une institution des plus classiques. Je me prends maintenant à rêver d'une Joana Vasconcelos à qui l'on proposerait d'occuper la nef du Grand Palais dans le cadre de l'opération Monumenta...
 
 
   
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Joana Vasconcelos


château de Versailles

19 juin 2012 - 30 septembre 2012
 
   


Commentaires

Monumenta, qui je crois, n'aura plus lieu, pour cause de restriction du budget...
Avez-vous vu Madame Henriette jouant de la viole de gambe? 
Commentaire n°1 posté par Zoé des Zibelines le 30/09/2012 à 00h19
La crise...
Pour ce qui concerne Madame Henriette, j'ai bien tendu l'oreille mais c'est le bruit des crépitements des appareils photo des touristes qui dominait.
Réponse de espace-holbein le 30/09/2012 à 16h13          

dimanche 9 septembre 2012

Laurent Grasso, URANIBORG

Laurent Grasso, URANIBORG
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  À la manière du faucon muni d'une petite caméra et que l'on aura lâché là-haut, tout là-haut, dans l'immense paysage, il sera possible d'imaginer la visite de l'exposition de Laurent Grasso présentée actuellement au Jeu de Paume à Paris. 
           
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Le dresseur de faucon met en place un dispositif strict, utilise un appareillage sophistiqué au sein duquel l'animal est une pièce importante, certes, mais une pièce parmi toutes les autres; les gestes sont précis et donnent la sensation d'avoir été soigneusement intégrés par le rapace. Ce dispositif est une sorte de rituel et dès que l'oiseau est lâché, la caméra montre des images d'une immense liberté faites d'à-coups, de plongeons, de remontées, de piqués, de zigs-zags, de longues vitesses vertigineuses et décline un paysage saccadé, majestueux, parfois habité, fait d'urgences où le désir de  contemplation est immédiatement remis en cause par le plan qui suit. À la lenteur et à la majesté des préparatifs succède la vive intelligence débridée d'un espace dont la vision semble anticiper les reliefs.
           
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Cette rigueur du dispositif nous est imposée dès que l'on pénètre l'espace de l'exposition, fait de longs couloirs sombres et hauts, percés latéralement de fenêtres plus ou moins lumineuses ou croisés, à angle droit, d'autres couloirs, également noirs et étroits, qui mènent à des salles de projection. Ces découpes dans les murs font découvrir des espaces parallèles où sont installés dans la pénombre tantôt des objets mystérieux, souvent précieux (comme des livres rares, des maquettes, des miniatures anciennes ou bien des tableaux), tantôt de longues inscriptions de néon blanc ou parfois même, des projections colorées, tachistes, sibyllines,  placées au ras de notre regard et qui vont s'avérer être des détails de l'envers des films de l'artiste.
           
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  La sensation est que tous ces objets entrent en correspondance, et particulièrement lorsque l'on s'installe et que l'on prend le temps de regarder les courts films qui sont présentés dans les cinq salles de projection.
Le premier de ces films est consacré aux jardins de Bomarzo qui est une petite commune du centre de l'Italie et qui a la particularité d'abriter  le "Parc des Monstres". D'énormes sculptures de pierres taillées directement dans le rocher figurent une série de personnages terribles et gigantesques, le tout perdu dans la végétation. Les surréalistes s'y sont intéressés -comme au désert de Retz, en France- mais également des gens célèbres, des écrivains -comme Henri Pieyre de Mandiargues- des originaux, des cinéastes tel Antonioni qui, sur les lieux,  est tombé gravement malade au moment où il souhaitait y tourner un film ; ce qui ajoute au mystère d'un parc créé à la Renaissance mais dont, à l'époque, on ne fait -a priori- mention nulle part .
           
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La contemplation du ciel sera elle aussi source de mystères. Ainsi, dans la seconde salle de projection, Laurent Grasso montre simplement le vol impressionnant de milliers d'étourneaux, à la fois beaux et inquiétants, qui décrivent des figures majestueuses dans le ciel de Rome. Ces vols d'oiseaux, sur le fond rose orangé du ciel romain, sont filmés à partir des terrasses de la villa Médicis. Les mouvements d'ensemble, très harmonieux, puissants et délicats, semblent à la fois aléatoires et très "chorégraphiés". Autrefois, ces vols d'étourneaux étaient prétextes à des présages. Le ciel est également concerné dans la troisième salle puisque le film qui donne son titre à l'exposition, Uraniborg, tire son nom de la muse de l'astronomie. Un lieu y est désigné : une île située entre la Suède et  le Danemark sur laquelle se trouvait un château aujourd'hui disparu. Ce château muni de dispositifs particuliers était un point d'observation du ciel et ceci avant l'invention de la lunette astronomique.  La figure centrale associée à ce lieu est celle de l'astronome Tycho Brahé qui a passé plus de vingt ans à observer les étoiles et  dont la statue de pierre fixe inexorablement le ciel en lieu et place de son palais disparu.
           
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  Autre histoire de points de vue dans le film The Silent Movie projeté dans une des salles, un peu plus loin : ici, ce sont les côtes de Carthagène qui sont montrées et leur architecture militaire. Des plans larges, grandioses, presque toujours fixes, font état, alternativement, de l'immensité du large et de la présence cachée d'infrastructures de défense se mêlant aux rochers et à la végétation du littoral. Le point de vue sera  défensif (celui de l'assiégé, celui qui protège son territoire et veut dominer visuellement l'ensemble de manière panoptique) mais pourra aussi être celui de l'attaquant, de l'ennemi, de celui qui cherchera à pénétrer dans le territoire à conquérir. Les procédés de dissimulation de cette architecture défensive, de camouflage, vont produire des formes singulières qui parfois prendront leur autonomie grâce au travail de l'artiste. Ainsi, cette maquette en terre, monochrome, sorte de fossile vaguement animal, inspirée d'un bunker véritable collé au flanc du rocher. Cet objet, détaché du contexte, dans sa forme brute quasiment volcanique, abandonne toute référence au temps, à l'échelle, aux usages ; placé dans la pénombre et discrètement éclairé, son reflet sur un plan bleu sombre et brillant lui confère une dimension mystérieuse et le renvoie également à l'immensité de la mer si présente dans le film projeté juste en face.
           
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  Plus loin, au bout de corridors sombres et au gré d'un parcours labyrinthique, des tableaux de facture -apparemment- ancienne  côtoient, sur une autre aile de ce parcours, des pièces manifestement contemporaines comme ces néons qui ponctuent la trajectoire de l'exposition.  
           
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Très bizarrement, des signes dans ces tableaux font référence au travail très contemporain de Laurent Grasso comme ces vols serrés d'oiseaux dans un paysage daté qui rappellent les vols d'étourneaux du film Les Oiseaux de la Rome contemporaine de l'artiste.  Ce qui nous amène à reconsidérer ces tableaux et à nous interroger sur leur date de fabrication. L'artiste, on le constatera, se plaît à brouiller le statut des objets qu'il présente mais  sait jouer également de la temporalité et des usages de ces pièces impeccablement présentées tout au long de cette exposition. Les aller-retours d'un point à un autre, les zigs-zags de notre parcours qui visent à aller vérifier certaines choses, procèdent -évidemment plus calmement- de la vision de ce faucon appareillé. Une certaine paranoïa pourra être éventuellement ressentie par le visiteur lorsqu'il se rendra compte des correspondances troublantes entre les objets, les ambiances décrites dans les films, les traces de l'histoire parfois effacées ou bien , au contraire, soulignées exagérément à l'occasion, par exemple, de la projection discrète d'un film d'actualité d'époque montrant les obsèques du pape Jean-Paul II. Dans ce document, la caméra filme d'autres caméras (de surveillance ?) postées sur le haut de l'architecture de la place Saint-Pierre de Rome. Ce dispositif de surveillance ou d'extrême observation, fait évidemment écho au film The Silent Movie, tourné à Carthagène, qui montre de manière appuyée, inquiétante, une architectutre hostile, défensive, produite au service de la domination intégrale du regard.
           
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Manifestement il existe des parallèles entre tous ces points de vue mis en scène dans la totalité des pièces présentées au Jeu de Paume mais également au delà de ce temps présent et de ce lieu : rappelons-nous seulement l'exposition The Horn Perspective” à l'Espace 315 au Centre Georges Pompidou en 2009 (le prix Marcel Duchamp fut d'ailleurs attribué à Laurent Grasso à cette occasion). L'installation comportait plusieurs éléments (ci-dessous, à droite) dont une grande vidéo décrivant un vol d'oiseaux serrés s'engouffrant bruyamment dans l'allée d'un sous-bois. Le tableau en haut à gauche y fait référence avec les moyens de la peinture la plus  classique.
   
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  De la même manière, une énorme maquette du "Horn" (de près de 9 m de long) trônait au milieu de l'installation. Nous la retrouvons -d'une taille beaucoup plus modeste- au Jeu de Paume (ci-dessus, à gauche). Rappelons que cette sculpture fait écho à l' antenne utilisée par deux radio-astronomes américains en 1964 et avait permis de repérer le fossile sonore du Big Bang. On perçoit, là aussi, une volonté de capter des pratiques ou des phénomènes non visibles ou qui ne le sont plus (comme dans le film Uraniborg montrant le lieu d'expériences scientifiques extraordinaires pour l'époque, mais un lieu perdu, qui a définitivement disparu : le château-observatoire de Tycho Brahé).
           
           
 Et viendra enfin On Air, ce film évoqué plus haut, qui met en scène le point de vue du faucon, sorte de drone des temps anciens. La technique de dressage est ancestrale mais l'appareillage de l'animal emprunte aux technologies nouvelles et là aussi la référence au temps est bouleversée. Mais, comme dans The Silent Movie, les points de vue sont alternés : se succèdent des plans de la scène telle que l'œil humain la verrait, puis d'autres -décrits plus haut- du vol de l'oiseau de proie. Le regard du prédateur, doublé de celui de l'espion, se  retrouveront dans les deux films.
Cette idée de l'observation, tantôt dirigée, tantôt aléatoire, semble constituer un axe fort du dispositif général de l'exposition Uraniborg. Le regard n'est pas neutre  : il est là pour perturber, créer de l'ambiguïté, produire de la confusion. Ce trouble est provoqué par des associations subtiles où le jugement et les sensations du spectateur sont sollicités. L'art est affaire d'environnement, d'expérience, nous suggère Laurent Grasso. À l'heure où tant d'expositions nous éclairent trop précisément sur la nature de ce que l'on doit voir, cet artiste a le mérite de laisser le champ libre, tout en provoquant notre curiosité. À ce titre, la trajectoire du faucon pourra se révéler féconde.
           
           
           
           
           
Laurent Grasso, URANIBORG
Jeu de paume, 1, place de la Concorde, Paris 8e

du 22 mai au 23 septembre 2012

www.jeudepaume.org.
           
           
           
           
           

samedi 1 septembre 2012