mercredi 18 juillet 2007

Joel-Peter WITKIN

    Joel-Peter Witkin
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement

witkin6-200.jpg L'objectif annoncé étant d'épingler quelques images de représentations de la folie, de l'écart ou du déréglement, des noms semblent s'imposer et celui de Joel-Peter Witkin en fait partie.
Dans l'œuvre abondante de cet artiste américain, n'importe quelle image aurait sa légitimité -j'ai d'ailleurs hésité à choisir celle-ci plutôt qu'une autre-.  Et pourtant Witkin, qui est professeur de photographie aux États Unis, est loin d'être fou. C'est bien l'univers qu'il a créé dans son œuvre qui a construit cette image glauque, inquiétante, morbide, terrifiante et étrangement envoûtante d'une folie artistique.
Sur le site de la galerie parisienne Baudouin-Lebon*, Joel-Peter Witkin déclare : «...je sais que le fondement de tout mon travail repose sur le désespoir  de l'âme. Mes bienfaiteurs photographiques sont morts. Je vis pour créer des images représentant la lutte pour la rédemption des âmes.» Et s'il évoque les âmes, c'est bien des corps qu'il traite.  Et ces corps qu'il met en situation dans ces photographies extrêmement élaborées sont des corps complètement étrangers à notre ordinaire. En effet, Witkin n'hésite pas à avoir recours  à des cadavres qu'il va exhumer des morgues, à des spécimens de foire présentant des anomalies, des malformations, ou bien encore à des individus marqués par des ambiguïtés sexuelles souvent spectaculaires.
Les mises en scène, les lumières, les constructions de l'espace et de l'image elle-même, les apports purement plastiques (interventions directes sur la matrice) produisent des objets photographiques de très grande qualité.

Ces pratiques de l'utilisation et de la représentation du corps humain peuvent évidemment nous faire horreur, nous révolter, mais il faut avoir conscience que
ces extravagances, ces écarts,  sont habituels dans la peinture classique (il suffit de traverser un certain nombre de salles du musée du Louvre pour s'en convaincre), et que cet état de fait n'est jamais remis en question. Joel-Peter Witkin revendique d'ailleurs sa place au sein d'une filiation dans une histoire de l'art générale ; ses photographies font habituellement référence à des maîtres ou à des toiles d'un grand classicisme (Rubens, Botticelli, Velazquez, Courbet , etc.).

Alors, avec Witkin aurait-on affaire à des représentations d'une folie soigneusement pensée, raisonnée ? Ou bien à la démarche d'un
individu-artiste  raisonnable qui produit une œuvre infréquentable pour la raison ?
                   
                   
photographie : "Man without a Head",  1993   ©Joel-Peter Witkin
extrait de 
Witkin, texte de Germano Celant,  Éditrions Scalo,1995, illustration 102

*Galerie Baudouin-Lebon


Commentaires

Je me souviens que nous étions plusieurs dans mes premières années de beaux-arts ou je hantais les labos photos à poser un regard biaiseux sur les photographies de Witkin. Ce qui nous intéressait au départ c'était ces effets photographiques, effets d'école nous disait-on, simples bricolages. Toujours est-il, nous essayons les révélations aux pinceaux, les effets de taches et accidents ( Sarah moon, jean saudek) les grattages de négatif à l'épingle, au papier verre. Les attaques à la javelle, au white. Je cherchais ce noir profond, velouté avant de découvrir qu’il fallait simplement utiliser un drap de velours pour sa manière de recevoir la lumière. L’époque aussi où j’essayais les sténopés, les tirages à l’albumine. Petits bricolages. Evidemment la bizarrerie glauque des corps marqués, l’étrange beauté des cadavres, leur existence entant que corps ou fragments de corps différente des corps de magasines avait sa fascination. Mais ce qui sans doute la qualité première de Witkin c’était sa manière de mettre en scène (baroque et précise) peut-être héritée de Géricault, ce goût pour les folies, ce moment dit-on, où les caractères de l’homme ordinaire sont mis sous loupe et nous aident à mieux le comprendre.
Commentaire n°1 posté par pop le 19/07/2007 à 23h37
Je viens de passer 3 jours et 3 nuits auprès de mon beau-père mourant. J'ai encore en moi, le corps souffrant dans tout ce qu'il y a de proximité avec ton propre corps, l'odeur, la chair, le visage dont tu ne te détaches pas car le reste est difficile à soutenir et peut-être, ne veux-tu pas perdre le reste de regard. Il s'est éteint, j'émerge et je peux recommencer à regarder tes dernières photos. Je pensais que Debreda ou Witkin étaient insoutenables avec "leurs" têtes "manquantes", du coup je les trouve plus "faciles" car il leur aurait été impossible de rendre la réalité à ces visages s'ils avaient existé sur la photo.
Commentaire n°2 posté par Lyliana le 20/07/2007 à 08h54
Lyliana :  expérience forte qui nous apprend énormément sur nous-mêmes. Le fait de passer par cette étape qui relève de l’expérience personnelle nous permet ensuite d’affronter le reste avec plus de détachement et de clairvoyance (sans pour cela faire l’économie de nos émotions, évidemment). Tu pointes bien l’importance du visage et dans le visage, celle du regard. Pourquoi met-on un sac sur la tête des condamnés à mort, ou un bandeau sur leurs yeux ?
Dans un des commentaires que j’avais faits sur ton blog, j’avais repris une phrase de Jean Clair (extraite de son livre «Le nez de Giacometti») , j'avais écrit : «Quant à la mort, évoquée dans le billet, Jean Clair rappelle que le rapport qu'elle entretient au visage est déterminant, précisément par le biais du masque : il est difficile de tuer un homme en le regardant dans les yeux. Si les guerriers portent des masques, c'est moins pour se protéger des traits de leur adversaire que pour ne pas avoir à envisager les traits du visage qui leur fait face...»
Ce rapport au regard est déterminant.

Pop : Witkin parvient à créer chez beaucoup d’entre nous qui regardons ses photographies un sentiment étrange qui mêle comme je l’ai dit fascination et exécration. On peut avoir l’impresssion d’être dans le kitsch, le mauvais goût, le racoleur, mais on sent bien  que d’une part les objets qu’il fabrique relèvent d’un réel savoir-faire, ont une dimension artistique indéniable (il fait preuve d’une véritable démarche) et qu’enfin, il touche à des préoccupations communes à tous, (sans même parler de sa connaissance et son inscription dans le flux de l’histoire de l’art  qui lui confèrent une autorité intellectuelle). Ce qui provoque ce rapport aux œuvres (à ses œuvres) terriblement ambigu.
La référence à Géricault est bienvenue : penser à la genèse du Radeau de la Méduse et de la pourriture des modèles au milieu de laquelle vivait le peintre. Ce Géricault-là,  c'est un certain héritage du baroque, comme Joel-Peter Witkin, peut-être.
Mais on pourrait également évoquer Baudelaire et son merveilleux poème sur la Charogne.
                   

mardi 17 juillet 2007

David NEBREDA

  David Nebreda
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement


nebreda1-150.jpg
Chez vous il n'y a pas de trucage !

Non, et c'est un point fondamental. Tout ce que l'on voit est ce que l'on voit. Mon activité est très simple. Je n'ai pas besoin d'interprétation. Le sang est mon sang, les excréments sont mes excréments, les photographies sont des photographies directes non manipulées, même la peur ou l'isolement sont une peur et un isolement sans nuances. La convention de pathologie mentale est une convention réelle, si on l'accepte, elle n'a pas besoin non plus d'interprétation *


David Nebreda est cet artiste espagnol qui produit une œuvre à la fois d'écriture et de photographie. Et ses photographies, s'il vous est arrivé d'en voir, vous ne pouvez pas les oublier. L'individu  met en scène son corps. Il parle de lui à la troisième personne du singulier. Et pour ce qui est de la singularité, c'est quelqu'un d'extra-ordinaire. Cet artiste n'est pas dans la représentation mais bien dans la présentation : un corps cadavérique, couvert de stigmates, de plaies, de sang, un corps souffrant fait  d'auto lacérations, d'auto mutilations qui s'étale généreusement dans toute sa gloire et dans tout son pouvoir ; un pouvoir capable de générer autant l'excécration que la fascination.


Au premier abord, les photographies de David Nebreda renvoient tous les signes d'une folie extrême ; s'il était encore besoin de nous convaincre du contraire, rappelons que Nebreda a séjourné dans des hôpitaux psychiatriques à différentes reprises. Mais à la lecture des textes qu'il écrit et qui  accompagnent ces photographies, nous sommes frappés par la rigueur, la finesse de la pensée et par la culture de l'artiste ; ce qui nous entraîne à considérer ses photographies assez différemment.
Il y a quelques mois, j'avais déjà eu l'occasion de consacrer un billet à un portrait de David Nebreda en m'interrogeant sur les limites de l'autoportrait ; il s'agissait d'un autoportrait-tabou, dans lequel le visage avait disparu, un autoportrait sans tête réellement apparente comme si ces manifestations photographiques de la folie  devaient se doubler d'une sorte de décollation, au moins symbolique. Je m'aperçois que dans cet autoportait d'aujourd'hui, la tête a encore disparu...

        
photographie :Série autoretratos, "Après huit séances d'incisions sur la poitrine et les épaules, il atteint à une certaine tranquillité, l'hommage et le tribut étant alors accomplis" 29 juillet 1989   ©David Nebreda
extrait de 
David Nebreda et le double photographique, article Art Press N° 255 de mars 2000,
p 53
* texte : entretien David Nebreda avec Catherine Millet, même article p 54

lundi 16 juillet 2007

Diane ARBUS .2

  Diane Arbus
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement


arbus2-150.jpg  Diane Arbus n'avait pas coutume de fabriquer   des représentations de la folie ; enfin, pas au sens strict. Certes, les handicapés mentaux peuvent habiter certaines de ses images mais au même titre que d'autres marginaux à priori «sains d'esprit».  Les individus qu'elle isole dans ses photographies appartiennent en effet aux marges et ces «marginaux» donnent souvent l'impression d'être désespérément en quête de normalité. Mais ces gens «normaux» sur lesquels elle s'est arrêtée présentent des symptômes plus ou moins marqués qui les placent à la marge, qui leur confèrent un statut d'exception, un décalage qui nous les rend étranges voire étrangers. La frontière qui sépare le simple écart de la folie n'est jamais loin.
J'ai choisi  cette photographie de Diane Arbus -publiée dans Esquire en juillet 1960-  parce qu'elle est moins célèbre que d'autres et puis surtout parce qu'elle porte dans son titre les signes manifestes d'une folie annoncée très clairement : Walter Gregory, the Madman from Massachusetts. Les signes d'une folie annoncée ne sont pas plus tangibles ici que dans d'autres photographies d'individus repérés et photographiés par l'artiste ; plutôt moins d'ailleurs que dans beaucoup d'autres.
Il s'agit pourtant bien d'histoires de signes, voire de stigmates.

Qu'est-ce qui motivait donc tant Diane Arbus dans sa quête d'individus décalés ? Au regard de l'ensemble de ce que l'on connaît de son œuvre, il est tout à fait légitime de penser que ce sont vraisemblablement les signes sur le corps, les déformations, les atrophies ou hypertrophies, les meurtrissures et stigmates en tout genre : toutes les approximations et exagérations du corps qui marquent l'écart, le dérèglement et confinent accessoirement à la folie.
        
photographie : Walter Gregory, the Madman from Massachusetts (Walter Gregory, l'homme fou du Massachusetts ), publié dans Esquire ("The Vertical Journey")1960,  ©Diane Arbus
extrait de  Diane Arbus Revelations, Éditions Schirmer Mosel, Munich, 2003, p 146. 

dimanche 15 juillet 2007

Diane ARBUS

  Diane Arbus
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement


arbus4-150.jpg Si l'on décide d'épingler arbitrairement quelques images de représentations de la folie, de l'écart ou du dérèglement, la figure de Diane Arbus  est incontournable. Mais précisément pas dans cette photographie.
La femme sans tête de Diane Arbus est tout simplement là pour faire  écho à cet homme sans tête photographié par Raymond Depardon dans l'hôpital psychiatrique de San Clemente, au large de Venise au début des années 80...
Ici tout est codé : le lieu, les circonstances, la personne photographiée, le dispositif, la prise de vue, etc. S'il y a écart, dérèglement ou folie, c'est bien dans la mise en scène du regard et de ce que cela produit.
photographie : Headless woman (femme sans tête), N.Y.C, 1961,  ©Diane Arbus
extrait de  Diane Arbus Revelations, Éditions Schirmer Mosel, Munich, 2003, p 254. 

samedi 14 juillet 2007

Raymond Depardon

    Raymond Depardon
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement


depardon-200.jpg L'envie d'épingler quelques images des représentations de la folie, de l'écart ou du dérèglement et cette photographie de Raymond Depardon s'impose.
Elle condense à elle seule tout ce qui est de l'ordre de l'inatteignable, du sans-nom, du sans-fond : un chaos définitif.
Et ceci pour l'unique raison que nous sommes bien en présence d'un homme.
Cette image, je continue à la trouver bouleversante.

Raymond Depardon se rend
à San Clemente  au début des années 80. San Clemente, c'est «l'île aux fous», au large de Venise. Il s'agit d'un hôpital psychiatrique qui s'étend sur toute l'île et qui va être détruit.
Raymond Depardon s'y rend une première fois, ramène des photographies étonnantes puis l'idée qu'il doit y retourner avec une caméra s'impose. Ce qu'il va faire, en compagnie de Sophie Ristelhueber.
Il en fera un film documentaire d'une force et d'une beauté inhabituelles qui constituera une sorte d'avancée et de référence.
photographie : San Clemente, Venezia, 1984,  ©Raymond Depardon


quelques références :

* San Clemente par Depardon
* parcours de Raymond Depardon


Commentaires

bravo pour ce site, il fait partie des 3 pourcent de la categorie photo des blogs... je peux le mettre en lien?
Commentaire n°1 posté par gallerie-schmit-vennet le 26/07/2007 à 16h17
Merci à vous, vous pouvez mettre le lien.
Commentaire n°2 posté par holbein le 02/08/2007 à 09h31