dimanche 16 septembre 2007

Francisco Goya-Marcel Duchamp

Tuti li mundi 
goya-tutilimundi-200.jpg

   
Sur une vieille porte de grange en bois encadrée de montants en briques, deux orifices à hauteur d'homme permettent de découvrir un extraordinaire spectacle : une femme nue, la tête cachée, gît, renversée sur des branchages. Ses cuisses, largement écartées montrent un sexe glabre et tumescent d'androgyne ; elle tient à bout de bras un bec Auer éclairé électriquement. Derrière elle, un paysage photographique (suisse ?) retouché, comportant une chute d'eau actionnée par un moteur, est baignée d'une lumière irréelle.*
                             
Description de Etant Donnés: 1. La chute d'eau, 2. Le gaz d'éclairage. de Marcel Duchamp
1946-1966 Philadelphia Muséum of art
   
Tuti li mundi de Goya / Étant donnés, de Marcel Duchamp. Deux machines à voir. Ou plutôt, deux machines à regarder. Deux effractions du regard. Un transit intestinal du regard chez Goya qui fait du regardeur regardé une machine de vision, un cloaca-obscura. Ce Tuti li mundi c'est le Mondo Novo, le cosmorama portatif traîné de village en village, l'appareil merveilleux qui enchantait les foules : on approchait son œil du trou et on y voyait des formes colorées qui bougeaient et faisaient rêver et rire (sans doute).
Dans Étant donnés, de Marcel Duchamp, l'acte est complexe, radical, et tend à provoquer le malaise. Le corps abandonné et nu est associé à la mort, à une sexualité par effraction, elle-aussi. Le regard est l'acteur de cette effraction ; la mise en scène nous renvoie à notre rôle définitif de voyeur. Ne s'agit-il pas de cette situation, toujours la même, dans laquelle nous nous trouvons lorsque l'on regarde n'importe quelle œuvre d'art ?
   
   
illustration : "Tuti li mundi", Album C, folio 71 - Francisco Goya in catalogue de l'exposition "Dibujos españoles en la Hispanic Society of America", Barcelone, 2007,  p.257

*Pierre Cabanne, Duchamp & Cie, Éditions Pierre Terrail, 1997, p  172
   
   
   
   
   

mercredi 18 juillet 2007

Joel-Peter WITKIN

    Joel-Peter Witkin
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement

witkin6-200.jpg L'objectif annoncé étant d'épingler quelques images de représentations de la folie, de l'écart ou du déréglement, des noms semblent s'imposer et celui de Joel-Peter Witkin en fait partie.
Dans l'œuvre abondante de cet artiste américain, n'importe quelle image aurait sa légitimité -j'ai d'ailleurs hésité à choisir celle-ci plutôt qu'une autre-.  Et pourtant Witkin, qui est professeur de photographie aux États Unis, est loin d'être fou. C'est bien l'univers qu'il a créé dans son œuvre qui a construit cette image glauque, inquiétante, morbide, terrifiante et étrangement envoûtante d'une folie artistique.
Sur le site de la galerie parisienne Baudouin-Lebon*, Joel-Peter Witkin déclare : «...je sais que le fondement de tout mon travail repose sur le désespoir  de l'âme. Mes bienfaiteurs photographiques sont morts. Je vis pour créer des images représentant la lutte pour la rédemption des âmes.» Et s'il évoque les âmes, c'est bien des corps qu'il traite.  Et ces corps qu'il met en situation dans ces photographies extrêmement élaborées sont des corps complètement étrangers à notre ordinaire. En effet, Witkin n'hésite pas à avoir recours  à des cadavres qu'il va exhumer des morgues, à des spécimens de foire présentant des anomalies, des malformations, ou bien encore à des individus marqués par des ambiguïtés sexuelles souvent spectaculaires.
Les mises en scène, les lumières, les constructions de l'espace et de l'image elle-même, les apports purement plastiques (interventions directes sur la matrice) produisent des objets photographiques de très grande qualité.

Ces pratiques de l'utilisation et de la représentation du corps humain peuvent évidemment nous faire horreur, nous révolter, mais il faut avoir conscience que
ces extravagances, ces écarts,  sont habituels dans la peinture classique (il suffit de traverser un certain nombre de salles du musée du Louvre pour s'en convaincre), et que cet état de fait n'est jamais remis en question. Joel-Peter Witkin revendique d'ailleurs sa place au sein d'une filiation dans une histoire de l'art générale ; ses photographies font habituellement référence à des maîtres ou à des toiles d'un grand classicisme (Rubens, Botticelli, Velazquez, Courbet , etc.).

Alors, avec Witkin aurait-on affaire à des représentations d'une folie soigneusement pensée, raisonnée ? Ou bien à la démarche d'un
individu-artiste  raisonnable qui produit une œuvre infréquentable pour la raison ?
                   
                   
photographie : "Man without a Head",  1993   ©Joel-Peter Witkin
extrait de 
Witkin, texte de Germano Celant,  Éditrions Scalo,1995, illustration 102

*Galerie Baudouin-Lebon


Commentaires

Je me souviens que nous étions plusieurs dans mes premières années de beaux-arts ou je hantais les labos photos à poser un regard biaiseux sur les photographies de Witkin. Ce qui nous intéressait au départ c'était ces effets photographiques, effets d'école nous disait-on, simples bricolages. Toujours est-il, nous essayons les révélations aux pinceaux, les effets de taches et accidents ( Sarah moon, jean saudek) les grattages de négatif à l'épingle, au papier verre. Les attaques à la javelle, au white. Je cherchais ce noir profond, velouté avant de découvrir qu’il fallait simplement utiliser un drap de velours pour sa manière de recevoir la lumière. L’époque aussi où j’essayais les sténopés, les tirages à l’albumine. Petits bricolages. Evidemment la bizarrerie glauque des corps marqués, l’étrange beauté des cadavres, leur existence entant que corps ou fragments de corps différente des corps de magasines avait sa fascination. Mais ce qui sans doute la qualité première de Witkin c’était sa manière de mettre en scène (baroque et précise) peut-être héritée de Géricault, ce goût pour les folies, ce moment dit-on, où les caractères de l’homme ordinaire sont mis sous loupe et nous aident à mieux le comprendre.
Commentaire n°1 posté par pop le 19/07/2007 à 23h37
Je viens de passer 3 jours et 3 nuits auprès de mon beau-père mourant. J'ai encore en moi, le corps souffrant dans tout ce qu'il y a de proximité avec ton propre corps, l'odeur, la chair, le visage dont tu ne te détaches pas car le reste est difficile à soutenir et peut-être, ne veux-tu pas perdre le reste de regard. Il s'est éteint, j'émerge et je peux recommencer à regarder tes dernières photos. Je pensais que Debreda ou Witkin étaient insoutenables avec "leurs" têtes "manquantes", du coup je les trouve plus "faciles" car il leur aurait été impossible de rendre la réalité à ces visages s'ils avaient existé sur la photo.
Commentaire n°2 posté par Lyliana le 20/07/2007 à 08h54
Lyliana :  expérience forte qui nous apprend énormément sur nous-mêmes. Le fait de passer par cette étape qui relève de l’expérience personnelle nous permet ensuite d’affronter le reste avec plus de détachement et de clairvoyance (sans pour cela faire l’économie de nos émotions, évidemment). Tu pointes bien l’importance du visage et dans le visage, celle du regard. Pourquoi met-on un sac sur la tête des condamnés à mort, ou un bandeau sur leurs yeux ?
Dans un des commentaires que j’avais faits sur ton blog, j’avais repris une phrase de Jean Clair (extraite de son livre «Le nez de Giacometti») , j'avais écrit : «Quant à la mort, évoquée dans le billet, Jean Clair rappelle que le rapport qu'elle entretient au visage est déterminant, précisément par le biais du masque : il est difficile de tuer un homme en le regardant dans les yeux. Si les guerriers portent des masques, c'est moins pour se protéger des traits de leur adversaire que pour ne pas avoir à envisager les traits du visage qui leur fait face...»
Ce rapport au regard est déterminant.

Pop : Witkin parvient à créer chez beaucoup d’entre nous qui regardons ses photographies un sentiment étrange qui mêle comme je l’ai dit fascination et exécration. On peut avoir l’impresssion d’être dans le kitsch, le mauvais goût, le racoleur, mais on sent bien  que d’une part les objets qu’il fabrique relèvent d’un réel savoir-faire, ont une dimension artistique indéniable (il fait preuve d’une véritable démarche) et qu’enfin, il touche à des préoccupations communes à tous, (sans même parler de sa connaissance et son inscription dans le flux de l’histoire de l’art  qui lui confèrent une autorité intellectuelle). Ce qui provoque ce rapport aux œuvres (à ses œuvres) terriblement ambigu.
La référence à Géricault est bienvenue : penser à la genèse du Radeau de la Méduse et de la pourriture des modèles au milieu de laquelle vivait le peintre. Ce Géricault-là,  c'est un certain héritage du baroque, comme Joel-Peter Witkin, peut-être.
Mais on pourrait également évoquer Baudelaire et son merveilleux poème sur la Charogne.
                   

mardi 17 juillet 2007

David NEBREDA

  David Nebreda
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement


nebreda1-150.jpg
Chez vous il n'y a pas de trucage !

Non, et c'est un point fondamental. Tout ce que l'on voit est ce que l'on voit. Mon activité est très simple. Je n'ai pas besoin d'interprétation. Le sang est mon sang, les excréments sont mes excréments, les photographies sont des photographies directes non manipulées, même la peur ou l'isolement sont une peur et un isolement sans nuances. La convention de pathologie mentale est une convention réelle, si on l'accepte, elle n'a pas besoin non plus d'interprétation *


David Nebreda est cet artiste espagnol qui produit une œuvre à la fois d'écriture et de photographie. Et ses photographies, s'il vous est arrivé d'en voir, vous ne pouvez pas les oublier. L'individu  met en scène son corps. Il parle de lui à la troisième personne du singulier. Et pour ce qui est de la singularité, c'est quelqu'un d'extra-ordinaire. Cet artiste n'est pas dans la représentation mais bien dans la présentation : un corps cadavérique, couvert de stigmates, de plaies, de sang, un corps souffrant fait  d'auto lacérations, d'auto mutilations qui s'étale généreusement dans toute sa gloire et dans tout son pouvoir ; un pouvoir capable de générer autant l'excécration que la fascination.


Au premier abord, les photographies de David Nebreda renvoient tous les signes d'une folie extrême ; s'il était encore besoin de nous convaincre du contraire, rappelons que Nebreda a séjourné dans des hôpitaux psychiatriques à différentes reprises. Mais à la lecture des textes qu'il écrit et qui  accompagnent ces photographies, nous sommes frappés par la rigueur, la finesse de la pensée et par la culture de l'artiste ; ce qui nous entraîne à considérer ses photographies assez différemment.
Il y a quelques mois, j'avais déjà eu l'occasion de consacrer un billet à un portrait de David Nebreda en m'interrogeant sur les limites de l'autoportrait ; il s'agissait d'un autoportrait-tabou, dans lequel le visage avait disparu, un autoportrait sans tête réellement apparente comme si ces manifestations photographiques de la folie  devaient se doubler d'une sorte de décollation, au moins symbolique. Je m'aperçois que dans cet autoportait d'aujourd'hui, la tête a encore disparu...

        
photographie :Série autoretratos, "Après huit séances d'incisions sur la poitrine et les épaules, il atteint à une certaine tranquillité, l'hommage et le tribut étant alors accomplis" 29 juillet 1989   ©David Nebreda
extrait de 
David Nebreda et le double photographique, article Art Press N° 255 de mars 2000,
p 53
* texte : entretien David Nebreda avec Catherine Millet, même article p 54

lundi 16 juillet 2007

Diane ARBUS .2

  Diane Arbus
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement


arbus2-150.jpg  Diane Arbus n'avait pas coutume de fabriquer   des représentations de la folie ; enfin, pas au sens strict. Certes, les handicapés mentaux peuvent habiter certaines de ses images mais au même titre que d'autres marginaux à priori «sains d'esprit».  Les individus qu'elle isole dans ses photographies appartiennent en effet aux marges et ces «marginaux» donnent souvent l'impression d'être désespérément en quête de normalité. Mais ces gens «normaux» sur lesquels elle s'est arrêtée présentent des symptômes plus ou moins marqués qui les placent à la marge, qui leur confèrent un statut d'exception, un décalage qui nous les rend étranges voire étrangers. La frontière qui sépare le simple écart de la folie n'est jamais loin.
J'ai choisi  cette photographie de Diane Arbus -publiée dans Esquire en juillet 1960-  parce qu'elle est moins célèbre que d'autres et puis surtout parce qu'elle porte dans son titre les signes manifestes d'une folie annoncée très clairement : Walter Gregory, the Madman from Massachusetts. Les signes d'une folie annoncée ne sont pas plus tangibles ici que dans d'autres photographies d'individus repérés et photographiés par l'artiste ; plutôt moins d'ailleurs que dans beaucoup d'autres.
Il s'agit pourtant bien d'histoires de signes, voire de stigmates.

Qu'est-ce qui motivait donc tant Diane Arbus dans sa quête d'individus décalés ? Au regard de l'ensemble de ce que l'on connaît de son œuvre, il est tout à fait légitime de penser que ce sont vraisemblablement les signes sur le corps, les déformations, les atrophies ou hypertrophies, les meurtrissures et stigmates en tout genre : toutes les approximations et exagérations du corps qui marquent l'écart, le dérèglement et confinent accessoirement à la folie.
        
photographie : Walter Gregory, the Madman from Massachusetts (Walter Gregory, l'homme fou du Massachusetts ), publié dans Esquire ("The Vertical Journey")1960,  ©Diane Arbus
extrait de  Diane Arbus Revelations, Éditions Schirmer Mosel, Munich, 2003, p 146. 

dimanche 15 juillet 2007

Diane ARBUS

  Diane Arbus
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement


arbus4-150.jpg Si l'on décide d'épingler arbitrairement quelques images de représentations de la folie, de l'écart ou du dérèglement, la figure de Diane Arbus  est incontournable. Mais précisément pas dans cette photographie.
La femme sans tête de Diane Arbus est tout simplement là pour faire  écho à cet homme sans tête photographié par Raymond Depardon dans l'hôpital psychiatrique de San Clemente, au large de Venise au début des années 80...
Ici tout est codé : le lieu, les circonstances, la personne photographiée, le dispositif, la prise de vue, etc. S'il y a écart, dérèglement ou folie, c'est bien dans la mise en scène du regard et de ce que cela produit.
photographie : Headless woman (femme sans tête), N.Y.C, 1961,  ©Diane Arbus
extrait de  Diane Arbus Revelations, Éditions Schirmer Mosel, Munich, 2003, p 254. 

samedi 14 juillet 2007

Raymond Depardon

    Raymond Depardon
représentations de la folie, de l'écart, du dérèglement


depardon-200.jpg L'envie d'épingler quelques images des représentations de la folie, de l'écart ou du dérèglement et cette photographie de Raymond Depardon s'impose.
Elle condense à elle seule tout ce qui est de l'ordre de l'inatteignable, du sans-nom, du sans-fond : un chaos définitif.
Et ceci pour l'unique raison que nous sommes bien en présence d'un homme.
Cette image, je continue à la trouver bouleversante.

Raymond Depardon se rend
à San Clemente  au début des années 80. San Clemente, c'est «l'île aux fous», au large de Venise. Il s'agit d'un hôpital psychiatrique qui s'étend sur toute l'île et qui va être détruit.
Raymond Depardon s'y rend une première fois, ramène des photographies étonnantes puis l'idée qu'il doit y retourner avec une caméra s'impose. Ce qu'il va faire, en compagnie de Sophie Ristelhueber.
Il en fera un film documentaire d'une force et d'une beauté inhabituelles qui constituera une sorte d'avancée et de référence.
photographie : San Clemente, Venezia, 1984,  ©Raymond Depardon


quelques références :

* San Clemente par Depardon
* parcours de Raymond Depardon


Commentaires

bravo pour ce site, il fait partie des 3 pourcent de la categorie photo des blogs... je peux le mettre en lien?
Commentaire n°1 posté par gallerie-schmit-vennet le 26/07/2007 à 16h17
Merci à vous, vous pouvez mettre le lien.
Commentaire n°2 posté par holbein le 02/08/2007 à 09h31

mercredi 27 juin 2007

Olivier CADIOT

 Un nid pour quoi faire

Cour royale en exil à la montagne cherche conseiller image, chambre tt cft dans chalet atypique, artistes s'abstenir, envoyer prétentions.


Olivier Cadiot
Un nid pour quoi faire
4ème de couverture, 2007
P.O.L
 

lundi 25 juin 2007

PISANELLO

      Pisanello


pisanello-200.jpg    « (...) nous avons  plaisir à regarder les images les plus soignées des choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, par exemple les formes d'animaux parfaitement ignobles ou de cadavres, la raison en est qu'apprendre est un plaisir non seulement pour les philosophes mais également pour les autres hommes (...) ; en effet si l'on aime à voir des images, c'est qu'en les regardant on apprend à connaître.»




Aristote

Poétique, chap.IV, 48b, 10-12,
éd. Dupont-Roc et Lallot, 1980, p. 43
         






illustration : Six études de trois hommes pendus par le cou (détail), Pisanello
Londres, The trustees of the British Museum, Department of prints and drawings
extrait du catalogue de l'exposition Pisanello, Musée du Louvre, 1996, p. 244
    

Commentaires

L'amble des morts mal morts
Sonnant à tous les vides.

L'issue - René Char
Commentaire n°1 posté par Ch le 05/07/2007 à 23h40
René Char dont on fête cette année le centième anniversaire de la naissance...
«Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque»
Commentaire n°2 posté par holbein le 07/07/2007 à 10h00
         

samedi 23 juin 2007

arts premiers

      Musée du quai Branly : premier anniversaire



africanMcD-200-.jpg   Le musée du quai Branly fête son premier anniversaire aujourd'hui.
Le bilan -provisoire- au terme d'une année sera vraisemblablement envisagé ces jours-ci par nombre d'observateurs variés. Soyons attentifs, essayons de faire le tri, sachons repérer les enjeux derrière les constats. Il risque d'être très instructif de confronter les opinions qui vont être exprimées ; qu'il s'agisse de professionnels, de visiteurs éclairés, de touristes, etc. Et dans chacune de ces catégories nous allons retrouver des sous catégories qui ont toutes les chances de ne pas être d'accord entre elles...
Alors que penser de ce musée des arts premiers ? J'ai trouvé sur internet, et je ne sais plus où d'ailleurs, cette photographie d'une statuette d'un type assez particulier renvoyant grossièrement à l'esthétique d'une petite sculpture africaine rendue délibérément contemporaine grâce à ses attributs qu'on ne manquera pas d'identifier...
Sacrilège.
J'ai trouvé ça rigolo et me suis empressé de glisser, vite fait, ce petit ovnimage dans ma collection de trucs que je récupère, comme ça.
Et puis je retombe dessus dans ce contexte du premier anniversaire du musée des arts premiers. Et cette petite image, je ne la trouve plus si anodine. Quel statut donner à cet objet photographié ? Est-on dans le registre du trivial, du blasphématoire, du mauvais goût, du commercial, de l'objet d'art contemporain occidental et provocateur ? (il pourrait occuper une place avantageuse dans l'espace d'une galerie à la mode, du quartier du Marais, par exemple). Ailleurs encore ?

«On voit combien la notion d'"art” pose problème ; est ambiguë. Combien sous ce terme, on fait se recouvrir des processus foncièrement différents, antinomiques.» écrivait la rédactrice d'un très bon blog traitant précisément des choses de l'art dans un billet consacré, justement, au musée du quai Branly...
La question essentielle relève effectivement de la définition de l’œuvre d’art. Toujours la même question. Ce truc aux frites et boisson gazeuse appartient-il au registre artistique ? Et ce qu'on voit dans les vitrines du musée du quai Branly, est-ce bien des objets d'art ? Ne serait-ce pas plutôt, dans nombre de cas, des objets usuels qui ont changé de catégorie en changeant de continent ? (Même si ceux qui les ont collectés les trouvent «beaux» ? Et puis d'ailleurs la Beauté reste-elle le critère pour définir le statut d'une œuvre d'art ? Le XXème siècle a ébranlé nos certitudes, etc.)
Et c’est heureux. Heureusement qu’on est loin de faire le tour de ces questions. Et c’est pour ça que tout se qui se réfère à l’art m’intéresse intensément et continuera sans doute  à m’intéresser longtemps.

On peut prendre un objet et l’introduire dans un autre circuit, y compris un objet fait en Afrique (et appelons-ça comme on veut : outil, chef d'œuvre, pièce d'artisanat, objet d'art ou de consommation, etc.). A partir du moment où un objet est produit, soumis au regard des autres, il prend son autonomie (voir la statuette africaine...). Et la bonne conscience pour le remettre dans le droit chemin de sa prétendue catégorie  véritable n’y fera rien.
Et n'est-ce pas ici, au contraire, lorsqu'on considère ces objets «d'arts premiers» que la mauvaise conscience (blanche, bourgeoise, catholique, judéo-chrétienne, scoute, cultivée,
de bonne famille, étant nécessairement passée par une phase d’autocritique de bon aloi liée au mouvement social de 1968  avec, en conséquence,  juste ce qui faut de contestation politiquement correcte)  ressort ?
Le musée a des responsabilités.
Mais il faut savoir assumer sa position. Il participe à la fabrication des représentations, pour ne pas dire qu'il se trouve bien souvent à l'origine de ces représentations.
Y a-t-il vraiment un «regard d’homme blanc» ? Ce qui supposerait un regard d’homme noir. Reste à savoir où commencerait la négritude (ou la «blanchitude»). A partir de quel degré de coloration, d’origine, d’authenticité, de pureté du sang, etc. Voyez que ça rappelle de mauvais souvenirs et qu’il ne faut surtout pas se fourvoyer dans ce sens.
Ces deux composantes existent-elles vraiment ? Un regard métis serait une subtilité supplémentaire qui ajouterait un peu plus à la confusion ? Se situe-t-il du côté blanc ou du côté noir ?

Ces questions, tout cynisme évacué, interrogent et rappellent évidemment les mauvaises relations que la France a entretenu avec l’Afrique dans le cadre tristement calamiteux du colonialisme et ça n’est pas le discours de la mauvaise conscience (y compris celui élaboré spécifiquement pour ces objets d'art) qui fera le ménage ou qui rachètera cette France du ratage. Pourquoi décidément ne pas s’intéresser à l’Afrique contemporaine et prendre en compte le drame des gens prêts à tout, jusqu’à sacrifier leur vie ?  Car ce n’est pas fini. C’est loin d’être fini.
Il y a actuellement une superbe performance générale d’une partie de l’Afrique au large des côtes de Sud de l’Europe : voir cette photo d'un performer* en pleine action. Force est de constater que ces questions sur l'art nous entraînent bien loin.

Mais je m'éloigne du propos. La statuette se nourrissant de produits made in USA ne renverrait-elle pas à elle toute seule à un état de la réflexion sur la mutation des valeurs liée à l'identification des objets et de leur fonction ?
Alors, in fine, que penser de ce musée des arts premiers ? Honnêtement je n'en sais rien. Et puis je ne suis pas spécialiste.

         
         
* photographie en lien : Espagne, îles Canaries  ©Juan Medina / Reuters

 -photographie initiale : source non identifiée.
         
         

Commentaires

Que de questions ? La question de la catégorie "art" déjà... beaucoup de réflexions ces dernières années par des anthropologues. Objet artistique = objet qui a des attributs esthétiques et/ou sémantiques utilisés à des fins de représentations ou de présentations (Morphy, 1994, The anthropology of art - a reader). On serait tenté de lui conférer un "statut?" artistique au petit bonhomme. Gell par exemple (Art and Agency; 1998) développe une théorie de l'agir de l'oeuvre: elle est conçue pour impresionner, faire réagir celui qui entre en contact avec elle; cela s'applique bien ici. Il trouve beaucoup d'exemples convaincants dans des objets océaniens (les proues de pirogues faites pour "enchanter")... moi je l'aime bien ce "fétiche"... Pour le Musée du Quai Branly, il a le mérite d'exister (certes à grand frais et on n'a certainement pas prévu des budgets de fonctionnement; j'ai déjà remarqué des vitrines en Afrique en train de se délabrer...). Je le prends pour un musée où chacun le parcourt avec sa perception, une sorte de parcours des sens. Par exemple, je regardais un masque Egungun reconstitué sur un mannequin : la tête est enfermée dans une petite "boite" et le costume, magnifique, grands pans de couleurs chatoyantes (cf. photo). Un petit enfant passe devant et dit à sa mère : " Il me fait peur , on dirait un fantôme"; et sa mère de lui répondre "Mais, non c'est une robe de belle dame".. en fait il s'agit de masque pour des cérémonies rappelant les ancêtres... Pour les étudiants et chercheurs, la médiathèque qui a hérité de tous les fonds du Musée de l'Homme est une merveille. C'est aussi le lieu de nombreuses manifestations. On reprochera que la place promise pour des expositions d'art contemporain n'est pas encore là et que c'est une grosse grosse machine... il n'y a pas que du blanc et du noir !! et j'avoue que sur "Regard d'homme blanc" et "regard d'homme noir"... on n'a pas épuisé la question; mais j'ai une petite anecdote sur ce qu'est la beauté pour un habitant du Vanuatu que je te raconterai par mail, car pour une fois je m'étends beaucoup dans ce commentaire !!!
Commentaire n°1 posté par Lyliana le 25/06/2007 à 18h21
pfff... tu modères ou quoi ??? j'avais écris un long comm', pourquoi il apparait pas ????
Commentaire n°2 posté par laurence le 25/06/2007 à 21h53
Est-ce de l'art ? pour moi oui, en regard de ce qu'on fait les artisans européens, qu'on appelait pas artistes à ce moment là, qui n'ont pas signé leurs oeuvres, on retourve parfois une marque de tacheron, qui  fait une marque pour être payé.
Le musée du quai Branly m'a enthousiasmée, je me classe dans tes propostions, dans les touristes dans ce domaine précis. De pénétrer dans le musée, lumière tamisée, ambiance feutrée, pas de hurlements de guides, ni de touristes péremtoires, possibilité de suivre ma visite en me posant souvent, tout cela est fort agréable et instructif. Je ne pense pas que je serai allée au musée de l'homme. Quant aux questions  que certains  se posent, s'il faut restitué ces objets, je pense que certains proviennent de dons et ce serait tout à fait impoli que de les rendre. D'autres proviennent de piratage c'est indéniable, que les galeristes et les marchands profitent de l'aubaine, celà est toujours le cas depuis l'avènement des marchand. Au fond cher holbein, si je n'avais pas passé une si bonne visite, j'aurai mauvaise conscience, je me suis promis d'y retourner pour approfondir les autres secteurs.
Commentaire n°3 posté par Elisabeth le 25/06/2007 à 23h30
Questions difficiles que tu poses là.
Quelques réflexions, en un vrac pas du tout rangé :
- j'avais, sur mon blogue, repris et illustré des extraits d'un article d'Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture du Mali à propos de l'ouverture du musée du quai Branly ;
- et puis je suis allé visiter (tout récemment) ce musée ; j'ai été saisi par la beauté du lieu et la scénographie ; j'ai oublié Aminata Traoré ; et puis j'ai repensé à son cri quand j'ai vu une femme de ménage au fond du musée ;
- j'ai souvent visité le musée d'art d'Afrique et d'Océanie de la Porte Dorée ; il n'y avait jamais personne (sauf à l'aquarium du sous-sol) et je m'arrêtais souvent, dans un couloir sombre, devant le masque d'un lion (gaïndé, en wolof) ;
- dimanche dernier, il y avait encore une queue de plusieurs centaines de mètres devant le musée du quai Branly où le masque de lion est aujourd'hui introuvable ;
- ce masque (et tous les autres et toutes les statuettes) servait à un rituel ; il était beau, certes, mais sa fonction n'était pas celle d'une œuvre d'art ; en Afrique de l'Ouest, quand un objet ne peut plus assumer, pour une raison ou une autre, sa fonction rituelle, il rejoint les autres objets "déchus" dans une case, une espèce de cimetière ; les acheteurs occidentaux ont un carnet d'adresses, une liste de ces cimetières ;
- les musées de l'ouest africain sont à peu près vides d'objets ;
- la dame à la serpillère entraperçue l'autre jour au musée du quai Branly y travaillera certainement aujourd'hui ; elle traversera la salle aux masques dogon, s'en ira réassortir les WC en papier toilette.
Commentaire n°4 posté par KA le 26/06/2007 à 03h37
Bon, je réécris (de tête, et en moins long) mon commentaire : je disais que j'avais visité le quai Branly pour la première fois la semaine dernière, pour le vernissage des deux expos actuelles (dont les thèmes me semblent par ailleurs très anecdotiques...). un peu mal à l'aise en voyant que le personnel est originaire d'Afrique et que tous les invités sont occidentaux... Pourtant, je pense que le QB doit bien avoir dans son carnet d'adresses celles de représentants africains en France. Veulent pas venir ? ;-)

J'aimais bcp le musée de l'homme, parce que les cartons jaunis montraient bien qu'il était daté : on a les écrits des intellectuels qui à l'époque (colonisation / décolonisation oblige) se passionnaient pour ces pays : il y a bien évidemment des correspondances entre la façon dont ces objets étaient exposés et la manière des intellectuels de l'époque d'appréhender cette création (ne serait-ce que parce que Leiris avait accompagné Griaule, et parce que les artistes de l'époque, via Minotaure et Documents, avaient suivi l'expédition Dakar Djibouti). Mais les sociologues, sémiologues etc. d'aujourd'hui ont aussi du boulot s'ils veulent rendre compte de la manière dont on perçoit le continent Africain (principalement) à partir de notre façon d'exposer leurs objets. Ce doit être passionnant à faire !
Bref, je suis quand-même contente d'avoir vu ce musée. J'ai traîné longtemps dans le jardin (très agréable !) en lisant "Réflexions sur l'esclavage des nègres" de Condorcet - acheté sur place, 2,5 euros, aux éditions Mille et une nuits. Lecture indispensable, même si c'est déprimant de lire un texte aussi "novateur" daté du 18èS, et de voir qu'encore aujourd'hui, l'égalité prônée par Condorcet n'est toujours pas là (ne serait-ce que pour l'accès à la culture, évidemment visible quand on visite le QB).
D'accord avec toi, il faut s'intéresser à l'Afrique Contemporaine. Dommage que Beaubourg ne s'intéresse aux artistes africains qu'à l'occasion d'Africa Remix - d'autant plus dommage que s'il est un continent ouvert, qui a su intégrer les autres cultures à son art, c'est bien l'Afrique ! il faut aller voir la galerie "Musée des arts derniers" : www.art-z.net
Commentaire n°5 posté par laurence le 26/06/2007 à 09h03
>Lyliana : merci pour ta réaction car je sais que ces questions-là t’intéressent ; ton excellent blog le montre régulièrement. Ta contribution, encore une fois fait avancer notre questionnement et tu as un avantage sur nous tous c’est que tu t’appuies sur des exemples précis.
La conception de l’œuvre d’art conçue pour impressionner, faire réagir, reste efficace dans pas mal de cas et on va trouver cette conception et ses variantes partagées encore aujourd’hui (« l’art : ce qui dérange », etc.). Et le musée peut aussi prendre le relais de cette conception jusque dans sa scénographie.
J’ai adoré la définition de la Beauté pour l’habitant du Vanuatu ! (private)
>Laurence : ton comm est malheureusement resté dans ta machine, je n’en ai aucune trace. Aurais-tu le courage et la gentillesse de le reposter (de mémoire) ?  car je suis très curieux d’en connaître le contenu…
> Elisabeth : tu as raison de rappeler l’évolution de la notion d’«art» et de la distinction, bien souvent improbable, entre art et artisanat.
La question de la restitution des objets est une question complexe. Cela part évidemment d’un bon sentiment mais l’on sait aussi que la mémoire d’un très grand nombre d’objets a été conservée grâce au fait que ces objets avaient été collectés et préservés à l’étranger. Ce qui a permis, entre autre, de donner corps à certains pans de l’histoire de la culture de beaucoup de pays africains.
> KA : je me rappelle les propos d’Aminata Traoré qui avaient jeté un pavé dans la grosse mare ! Lyliana y avait aussi fait référence dans son blog (également de référence) il y a un an.
C’est vrai que ce musée est une sorte d’écrin qui favorise une certaine scénographie.
Je me rappelle, de mon côté, une autre présentation : celle du Musée de l’Homme très désuète, poussiéreuse, avec des vitrines accumulées, des objets empilés, des cartels jaunis aux textes tapés à la Remington… (il y avait un côté Tintin, « l’oreille cassée »…). Un charme au second degré.
Si les musées de l’ouest africain sont à peu près vides d’objets c’est bien que la conception de l’objet (et de l’objet d’ «art » en particulier) n’a rien à voir avec celle pratiquée en occident.
Quant au versant social auquel tu fais référence, on ne peut indéniablement pas en faire l’économie, et c’est pour cette raison que j’ai évoqué de mon côté le triste sort des émigrants qui se noient au large des côtes de l’Europe (voir photo dans le billet). Et il faut bien comprendre que c’est aussi notre problème. Il conviendrait de réagir plus énergiquement et plus efficacement.
Commentaire n°6 posté par espace-holbein le 26/06/2007 à 09h48
Un extrait de ce qu'Aminata Traoré avait écrit (billet) sur mon blog, il y a un an)... j'avais été à l'inauguration, et c'est vrai , je me souviens que la première vision fut de voir des jardiniers noirs à genoux pour terminer à la hâte le jardin, des hommes de ménage, à l'intérieur, à genoux toujours... cette image m'avait beaucoup frappée puisque tous les invités étaient blancs, comme "s'ils l'avaient fait exprès" !!! Les musées d'Afrique de l'Ouest ne sont pas tous vides d'objets, il y a beaucoup d'initiatives entreprises ces derniers temps (Grassland camerounais, Gabon); il y a aussi des pays où les choses ne sont pas si simples et nous ne portons pas la culpabilité de tout !
Commentaire n°7 posté par Lyliana le 26/06/2007 à 09h51
Holbein : nos commentaires se sont croisés, et je ne voudrai pas qu'on fasse un contre-sens sur ma dernière phrase; elle ne concernait que les musées africains... pour le sort de ces émigrants que tu évoques, c'est effectivement notre problème.
Commentaire n°8 posté par Lyliana le 26/06/2007 à 09h57
>Laurence : je vois que nos commentaires se sont croisés. Merci pour ta "re-rédaction".
D'accord avec toi. Je vois que nos références au Musée de l'Homme sont communes...
A Beaubourg, peut-être. Mais il y a quand même des artistes représentés (Frédéric Bruly-Bouabré, par ex) mais surtout il y a eu cette magnifique exposition (qui, plus qu'une exposition a été une démarche très forte) en 1989, à l'initiative de Jean-Hubert Martin : intitulée «Magiciens de la Terre» où l'on a pû voir vraiment des productions d'artistes contemporains de toutes origines (y compris africaine). Ca a été un déclencheur. Un moment inoubliable, pour moi, en tout cas. Avec, accessoirement, sortie d'un catalogue somptueux.
Commentaire n°9 posté par espace-holbein le 26/06/2007 à 10h00
Oui, mais 1989, c'était il y a presque 20 ans ! J'ai vu le catalogue, superbe tu as raison : introuvable aujourd'hui, mais on peut le consulter au musée des arts derniers. Il y a d'ailleurs à la galerie une expo de Soly Cissé, qui commence jeudi. C'est un artiste très important, à mon goût (surtout, les dessins, plus que la peinture). A saint Brieuc, plusieurs expos intéressantes d'art contemporain africain ont eu lieu cette année. Si j'étais riche, j'investirai d'abord dans ces artistes :-) !
Commentaire n°10 posté par laurence le 26/06/2007 à 11h09
Mais tu es riche, Laurence : il n'y a pas que l'argent !
;-)
Commentaire n°11 posté par espace-holbein le 26/06/2007 à 11h17
Hou, je viens de me relire, mon commentaire est truffé de fautes, honte à moi !
Commentaire n°12 posté par Elisabeth le 28/06/2007 à 23h58
Hello,

J'ai attentu avec impatience l'ouverture du Musée du Quai Branly. C'était pour moi passionné d'art aborigène, la reconnaissance majeure d'une culture et d'un peuple bien souvent méprisé.

Quelques mois avant l'ouverture j'adhérais à l'Association des Amis du Musée pour marquer mon enthousiasme et m'ouvrir les portes même aux moments de grande affluence.

J'y suis retourné 7 fois sur 2006 à l'occasion de WE sur Paris, avec mes proches, un peu comme une découverte, un parcours initiatique.
Et c'est peu dire. Le jour de l'ouverture une lampe de poche était nécessaire pour lire les inscriptions accompagnant les oeuvres. Un peu comme rentrer dans une grotte et chercher à distinguer les gravures sur les parois. :-)

La section d'art aborigène est passionnante avec des peintures d'Utopia, Papunya ou des territoires du Nord : oeuvres de Kathleen Petyarre, Dave Ross pwerle, Rover Thomas, d'Helicopter, du grand John Mawurdjul... et j'en passe.

Quelques petites vidéos permettent de mieux comprendre le sens caché des motifs dans l'étonnante grotte aux écorces peintes réunies par Karel Kupka. Mais ne sont pas faciles d'accès tant les places sont chères.

Je ne m'en lasse pas. Mais je dois avouer que ce musée suscite au moins différentes questions :

- comment peux-t-on inviter ainsi au dialogue universel entre toutes ces civilisations de tous les continents en excluant l'Europe, grande absente des salles d'exposition ?

- cela me gène moins mais le paradoxe est intéressant. Un état laïc, républicain, souvent complexé vis-à-vis de la religion, met dans ce musée en avant toutes les spiritualités du monde, les grandes religions, car il s'agit bien de cela.  Mais encore la seule absente est la religion chrétienne (enfin celle de Rome car il y a bien les coptes).

J'ai par contre observé avec amusement un témoignage audio et vidéo à l'étage sur les grands écrans consultables, traitant de la vallée de l'Ubaye (Barcelonnette), et de leur culture de l'écriture. Dés le XVIIe siècle il n'existait dans ces pauvres vallées de montagne aucun analphabète, de nombreuses années avant Jules Ferry. Témoignage d'autant plus étonnant qu'il cohabite avec des vidéo sur la Papouasie, des langues rares... mais encore rien d'autre sur l'Europe.

Nous n'aurions donc pas eu d'arts premiers en Europe ?

Pourrions-nous ranger dans cette catégorie les robes brodées, certes magnifiques, provenant d'Afrique du Nord, ou de Chine et datant du XIXe siècle, pourtant exposées au Quai Branly ? Sans parler de papiers imprimés du Japon au XIXe également.

Cette famille des arts premiers semblent bien vaste et peut-être un peu opportuniste.

J'aime cependant cette idée d'arts vivants, en comparaison du Musée Guimet qui traite de "civilisations mortes". Mais cela est-il suffisant et comment classifier dés lors les poteries d'Amérique du sud datant du 4e siècle, et joliment présentées dans les vitrines ?

Vous le voyez un Musée qui ne me aisse pas indifférent.
Amitiés,
Bertrand
Commentaire n°13 posté par Bertrand le 17/07/2007 à 00h34
>Bertrand : je vois quelqu'un de passionné ;-) et c'est agréable.
Ce musée pose en effet beaucoup de questions et celle de l'espèce d'exclusion subie par l'Europe tant dans sa dimension religieuse  que dans celle relative à son «hypothétique» non-production d'arts premiers est vraiment intéressante. C'est un point qui ne m'avait pas effleuré tant on a l'habitude d'aller dans ce type de musée pour y voir des objets originaires de pays lointains. Est-ce une question de place ? Une question idéologique ? Un parti-pris scientifique ?
Merci en tout cas pour cette reflexion qui permet de voir les choses autrement.
Amicalement.
Commentaire n°14 posté par espace-holbein le 17/07/2007 à 21h51
Un blog de collectionneurs piéces diverses de l'Afrique de l'ouest et de l'Afrique centrale. Le propos est d'enrichir le discours à partir d'exemple pour transmettre et faire apprécier la diversité de ces cultures.
Commentaire n°15 posté par bout de bois le 02/11/2007 à 10h54
au sujet  des oeuvres  du quai Branly,  je viens  de publier  cet article, prenant pour base les  croquis  que  j'y ai effectués  fin 2009
Commentaire n°16 posté par chabriere le 21/01/2011 à 20h34
C'est effectivement toujours intéressant d'aller dessiner  directement, sur le motif. Les choses apparaissent que je n'avais pas vues.
Réponse de espace-holbein le 22/01/2011 à 08h51
         

jeudi 21 juin 2007

GILBERT & GEORGE

  GILBERT & GEORGE
mêlés malgré eux à un meurtre



gilbert-george2.jpg 
GEORGE : Il nous est arrivé une histoire invroyable. Nous revenions d'Athènes, complètement épuisés...
GILBERT : Á la fin d'une exposition, on est à plat. On trouve la porte de chez nous, sur les genoux. Mais chaque fois que nous pensons : «la vie est ennuyeuse», cela repart, quelque chose se passe...Tu ne crois pas George ?
GEORGE : Cette fois-là, nous avons trouvé un fax, écrit à la main, de la police du New Yorkshire... Rien qu'à voir cet en-tête, cela faisait plutôt peur... «Chers Gilbert & George, nous souhaitons vous interroger sur un assassinat...une femme trouvée morte, assassinée, dans une valise, une femme recouverte d'un ruban adhésif dessiné par vous.» Ils sont venus nous interroger.
GILBERT : Un choc !
GEORGE : Terrible. Première question : Est-ce qu'une de vos œuvres traite de la violence envers les femmes ?» Puis «Une de vos œuvres traite-t-elle de l'asservissement ?» J'ai failli dire non, à part Human Bondage I... et ... On en a tout une liste ! Donc j'ai juste dit «non».
GILBERT : Comme la jeune fille était coréenne, il nous a demandé si nous fréquentions les milieux coréens...
GEORGE : Mais tous les artistes sont mêlés au milieu coréen ! Nous avons tous des amis coréens ! Nous fréquentons tous des restaurants coréens! Nous y avons même un ami serveur. Le ruban adhésif venait de la boutique de la Tate : à partir de notre œuvre Death Hope Life Fear, ils en ont fabriqué un avec les mots Hope et Life.


Enrubanner un corps avec les mots Espoir et Vie : c'est faire preuve du cynisme le plus cruel !

GEORGE :  Le policier a vite compris que nous n'avions rien à voir là-dedans. Mais si la fille avait été retrouvée dans un sac en plastique de Sainsbury, jamais la police ne serait venue interroger le directeur de Sainsbury.
GILBERT : Et certains journalistes, comme ceux de l'Evening Standard, ont suggéré que nous étions presque responsables...
GEORGE : ... que les artistes traitant de tels sujets sont suscpetibles d'encourager ces comportements...
GILBERT : Nos images comme appels au meurtre ? C'est très drôle. Dans le Daily Times, Richard Cook, un journaliste établi, a dit à cette occasion, et pour la première fois, que nous étions les artistes les plus téméraires au monde...
GEORGE : ... que nous avons évoqué tous les sujets que les gens rencontrent un jour dans leur vie, tous les désastres...
GILBERT : Ce fut la première et la dernière fois qu'il nous fit ce compliment. Encore que, replacé dans le contexte, c'était à double tranchant !



Extrait de GILBERT & GEORGE Intime conversation avec François Jonquet,
Éditions Denoël, 2004, p 343

illustration exraite de la même page ©Gilbert & George

gilbert-george2.jpg 
                   
                   

lundi 18 juin 2007

Christophe de BRESSIEUX

  Christophe de BRESSIEUX
galerie Tanya Haddad
jusqu'au
21 juillet 2007


de-bressieux-200.jpg Christophe de Bressieux est un artiste qui a montré  peu de choses jusqu'à présent, si ce n'est dans des lieux assez inhabituels ou dans des circonstances  souvent particulières. Son travail se caractérise par une production  éclectique et particulièrement énigmatique dans ses centres d'intérêt et la mise en scène de ses œuvres.
La galerie Tanya Haddad lui donne aujourd'hui l'occasion de montrer des travaux purement photographiques d'une grande sobriété et d'une grande force. Il s'agit d'une série intitulée L'Envol de la Mésange présentant de très grands tirages du petit oiseau apparemment mort, sans blessure apparente. Une belle forme propre, délicate, où la notion d'espace est à la fois perturbée par l'immensité du sujet et la neutralité du fond. Les points de vue sont variés d'un tirage à l'autre et la mise au point est faite à chaque fois sur un détail différent de la mésange : tantôt une plume particulière de l'aile, tantôt le bec ou bien encore le duvet du ventre jaune ou le gris bleuté d'une patte.

Le titre de cette série est énigmatique :
L'Envol de la Mésange. Il y a en effet une contradiction à nommer "envol" une représentation figée et définitivement figée puisqu'il s'agit d'un petit animal sans vie. Nous sommes vraisemblablement en présence d'une des nombreuses variantes des Vanités si chères au XVIIe siècle. Le précieux petit animal aux couleurs délicates dont la particularité est de voler -chose que l'homme ne fera jamais- est pétrifié, figé dans la mort, tout en gardant à la fois son intégrité physique et toute l'étendue de sa séduction.
La taille exagérément grande de l'oiseau représenté sur les tirages renvoie à l'échelle humaine et le spectateur à ses propres interrogations. Et c'est bien là que ce travail exerce une grande force dans sa retenue, sa sobriété et son pouvoir de conviction.
                   
                   
photographie de l'auteur
(
œuvres : photographies couleur sous diasec)

galerie Tanya Haddad,
7
place Jean Grandel,92230 Gennevilliers
jusqu'au 21 juillet 2007

Commentaires

Je ne connaissais pas le travail de cet artiste, mais la description qui en est faite ici me pousse à en savoir davantage.
Merci pour cette découverte !
Commentaire n°1 posté par Thilo le 19/06/2007 à 15h23
C’est un artiste assez surprenant : j’avais vu, il y a deux/trois ans, une expo intitulée «Les inmontrables» à Dieppe où il présentait des tirages photographiques un peu mal fichus montrant des boîtes de purée ou de nouilles alignées sur des rayons dans un hypermarché  et l’on repérait sur ces paquets des petites illustrations ou de petites photos collées furtivement par ses  soins sur certains emballages et en total décalage avec le produit vendu. Dans l’expo, à côté des photos épinglées au mur était écrit : «Suite de l’expo, rayon démaquillants (ou pates alimentaires, ou autre), supermarché Auchan, Dieppe.»
Il existe aussi une vidéo (que je n’ai pas vue) qu’il a tournée dans un chenil ou à la SPA montrant des plans de chiens qui hurlent, et au montage il a intercalé des airs d’opéra filmés chantés par des ténors et des cantatrices connus. C’est paraît-il à la fois drôle et inquiétant.
Commentaire n°2 posté par espace-holbein le 20/06/2007 à 07h22
                   

samedi 16 juin 2007

Gerda TARO

   Gerda Taro

L'ombre d'une photographe, Gerda Taro
François Maspero
Éditions du Seuil, collection «Fiction & Cie», mars 2006


taro1-200.jpg C'est l'histoire d'une très belle figure, celle d'une femme libre et engagée ; une figure oubliée.

Gerda Taro va avoir vingt-sept ans. Gerda, reporter-photographe, est tuée sur la route de Madrid alors qu'elle ramène le reportage qu'elle a fait des violents combats qui viennent de se dérouler à Brunete. On est le 25 juin 1937.

Gerda est cette femme au visage d'ange qui a partagé un temps la vie de Robert Capa ; ils ont travaillé ensemble et vécu les mêmes terreurs, les mêmes joies, les mêmes émotions. Son souvenir n'est malheureusement resté que dans l'ombre du «plus grand reporter de guerre de tous les temps».

François Maspero fait revivre, dans ce très beau livre, le destin éblouissant de cette femme née à Stuttgart, militante anti-fasciste, qui va quitter l'Allemagne pour voyager en France, va croiser Aragon, Nizan, Brecht, Anna Seghers, John Heartfield, Koestler, Hemingway, Dos Passos et d'autres encore, s'engager passionnément aux côté des républicains espagnols tout en étant correspondante, notamment, du quotidien communiste Ce soir et en fournissant des témoignages photographiques de première main  à des parutions de l'époque comme Regards ou Vu.

L'ouvrage débute sur une fiction, un épisode où l'on voit François Maspéro interviewant chez elle une vieille dame qui ne photographie que des chats, une dame encore vive pour ses quatre-vingt-dix ans passés, entourée de photographies jaunies, une Gerda Taro qui ne serait pas morte sur une route d'Espagne en 1937, quelques jours avant son anniversaire.

C'est en septembre 1934 que Gerta Pohorylle -qui va devenir Gerda Taro-  rencontre André Friedmann, le pas encore Robert Capa. Un sans le sou mais plein de charme. D'elle, on dira que «la séduction qu'elle exerçait ne venait pas seulement de sa beauté féminine. C'était une femme intelligente et cultivée qui impressionnait par son naturel et sa spontanéité.»* C'est à cette époque -1935- qu'elle débute et apprend la photographie.
Et puis elle va inventer Robert Capa ! Une idée loufoque qui va devenir un coup de génie dit Maspero : «Un jeu qui est bien dans leur caractère à tous deux : créer un personnage, celui d'un photographe américain, riche et célèbre outre-Atlantique -exactement le rêve d'André-, venu un temps travailler en Europe. Cher, bien entendu. Beaucoup plus cher que le tâcheron André Friedmann. Celui-ci se chargera de faire les photos, et elle de les vendre, grâce aux relations et au savoir-faire acquis à Alliance. (agence au sein de laquelle œuvrait Gerda). A ce personnage, il faut donner un nom : ce sera Robert Capa.»**

Et l'on sait ce que deviendra ce nom. Et c'est de ce nom générique qu'il signeront dans un premier temps leurs photographies, si bien qu'un certain nombre d'entre elles sont difficiles à attribuer. Plus tard Gerda signera de son nom ces prises de vues humanistes qui sont des prises de risques constants. Sa courte vie fourmille de rencontres, d'anecdotes, d'engagements  que François Maspero nous fait partager avec beaucoup d'empathie.

Si ce n'était les bombes, la fréquentation quotidienne de la mort et la période trouble, on aurait aimé la croiser.

                   
                   
                   
photographies de Robert Capa, 1937, extraites de l'ouvrage de François Maspero, L'ombre d'une photographe, Gerda Taro, Éditions du Seuil, mars 2006,  p 67
* extrait de l'ouvrage, p 47
** ibid, p 50



  
L'ombre d'une photographe, Gerda Taro,  François Maspero
Éditions du Seuil, collection «Fiction & Cie», mars 2006

                   

Commentaires

¡ No Pasaran !
;-)
Une grande photographe, oui ! (revoir les numéros de VU...)
Commentaire n°1 posté par laurence le 17/06/2007 à 13h30