mercredi 27 novembre 2013
vendredi 1 novembre 2013
Théâtre du Monde, la Maison Rouge
Théâtre du Monde, La Maison rouge | |||||
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David Walsh est un collectionneur atypique qui abrite son étonnante collection dans un musée qu'il a
fait construire en Tasmanie sur une presqu'île non loin de la ville d'Hobart : le MONA (Museum of Old and New Art). Une partie de cette collection est actuellement visible à la
Maison rouge, à Paris. Si la Maison rouge nous a habitués -depuis un certain nombre d'années- à la présentation de différentes collections, celle-ci se distingue franchement tant dans son
contenu que dans son mode d'exposition et de partage. Cette collection est composée de pièces a priori extrêmement hétéroclites qui vont du sarcophage égyptien à la vidéo d'art
contemporain en passant par des pièces d'art premier de toutes origines mais on y rencontre également des objets usuels, des pièces de monnaie, des tableaux
classiques ou très actuels, des accessoires du quotidien, des dessins, des installations, etc.
L'entrée de l'exposition, nommé Épiphanie, se fait par un long couloir sombre et bordé -d'un côté- de vitrines destinées à exposer de mystérieux objets (2) et -de l'autre- d'un accrochage fait de peintures (3), de cartes, de dessins ; ce parcours nous amenant dans un espace ténébreux où sont rangés soigneusement des objets variés et éclairés de lumières vives (1). |
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Éclectique serait sûrement le premier terme qui viendrait à l'esprit et qui viserait à qualifier une telle exposition. En effet, au premier abord, cette accumulation de pièces empruntées à des catégories si différentes, à des origines géographiques tellement variées, à des époques très anciennes ou au contraire complètement contemporaines tend à perturber le visiteur. Mais, très vite, au fil de sa visite, on sent les intentions, on décèle les rapprochements, on perçoit l'esthétique à l'origine d'un tel accrochage. Aucun cartel mais de simples numéros qui renvoient aux références de la plaquette. Et une visite construite comme un parcours, comme une déambulation qui produirait des chocs esthétiques et des interrogations sur la nature de ce que nous voyons et sur notre définition de ce que serait l'art pour chacun d'entre nous. | |||||
D'évidence, le registre des sensations est visé, ce qui n'exclut évidemment pas la connaissance et la réflexion. De fait, au fil du parcours, le visiteur traverse des cellules d'exposition qui toutes portent un nom : Épiphanie, Rétrospection, Champ, Genèse, Division, Duo, Apparition, Domestiquer, Mutation, Croisement, Abstraction, Majesté, Civilité, Conflit, Aura, Trier, et Au-delà ; autant d'appellations renvoyant à un imaginaire, à une poétique des objets constituant notre monde. Un monde recréé ici comme un théâtre : le Théâtre du Monde... | |||||
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Cette configuration renvoie aux cabinets de curiosités, les ancêtres de nos musées. L'audace ici est de faire cohabiter des objets sans hiérarchie apparente, que ceux-ci aient été la conséquence d'une volonté d'art ou bien, soient le résultat d'un travail artisanal ou même simplement la trace d'une expérience technique (on verra, par exemple, dans l'espace d'exposition intitulé Conflit, un test de verre blindé de la Ridson Prison en Tasmanie qui, à proximité d'œuvres d'art véritables, trouve sa légitimité). | |||||
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Le commissariat de cette exposition Théâtre du Monde a été confié à Jean-Hubert Martin (6) qui avait provoqué un bouleversement considérable -on s'en souvient- en montrant Les Magiciens de la Terre au Centre Georges Pompidou en 1989. Cette exposition avait marqué un tournant car pour la première fois un commissaire d'exposition montrait conjointement l'avant-garde occidentale et le travail d'artistes absolument inconnus originaires de partout dans le monde. Ceci avait provoqué un débat virulent sur la valeur de la création artistique en dehors des circuits habituels de l'art. | |||||
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Admirateur de Jean-Hubert Martin, David Walsh fait appel à ses services depuis 2007. Et tout
naturellement on retrouve l'esprit de l'ancien conservateur du Centre Georges Pompidou dans ce que nous voyons de la constitution et de la présentation des collections de Walsh.
David Walsh prône une sorte d'anti-méthodologie de la conservation muséale : "Ce que je préfère, déclare David Walsh, c'est qu'un visiteur revienne plusieurs fois -comme peuvent le faire de nombreux Tasmaniens. La première fois, il peut se contenter de regarder les œuvres, puis, la seconde fois, les mettre en contexte à l'aide du "O" , [une application iOS qui fonctionne sur ipod qui est fournie aux visiteurs du MONA]. Et quand il rentre chez lui, l'intégralité de la visite a été chargée sur son ordinateur. Si on va plus loin et qu'on imagine une nouvelle Renaissance, affranchie de la contrainte d'expliquer les choses, je pense qu'on arrive au travail de Jean-Hubert" *. |
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David Walsh est d'une certaine façon un provocateur qui malgré tout sait prendre des précautions et anticiper la critique : au moment de la création de son Museum of Old and New Art, il a lui-même qualifié son musée de "Disneyland subversif pour adultes", une manière de marquer ses distances par rapport à l'institution muséale et de remettre en cause l'approche classique -notamment liée au discours- en pratique dans les musées officiels du monde entier. C'est également une stratégie visant à prévenir la critique qui lui sera faite de vider le musée de toute réflexion, de tout mettre au même niveau -y compris des pièces qui n'auraient aucune valeur artistique- en installant à la place du musée une sorte de parc de divertissement qui mettrait en scène le spectaculaire. Il déclare dans un interview au Figaro.fr : "[Néanmoins], mon musée est aux antipodes des musées publics. Leur but est d'être des dépositaires de sagesse. Le mien est d'explorer le doute. De faire s'entrecroiser les choses, plutôt que d'en prêcher une". | |||||
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Cette démarche -même si elle se veut détachée de tout discours- participe néanmoins d'une réflexion très actuelle autour de la redéfintion et de la mission du musée. L'impulsion donnée par Jean-Hubert Martin n'y est évidemment pas pour rien. Sa connaissance de l'art contemporain liée à son engagement en tant que prospecteur d'artistes vivants issus des cinq continents l'ont amené à réévaluer les critères d'appréciation à grande échelle et surtout à faire se croiser des circuits qui jusqu'alors évoluaient parallèlement (ou bien étaient même totalement invisibles, pour certains). | |||||
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En ce sens, l'impact de l'exposition Magiciens de la Terre a été forte et n'a pu laisser que des traces dans la conception des musées après 1989 (année de cette exposition). Il s'agissait pour eux -au moins pour ceux qui engageaient une véritable réflexion sur leur fonction- de s'adapter, d'évoluer, sans pour autant abandonner leurs missions premières qui relèvent -entre autres, et sans doute a minima- du patrimoine et de l'éducation (et aussi de la délectation...). | |||||
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Catherine Grenier dans un ouvrage récent, La fin des musées ? (Éditions du Regard, Paris, 2013) évoque la question de la distinction entre musée d'art et musée de civilisation. Elle rappelle (p27) que "Les « études postcoloniales » qui se sont développées depuis les années 1980 ont engagé une critique de l'histoire de l'art occidentalo-centrée et entraîné la revalorisation des formes d'art pratiquées dans les pays non-occidentaux comme dans les espaces jugés « périphériques » et poursuit (...) : Depuis l'exposition "Magiciens de la Terre" (Centre Georges Pompidou) en 1989, jusqu'à la première Documenta «mondialisée» conçue en 2002 par Okwui Enwezor, la géographie culturelle de l'art contemporain comme celle de l'art moderne se sont considérablement élargies". Elle affirme (p29) que : "Le premier terrain d'expression des nouvelles narrations qui caractérisera cette histoire de l'art décentrée et ouverte sera le musée, qui doit participer activement à cette réécriture". | |||||
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Catherine Grenier -dans l'ouvrage cité plus haut La fin des musées ?- écrit (p49) : "La frontière entre « art moderne » et « art traditionnel », que l’on a établie comme une règle s’agissant des pays non occidentaux, est-elle encore valide pour les musées, alors que, depuis « Magiciens de la Terre » présentée en 1989 au Centre Georges Pompidou, de nombreuses expositions de référence l’ont abolie ? L’art tribal indien ou l’art aborigène, dont les artistes migrent de plus en plus vers le marché de l’art mondial, relèvent-ils des musées ethnographiques ou des musées d’art moderne ?" | |||||
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Dans l'exposition
Théâtre du Monde beaucoup d'œuvres «traditionnelles» sont présentées, et
notamment dans une salle superbe nommée Majesté (5) composée d'un accrochage/installation d'étoffes d'écorces à motifs géométriques
(tapas) d'origines géographiques différentes et qui témoignent toutes d'un degré artistique supérieur. Leur juxtaposition et l'effet d'accumulation leur confèrent autorité et respect. La
confrontation avec deux pièces radicalement différentes placées au centre de cet espace (mais d'un niveau artistique équivalent) -un sarcophage égyptien et une sculpture de
Giacometti-, vient là pour étayer l'idée d'artificialité de la distinction entre
« art moderne » et « art traditionnel ».
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Cette conception d'un art fait d'hybridité, d'hétérogénéité, de confrontations souvent surprenantes mais fécondes voulue par David Walsh , semble progressivement s'installer, faire son chemin, y compris dans les présentations des collections permanentes traitées de manière thématique comme celle du musée d'art moderne au cinquième étage du Centre Georges Pompidou qui vient d'ouvrir ses portes sous l'appellation "Modernités plurielles". Ce nouvel accrochage procède d'un rééquilibrage des différentes régions du monde et fait état d'une vision plurielle, tant historique qu'esthétique. Cette présentation dynamique, extrêmement renouvelée, faite de confrontations de pièces empruntées à des univers artistiques, culturels ou géographiques variés et souvent très lointains répond en tous points à cet état d'esprit décrit plus haut. Il se trouve que c'est Catherine Grenier qui a été à l'origine de cet accrochage... | |||||
* Déclaration de David Walsh dans un article du magazine Artpress N°405 de novembre 2013, p48 | |||||
ŒUVRES | |||||
plusieurs photographies de cet article ont été empruntées à différents sites dont voici les références : | |||||
-1. Cellule de l'exposition intitulée Rétrospection (photographie personnelle). Différentes pièces sont présentées au plafond, (notamment des
massues des îles Fidji) ainsi que sur trois registres (au centre : un tableau du XVIIe siècle, Noé conduisant
les animaux dans l'arche de Sinibaldo SCORZA, une toile de Sidney Nolan, Dog and Ducck Hotel, mais également un squelette de singe, un encensoir d'église, une couronne de
chef en perles venant du Nigéria, un ventilateur italien, une tête phrénologique, etc.)
-2. Portrait du Fayoum, 100-300 ap J.C. Égypte (source : toutelaculture.com) -3. Dick Tinto montrant à Peter Pattieson son esquisse pour La Fiancée de Lammermoor, 1847, Robert Scott LAUDER (source : The Sydney Morning Herald) -4. Untitled [sans titre] 1991-2011, Jannis KOUNELLIS (source:Figaro, photo : Jean-Christophe MARMARA ) -5. Cellule de l'espace d'exposition intitulée Majesté ; à gauche : Sarcophage de Itnedjes (780-525 av J.C.), Égypte ; à droite : Grande figure. Femme Leoni(1947), Alberto GIACOMETTI ; autour : Tapas (Nouvelle-Guinée, îles Fidji, Samoa, etc.) source :TimeOut-Paris -6. Jean-Hubert Martin, MONA, Photo: Peter Mathew (source : The Sydney Morning Herald) -7. Self-portrait (lying figure, holding leg, four panels), 1990, John COPLANS (photo-arago.fr) -8. Untitled (Osama). Peau de cochon tatouée , 2002-2003, Wim DELVOYE, (source : tasmaniantimes.com) -9. Sarcophage égyptien, (source) -10. Nude with Skeleton (video, 2005), Marina ABRAMOVIC (source, capture d'écran) -11. Dog Duet (duo canin), William WEGMAN, 1972, video (source) -12. O between Fans, 2006, Zilvinas KEMPINAS, video (source) -13. Objets d'arts premiers , (source:Figaro, photo : Jean-Christophe MARMARA ) -14. China China-Bust 82, Ah XIAN, 2004 porcelaine moulée avec décor peint à la main (source) -15. espace d'exposition intitulé Conflit ; on y voit notamment -au premier plan- une œuvre de Jake et dinos CHAPMAN (Great Deeds Against the Dead), une œuvre de Sidney NOLAN (African Monkey) ; Memory of Matter de Petroc Sesti (cire avec trou d'un projectile), un test de verre blindé de la Risdon Prison, un Crucfix de Sidney NOLAN, 1995 (source) -16. espace d'exposition intitulé Genèse ; on y voit notamment une œuvre de John COPLANS, un gong des îles Fidji,(source) -17.Hanging Man/Sleeping Man, Robert GOBER, 1989, sérigraphie couleur sur papier peint, détail (source) -18.Masi kesa (tapa) avant 1970 Îles Fidji, étoffe d'écorce battue, teinture colorée, détail (source) -19.Long homme solitaire, Berlinde De Bruyckere, 2010, détail (source) -20. Kantharos Panticapaeum, Grèce, 320-250 av. J.C. (source) -21. Everyday Happiness , NELL (source) -22. No title (Awelye) , 1994, Emily KAME KNGWARREYE (source) -23. Modernités plurielles, salle des collections d'art moderne du Centre Georges Pompidou (photographie personnelle) -24. Modernités plurielles, salle des collections d'art moderne du Centre Georges Pompidou (photographie personnelle) |
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Théâtre du Monde19 octobre 2013-12 janvier 2014 |
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La maison rouge10 boulevard de la bastille 75012 Paris |
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la maison rouge | |||||
petit journal de l'exposition | |||||
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Commentaires |
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Je me sens plus proche d'un travail sincère comme celui de Christopher Warren dont je viens de découvrir les noirs et blancs ...