lundi 30 avril 2007

Pascal CONVERT - Maubuisson

  Même heure, même endroit
Abbaye de Maubuisson
28 mars-3 septembre 2007

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Même heure, même endroit, est le titre d’une exposition qui se tient en ce moment en un lieu magnifique : l’abbaye de Maubuisson.

Six artistes présentent des travaux créés sur la base de cette proposition thématique qui renvoie à la fois à une actualité médiatisée et à une réflexion sur ce qu'est une image juste.
Le travail présenté par Pascal Convert me paraît particulièrement réussi.
maubuisson28-150.jpg Nous sommes en présence d'une installation qui se compose de trois éléments essentiels : une double stèle faite de cristal transparent et noir représentant le portrait d'une femme, une sculpture sur socle ou podium faite de l'association d'un piano et d'une énorme racine apparemment calcinée et enfin, une vidéo d'une vingtaine de minutes.
S'y ajoutent deux autres éléments constitutifs de l'œuvre : une bande-son et le fait que l'ensemble est plongé dans une pénombre.

Tous ces éléments doivent à priori être considérés à parts égales, à valeur égale ; il ne devrait exister aucune hiérarchie entre eux. Néanmoins la vidéo et le son qui lui est associé dominent et captent notre intérêt.
L'ensemble de cette œuvre, et notamment la vidéo, fonctionne sur l'affect. Pascal Convert s'inscrit délibérément dans le registre des sentiments et de l'émotion et la vidéo est un axe fort allant en ce sens. Elle est la colonne vertébrale de l'œuvre. Cette vidéo peut être considérée selon un découpage en deux temps.
Une courte scène en noir et blanc est placée au tout début de ce film. Il s'agit de l'extrait d'un véritable reportage tourné en Tchétchénie juste après un bombardement. Le paysage est un paysage de désolation. Tout est détruit ou en feu. La scène montre un petit garçon en pleurs , appelant au secours ; on l'entend crier et à plusieurs reprises implorer de l'aide : «Sauvez-moi ! Je vais vous montrer le chemin :appartement 93, porte 22». A l'arrière-plan on devine un corps allongé au sol et en feu. Un corps qui flambe. Un homme bouge ce corps de la pointe de son pied.
Une scène narrative, extraite d'une réalité filmée sur le vif. Une situation empruntée à l'horreur absolue. L'inacceptable.
maubuisson32-150.jpg Suivent des images de type onirique, intégrant beaucoup d'éléments en rapport avec le feu mais également avec l'eau. Le film est soigné, installant des passages, souvent longs, qui projettent des images de manière un peu stroboscopique selon le rythme des battements du cœur. Scansions, répétitions, obsessions. Tout ce qui fait l'ordinaire d'un cauchemar.
Le son et la musique (travail et composition par Bernard Lubat et Alain Minvielle) sont là pour donner de la force aux images. Et inversement.
Ce son est souvent inquiétant, lanscinant, sourd, répétitif, strident. Il va se caler sur une image de mains sous l'eau et l'on entendra le piano seul.
Ces mêmes mains se déchaîneront de manière hystérique, griffant une surface et laissant des traces désagréables à la manière d'ongles qui raient un tableau. Son traité en rapport. Effet insupportable. C'est l'acmé du cauchemar.
De gros plans du visage d'une femme âgée sont projetés en surimpression et rappellent le personnage représenté sur la stèle de verre.
maubuisson21-150.jpg L'imposante racine noire calcinée donne une épaisseur aux scènes de feu, de terreur et de calcination montrées dans la vidéo. L'objet piano joue le même rôle du point de vue du son. Ces objets noirs et fantomatiques sont un peu comme des traces tangibles de l'événement, des preuves qui contribuent à donner corps aux images numériques.
maubuisson30-150.jpg L'intention de Pascal Convert est de transmettre une émotion en essayant de faire partager cette terreur ressentie, vécue par nos semblables. Ce film s'intitule «cauchemars».
Et dans le générique, il est écrit «A ma mère». Les formes plastiques permettent-elles de faire partager cet intime qu'est le cauchemar ?
maubuisson24-150.jpg Le visage représenté dans le film et celui qui figure en ronde-bosse sur la stèle sont-ils les mêmes ?
Non. Le titre de cette installation de Pascal Convert est
Tombe pour Anna Politovskaïa. Cette œuvre a été réalisée en hommage à la journaliste russe assassinée en octobre 2006. Le portrait figuré sur la stèle est donc le sien. Il est intéressant de remarquer que ce personnage d'Anna Politovskaïa adopte la position de la mélancolie : bras gauche replié sous le menton.
Pascal Convert semble ainsi instaurer un rapport mélancolique au monde par le biais de l'œuvre d'art.


A la lecture de la note d'intention qui accompagne l'exposition, nous apprenons que nous avons affaire à la juxtaposition de deux œuvres de Pascal Convert : l'une, Direct indirect III. Cauchemars datée de 2004 (la vidéo) ; et l'autre,
Tombe pour Anna Politovskaïa, composée de la stèle de verre du piano et de la racine, datée de 2007.
En fait, l'organisation de ces deux pièces, si imbriquées et le son qui occupe tout l'espace d'exposition, donnent l'impression d'une pièce unique. Et le tout fonctionne très bien ensemble.



                 
photographies de l'auteur




Exposition, Même heure, même endroit
L’exposition est présentée dans le cadre de la manifestation Hospitalités organisée par TRAM, réseau art contemporain Paris Ile-de-France.

Rue Richard-de-Tour – Saint-Ouen-l’Aumône
01 34 64 36 10
du 28 mars au 3 septembre 2007
                   
                   

dimanche 29 avril 2007

Même heure, même endroit - Maubuisson

  Même heure, même endroit
Abbaye de Maubuisson
28 mars-3 septembre 2007

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Même heure, même endroit, c’est le titre d’une exposition qui se tient actuellement dans un lieu exceptionnel, non loin de Paris : l’abbaye de Maubuisson.
Cette abbaye cistercienne, à proximité de Pontoise, est un endroit magnifique qui abrite depuis pas mal de temps déjà, des expositions d’art contemporain.
Depuis le 28 mars six artistes présentent des travaux créés sur la base d’une proposition thématique qui marque une intention : celle de faire réagir des artistes à une actualité internationale qui a pour habitude de mobiliser des images, sans tri préalable.
Comment réagissons-nous face à cette inflation d’images ? Y sommes-nous préparés ? La pratique artistique nous invite-t-elle à faire ce tri ? Déplace-t-elle les limites, les normes ? Donne-t-elle du relief à une actualité fournie, touffue qui peine à hiérarchiser l’importance des événements ? La pratique artistique, nécessairement subjective, contribue-t-elle à objectiver notre rapport au monde ?
                   
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Toutes ces questions, nous nous les posons en circulant d’un lieu d’exposition à l’autre dans ce bel et immense domaine de Maubuisson.
Dans un corps de l’abbaye, la grange dîmière, Carlos Castillo présente une imposante installation intitulée 35 lieux du monde.
Il s'agit d'une installation composée de plusieurs pièces disposées horizontalement au sol, à même le sable, qui sont des coordonnées géographiques renvoyant à des lieux de vie désormais rayés de la carte (ces lieux étant ceux de destructions liées à la guerre). Au fond de l’espace plongé dans l’obscurité, une immense toile éclairée, difficilement déchiffrable et qui porte des indications liées, elles aussi, à une catastrophe.
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Les bruits assourdissants d’hélicoptères, d’avions de toute sorte et de cris complètent le dispositif. Les visiteurs déambulent dans le sable entre ces coordonnées au sol afin de mieux s’imprégner de cette ambiance lourde et émotionnelle. Une conception d'ordre baroque génère une certaine impression d'autorité.
                   
 
maubuisson4-150.jpg Dans un autre espace, le bureau ovale de la maison blanche est reconstitué en volumes et grandeur nature par un artiste, Benoît Broisat. Le travail a consisté à numériser des images du lieu véritable, à en agrandir les détails puis à les contrecoller sur des supports et des volumes pour enfin les installer dans un espace de passage.
maubuisson6-150.jpg L’agrandissement produit un effet de flou, de déréalisation qui va questionner le regard que l’on porte sur les choses et plus particulièrement les artifices du politique et de ses outils. Il y a en effet un écart qui se créé entre quelque chose qui est bien une image (et une image de «mauvaise qualité», avec ses imprécisions, ses raccords hasardeux et ses couleurs sombres) et un espace réel, un volume dans lequel nous avons le choix de circuler véritablement. Cette déréalisation nous renvoie à un effet de déréalisation plus général.
maubuisson5-150.jpg Ceci concerne la connaissance que nous avons (ou nous croyons avoir) de lieux que nous n’avons jamais vus en réalité. L’artifice revendiqué par ce travail plastique est clairement affiché puisque nous voyons l’envers du décor, ainsi que l’assemblage des différents éléments, loin de toute volonté de faire vrai.


                 
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Dans une salle attenante Olga Kisseleva présente deux installations dans un même lieu, deux installations fondées sur des projections vidéo simultanées. La première, intitulée Doors montre deux surfaces de projection, dos à dos qui ont accessoirement la faculté d’intégrer l’ombre transparente et la découpe du regardeur déambulant.
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Une de ces projections, de très grand format, montre une façade en plan fixe percée d’une porte d’où sortent et entrent des hommes que l’on voit boire du thé, attablés dans la pièce du fond. La scène se passe au Pakistan et elle a été filmée le 11 septembre 2001 au matin.
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Ce que l’on voit sur l’écran plaqué à l’envers correspond cette fois-ci à une scène filmée de l’intérieur. Des individus, vêtus à l’occidentale passent également une porte. Tout se joue entre ces deux espaces dans ces passages qui nous obligent à nous déplacer, nous les visteurs, d’un lieu à un autre, alternativement.
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La deuxième installation d’Olga Kisseleva fonctionne également à base de deux projections qui sont présentées, cette fois, face à face, sur deux murs opposés. On voit sur l’une de ces projections une jeune fille habillée de vêtements colorés, qui se détache sur un fond de sol à bandes horizontales et vient en courant et dansant à la fois, vers le spectateur dans un mouvement continu libre et répétitif, la figure émergeant au ralenti et en fondu enchaîné.
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L’autre projection, celle qui lui fait face, est un film tourné dans l'aéroport de Zürich en caméra cachée. Des hommes en costume et portant mallette passent les grilles de la douane. La caméra est fixe. Le flot est lent. Cette pièce d'Olga Kisseleva s'intitule Border / no border.
Et il s'agit bien d'une histoire de frontières.
L’opposition entre ces deux projections est lourde de contradictions et d'opposition. L’espace du regardeur se situe entre ces deux surfaces animées. Rencontrer ce double espace de projection signifie osciller physiquement de l'un à l'autre et vice-versa afin de mieux en percevoir la dimension.


                 
maubuisson12-150.jpg Plus loin, une petite vidéo courte présente sur un mode apparemment désinvolte et guilleret (la bande-son est composée d'une musique gaie et populaire) l’accoutrement puis la déambulation d’une artiste, Seulgi Lee, déguisée en femme afghane complètement voilée, dans les paysages d’une Corse de carte postale. Les points de vue sont traités de manière alternative : la vision de l’autochtone, à une table de bistro puis, subrepticement celle de l’artiste dont le paysage vu sera filmé par un des trous de la cagoule faite d’un tissu imprimé attaché autour du cou par un ruban.

                 
maubuisson13-150.jpg Trois autres vidéos sont présentées plus loin, œuvres d’une artiste britannique d'origine africaine, Grace Ndiritu. La condition des populations africaines et plus largement de celle réservée au tiers-monde, y est abordée.
Une vidéo, Desert Storm, montre l’artiste, allongée au sol, dont le corps est voilé d’un tulle blanc, se rouler et se déhancher sur un planisphère. Vision aérienne, corps-paysage, peau noire voilée de blanc. Une image sépia, obsédante, trouble, évoque la condition de la femme africaine 
et de ce qu'elle subit en temps de guerre. Un bandeau passant égrène ici  le nom des pays frappés par les conflits.
maubuisson14-150.jpg Une autre, Absolut Native, cadre les pieds de l’artiste qui danse sur une terre sombre, le tout étant souligné par un bandeau déroulant où nous voyons défiler un texte de l'économiste  Joseph Stiglitz,  dénonçant la gestion de la dette des pays du tiers-monde. Identité personnelle et condition du monde vont ici se rencontrer.
maubuisson15-150.jpg La troisième vidéo, Time, a une forme plastiquement intéressante puisqu’il s’agit d’une reconstitution de la couverture du magazine Time dont l’illustration centrale est une figure féminine noire qui bouge à la manière d’un point aveugle, central et mouvant, sans relief, sans détails, au milieu d’un cercle de bougies allumées posées au sol. La forme de cette œuvre retient l’attention du fait de sa surface de restitution qui est un écran traditionnel mais présenté verticalement, donc basculé à 90°. C‘est une manière de nous aider à modifier symboliquement le point de vue que l’on peut avoir sur les choses et sur le monde.


 
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Enfin, le dernier artiste présenté dans le cadre de cette exposition est Pascal Convert qui est l’auteur d’une installation, Tombe pour Anna Politovskaïa, en hommage à la journaliste russe assassinée le 7 octobre 2006.

maubuisson17-150.jpg Cette installation se compose de trois pièces principales qui sont une double stèle verticale faite de cristal transparent et noir qui montre un portrait de la journaliste, une sculpture sur socle, composée d’un piano noir surmonté d’une énorme racine calcinée et enfin d’une projection video doublée d’une bande sonore. Le tout étant présenté dans une pénombre. Cette pièce est travaillée sur un mode émotionnel. Les composantes à la fois politique et mémorielle sont présentes. L’espace d’exposition qui est la salle des Religieuses de l’abbaye confère à cette œuvre un côté solennel et funéraire intense.
   
   
 
Je compte évoquer le fonctionnement de cette œuvre de Pascal Convert plus en détail dans un billet à venir.






Exposition, Même heure, même endroit
L’exposition est présentée dans le cadre de la manifestation Hospitalités organisée par TRAM, réseau art contemporain Paris Ile-de-France.

Rue Richard-de-Tour – Saint-Ouen-l’Aumône
01 34 64 36 10
du 28 mars au 3 septembre 2007


                 
illustrations :

photographies de l'auteur à l'exception de la  :
-1 : extraite de la brochure de l'abbaye de Maubuisson, Abbaye Notre-Dame-la-Royale dite de Maubuisson, (www.valdoise.fr), photos :©P.Lhomel, ©AVDO : L.Baude, C.Brossais, ©T.Liot,   et l'affiche de l'exposition Même heure, même endroit, en surimpression)
-12 :
extraite de la brochure de programmation de l'abbaye de Maubuisson, ABBAYE DE MAUBUISSON mars/septembre 2007, p 5, photo  ©Seulgi LEE
-13 : extraite de la brochure de programmation de l'abbaye de Maubuisson, ABBAYE DE MAUBUISSON mars/septembre 2007, p 17, photogrammes,  ©Grace NDIRITU
-14 : extraite du site performing rights  photogramme, ©Grace NDIRITU -15 : extraite du site axis photogramme ©Grace NDIRITU
                   
                   

mercredi 25 avril 2007

Sigmar POLKE .4

Sigmar Polke
Musée Frieder Burda, Baden-Baden
rétrospective, jusqu'au 13 mai 2007


Sigmar Polke aime utiliser les images. A chaque fois, tu te demandes : c'est une référence, un clin d'œil ?...
Les deux (bah, voyons...) Et plus encore !



                 
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Dürer.  (Le Lièvre). Là, je suis sûr (c'est signé).


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Carl André ? (c'est écrit).
Vermeer ?
Non, ne me dis pas que c'est Wim Delvoye !


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Une photo dans Play-Boy !


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Filliou ? ou bien Beuys.
Peut-être bien Mondrian, va savoir.
A moins que ce soit Marcel Broodthaers. ;-)


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Conceptuel. Oui, conceptuel. Mâtiné suprématiste.


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Et là c'est Warhol ! (genre Do it yourself)


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Et pour celui-là, il faut se mouiller ; bon, tu vois les petits haricots dans le fond ? Et puis le tissu qui pendouille en bas ? Ca te dit rien ? (ça commence par un V)...  Trois indices  impeccables.




Illustrations :

extraites du catalogue

- Dürer Hase, 1968,
©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 39
 - Carl Andre in Delft 1968, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine
Retrospektive
,2007, p 35

- B-Mode, 1987, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine
Retrospektive
,2007, p 64
- Telepatthische Sitzung II 1968, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine
Retrospektive
,2007, p 34

- Höhere Wesn befahlen, 1969,  ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine
Retrospektive
,2007, p 41
-Profil, 1968, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine
Retrospektive
,2007, p 40
-Tischerücken, 1981, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine
Retrospektive
,2007, p 43








Exposition Sigmar Polke, museum Frieder Burda



Commentaires

Je n'avais pas lu cet article sur Polke qui est est très éclairant. J'ignorais totalement, pour ma part, ce rapport à l'utilisation de produits dangereux dans certaines de ces oeuvres. Merci.
Commentaire n°1 posté par ap le 27/01/2008 à 16h10
Si, c'est quelqu'un d'extraordinaire. Un de mes peintres préférés (avec G.Richter qui a actuellement une belle exposition au même endroit d'ailleurs).
Commentaire n°2 posté par espace-holbein le 29/01/2008 à 18h28

lundi 23 avril 2007

Sigmar POLKE .2



Sigmar Polke
Musée Frieder Burda, Baden-Baden
rétrospective, jusqu'au 13 mai 2007


polke10-200.jpg Sigmar Polke est de toute évidence un collectionneur d'images, quelqu'un qui aime les images et qui prend un grand plaisir à les triturer, les torturer afin de les interroger de mille manières.
Ces images ont des sources variées et il les puise aussi bien dans la presse qu'à la télévision, au cinéma ou dans les livres (d'art, notamment). Les images de faits divers, d'actualité ou de publicité vont se mélanger à celles, plus sérieuses, de peinture de genre ou de représentations croisées dans les musées ou les livres d'histoire de l'art. Le traitement pictural va les réunir dans un trait de pinceau unificateur, une épuration ou un tramage.

Les opérations qu'il fera subir à ces images seront multiples : hybridation, décoloration, superposition, simplification, agrandissement et bien d'autres procédés combinatoires encore. Et l'on va déceler, à travers ces manipulations plastiques, ses goûts pour d'autres artistes, anciens ou contemporains.
L'artiste Sigmar Polke a en effet des passions pour certains de ses aînés ; outre l'influence qu'exerça sur lui Joseph Beuys lorsqu'il arriva à Düsseldorf, on sent chez lui une attirance pour Picabia et plus globalement pour l'esprit Dada, une admiration pour Duchamp et bien évidemment une espèce de vénération pour les immenses références que sont Dürer, Goya ou Picasso.
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Mais le traitement physique qu'il fait subir à ses toiles reste exemplaire. Les supports, les matériaux, les médiums y sont nombreux et surprenants. Les travaux des années 80 qui composent la grande et magnifique salle d'exposition du rez-chaussée de la rétrospective de Baden-Baden, ont vu émerger une manière toute nouvelle de préparer les supports qui font que ses tableaux deviennent des objets à la fois complexes, précieux, fragiles, sans rien de comparable à ce que l'on a déjà vu chez d'autres artistes. Cette œuvre de 1988, ci-contre, intitulée Gangster, montre son chassis à travers un support transparent et travaillé.

Polke a utilisé pour ce support, comme pour celui de l'œuvre présentée au début de l'article, une toile très fine recouverte de plusieurs couches de laque qui vont à la fois le rendre rigide et translucide. L'effet produit est intéressant puisque ce tissu ainsi préparé est simultanément matière (épaisseurs variées), couleurs et teintes (travaillées dans la masse), liant (pour l'intégration de différents matériaux) et support (rôle unificateur). Ce rôle important et fédérateur du support sera délibérément mis en défaut et en danger par Polke .
polke11-100.jpg En effet, les transparences mettent à nu la structure (porteuse) de l'œuvre ; une partie du moteur est visible sous le capot transparent : une façon de rendre compte du travail qui s'est fait. En fait, Polke, là aussi, n'est pas tout à fait où l'on croit l'attendre puisque les chassis ainsi dévoilés sont loin d'être traditionnels. Ils arborent dans leur presque nudité quelque chose de l'ordre de la création... Mais c'est dans le devenir de ces objets qu'il y a péril. Leur fragilité saute aux yeux.
La vignette ci-dessus est un détail de Gangster (en bas à droite de l'œuvre). Cette plaie dans le support ne semble pas être volontaire. Même si ce n'est pas forcément le cas de cette toile, on sait que Sigmar Polke prend des risques en travaillant ses œuvres. Cet artiste est connu pour avoir utilisé des matériaux dangereux ou interdits. La toxicité de ces produits fait partie de la démarche et son œuvre s'inscrit dans un champ expérimental. La sulfure jaune d'arsenic (l'orpiment) ou le vert de Schweinfurt, aujourd'hui impossible à trouver sur le marché pour sa dangerosité, intègrent les œuvres accrochées aux murs. Ces produits continuent à les attaquer. Polke s'inscrit ainsi dans la tradition d'une peinture du pharmakon qui est à la fois couleur, poison et remède.

On a tenté d'enfermer Polke dans une pratique liée à l'alchimie, ce qu'il a récusé fermement. En revanche, sa peinture est bien corrosive et à plus d'un titre. Cet artiste n'occupe pas la boutique d'un alchimiste mais plutôt une droguerie où les images et les poudres, du fait de leur mélange produiraient des pétulances, des détonnations, des explosions d'intelligence, des feux d'artifice, des rires débridés, des ébullitions joyeuses et des merveilles plastiques.


Illustrations :

- Der Ritter II, 1992,
©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 75
- Gangster, 1988, 300 x 200 cm Collection Reiner Speck
,
extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 65
- photographie de l'auteur
-
Polke als Droge, 1968, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 187




Exposition Sigmar Polke, museum Frieder Burda



Commentaires

 Ayant été dernièrement au carré d’art de Nîmes, on peut dire qu’il y a un mélange d’oeuvres de qualité, et d’autres complètement insignifiantes; C’est à dire que des artistes ont de réelles qualités plastiques, et des choix clairs, et pour d’autres ça ressemble à un vague bricolage, dans lequel n’apparait ni savoir faire, ni intention réelle bien définie… ou alors tirée par les cheveux ( si on se réfère aux travaux de Sigmar Polke par exemple)… donc comme il faut bien se valoriser par quelque chose on se rattache à ce qui n’est pas de l’ordre des Arts Plastiques, mais du sociologique, des évènements de presse, de la guerre etc.. donc quelque chose d’extérieur à l’oeuvre proprement dite, mais sur lequel une oeuvre d’art assez pauvre va s’appuyer pour trouver une valorisation. Ceci dit ce n’est pas par ce biais que l’oeuvre devient de qualité, si on en oublie les principes premiers.
Marcel Duchamp dont il est effectivement souvent fait référence, avant de remettre en question le musée, avec ses ready-made, a toujours maintenu une production solide, parallèllement.
En conclusion, sauf  démonstration contraire, je vois  en cet artiste quelqu'un de complètement surévalué, qui correpond à une  esthétique du discours, mais  très peu marquant par rapport à des orientations picturales "convaincantes"
Commentaire n°1 posté par chabriere le 29/01/2010 à 22h50
Commentaires qui me renvoient au film d'Agnès Jaoui "Le goût des autres" et notamment à la réplique de Castella: "Avec vous, j'ai toujours l'impression de passer un examen"!
Commentaire n°2 posté par Era le 01/02/2010 à 10h29
Effectivement, il existe des gens qui ont l'œil aigri et l'intelligence triste. La critique portée peut s'appliquer à une cohorte d'artistes mais pour ce qui concerne Sigmar Polke, c'est réellement faire preuve de cécité : il faut regarder ses tableaux, les approcher véritablement, ne pas les évaluer à partir de reproductions et l'on verra qu'il est très grand peintre.
Commentaire n°3 posté par espace-holbein le 02/02/2010 à 17h18
Etant curieux par nature, j'ai eu l'occasion de regarder, depuis, le film en question, qui n'a d'ailleurs pas apporté grand chose... quant à savoir si S polke  est un "grand peintre", c'est très subjectif...  moi qui adore la peinture,  je regrette, je n'y trouve rien...  et quand  j'argumente, ce n'est pas  dans le vague, savoir  si il est plus grend  et un autre moyen, un autre petit...  c'est parce que plastiquement je trouve qu'il n'apporte rien  ( ou peut être que je ne le sais pas le voir, c'est possible ), mais je saurai mieux  quand  en face  j'aurai des arguments convaincants  ( puisque  l'oeuvre ne répond pas  d'elle même à ces arguments)...     A  suivre
Commentaire n°4 posté par chabriere le 14/02/2010 à 22h41
Naturellement,comme je m'y attendais, les  arguments ne sont pas  venus...

c'est donc une  confirmation...

à l'inverse,  je viens  de poster un commentaire  sur l'oeuvre  de Anselm Kiefer,  qui, bien que  se référant à l'actualité  et l'histoire,  montre  autre  chose,  et notamment  des oeuvres  qui ont une puissance impressionante  qu'on ne trouve pas du tout chez Polke...  phénomène  de mode....
 de toute façon, c'est bien encore l'Histoire  avec un grand H, qui fera le tri entre les gens importants  et ceux qui sont surfaits...
Commentaire n°5 posté par chabriere le 04/03/2010 à 14h48

mardi 17 avril 2007

Sigmar POLKE

Sigmar Polke
Musée Frieder Burda, Baden-Baden
rétrospective, jusqu'au 13 mai 2007



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Une des plus belles expositions visitées cette année fut celle-ci. Tout d’abord, le cadre est somptueux : il s’agit du musée que le collectionneur allemand Frieder Burda a fait réaliser par l'un des plus importants et talentueux architectes actuels, l’américain Richard Meyer ; c'est un grand cube blanc, subtil, magnifique, destiné à distiller la lumière.

Et puis, il y a surtout cet artiste, Sigmar Polke, né en Allemagne en 1941.
Contemporain et ami d’un autre très grand artiste allemand, Gerhard Richter. Tous deux d'immenses talents. Parmi les plus grands artistes vivant aujourd’hui.
Malgré cela, Polke n’a quasiment jamais eu de véritable rétrospective en France (excepté une présentation d’œuvres en 1988 au musée d’art moderne à Paris). C'est donc en Allemagne qu'il faut se rendre.

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Polke est de la génération des Nouveaux réalistes français (dont on parlera beaucoup les mois qui viennent à l’occasion de l'exposition au Grand Palais). Mais à l’inverse de beaucoup de ces artistes, Sigmar Polke n’a jamais joué une « marque de fabrique », ni aucune spécificité quelconque qui l’aurait associé immédiatement à une pratique repérable ou à un matériau.

Ce qui le caractérise c'est qu'il est l’artiste de l’instable, de l’hétéroclite ; son œuvre se distingue par son apparent éclectisme. Il suffit de regarder l'œuvre qui est reproduite à gauche . 
Cette œuvre s'intitule : So sitzen Sie richtig que l'on peut traduire par Ainsi, vous êtes assis correctement. On va trouver dans ce grand tableau l'hybridation, le rappel à l'histoire -de l'art- (la référence à Goya est manifeste, ainsi que celle à Max Ernst, d'ailleurs) ; on va trouver également une réorganisation inventive de l'espace, une mise en scène du décoratif, l'utilisation de matériaux inhabituels (notamment pour la confection du support qui est fabriqué à l'aide de tissus imprimés), l'humour qui ne tombe jamais du côté du gag ou du clin d'œil appuyé (remarquer le motif de toute la partie droite de l'imprimé), etc. Les références à Goya et à Max Ernst ne sont évidemment pas innocentes : il s'agit, chacun en son temps, de deux artistes perturbateurs ; le dessin de Polke est à la fois une citation des Caprices de Goya et une reprise dessinée d'un fameux collage de Ernst (Une semaine de bonté ou Les sept éléments capitaux ). Les éléments de la gravure de Goya fonctionnent déjà comme un collage, une sorte d'hybridation explosive : le monde à l'envers, le monde cul par dessus tête ; le non-sens affiché du collage de Max Ernst finira la besogne... Le tout se présente de manière cohérente, d'un même trait de pinceau, une scène se fondant dans l'autre. Et l'ensemble assume et revendique une grande beauté plastique !

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C’est une œuvre qui reste donc très cohérente. L’exposition de Baden-Baden nous le montre avec une grande clarté. Nous avons l’impression de disposer d’un immense puzzle, intelligent, rigolo, érudit, inventif dans sa forme et ses pratiques picturales, fourmillant d’idées, énigmatique quand il le faut et jamais ennuyeux. Les pièces de ce jeu se font un plaisir de ricocher, de s’emboîter, de se répondre, de résister pour finalement de constituer dans notre tête en une œuvre forte, complexe, jubilatoire, qui continue à nous réjouir une fois sortis de l’espace d’exposition.

La peinture pour lui ne semble pas être une religion. Polke est quelqu’un qui a continué à avoir une pratique de peintre et de dessinateur même à l’époque où cela n’était pas encore à la mode et les médiums qu’il utilise au même titre que la peinture le sont pour des raisons d’efficacité, là où la peinture se montrerait mal adaptée ou indigente. D’où cette impression d’éclectisme, de mélanges, d’hétérogénéité, d’hybridation d’objets à statut parfois incertain.
On sent chez lui une volonté de ne se laisser jamais enfermer dans la moindre catégorie.

Bon, j'essaie de continuer plus tard...


illustrations :
photographies de l'auteur sauf 2 :
So sitzen Sie richtig, extrait du catalogue, p 51

Exposition Sigmar Polke, museum Frieder Burda

dimanche 8 avril 2007

Ron Mueck

Ron Mueck
Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa
du 2 mars au 6 mai 2007


Pour la première fois, l'espace-holbein présente une exposition que son auteur n'a pas vue : l'exposition Ron Mueck qui se tient actuellement au musée des beaux-arts d'Ottawa. C'est en pensant à nos amis Canadiens et à l'excellent souvenir que m'a laissée la visite de l'exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier, à Paris, en décembre 2005, que j'ai pris cette décision de mettre en ligne le billet que j'avais écrit à l'époque pour Lunettes Rouges, bien longtemps avant d'ouvrir mon propre espace. Cette exposition d'Ottawa ne ressemble probablement pas à celle que j'ai visitée à la Fondation Cartier mais ma perception de cet artiste ne devrait pas être radicalement différente.



le 20 décembre 2005

ron-mueck1-200.jpg Après “J’en Rêve”, la Fondation Cartier nous gratifie à nouveau d’une remarquable exposition en nous présentant, pour la première fois en France, l’étonnant travail de ce sculpteur australien, Ron Mueck. Cinq sculptures seulement sont présentées pour cette occasion, sept personnages en tout. Mais l’effet qu’elles produisent justifie qu’un gardien (sinon deux, parfois) surveille chacune d’entre elles. Cet effet est saisissant; troublant serait un mot encore plus juste. Ron Mueck fabrique des géants de chair nue aux regards vagues et inquiets, ou bien des petits personnages de moins d’un mètre de haut, mais qui exercent sur nous une autorité sans limite.
Depuis la rue, nous apercevons déjà le géant hirsute et gauche, maladroitement installé en équilibre sur le rebord d’un tabouret, le bout de ses pieds touchant à peine le sol. L’enveloppe de verre de l’architecture de Jean Nouvel le met remarquablement en valeur : la lumière et la végétation l’enveloppent. Il est, pour ainsi dire, seul dans le dépouillement de sa nudité au milieu de cette cage de verre. Au fur et à mesure que l’on s’approche, ses proportions grandissent de manière inquiétante et lorsque nous arrivons devant lui, nous butons sur un être extrêmement imposant (quasiment trois mètres de haut, assis) et qui pourtant donne de lui une apparence si fragile.
ron-mueck2-200.jpg Ce corps qui aimante notre regard est traité avec une immense minutie, une immense attention dans l’exacte observation de la réalité des chairs. Aussi bien l’élasticité que la transparence de la carnation, dans tout le détail et la variété des teintes, sont rendues de manière si juste que ceci produit un trouble que l’on va retrouver jusque dans le regard de ceux qui sont autour de nous.
Les veines bleutées, tendues, du fait de la position du modèle, l’empreinte vaguement quadrillée aux coudes d’un vêtement qui vient d’être enlevé, l’apparente humidité des yeux concourent à produire chez nous ce trouble, parfois jusqu’à la gêne, tant l’intimité se livre.
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Dans le même espace, le visage d’une femme noire est accroché au mur blanc, tel un masque, traité de la même manière : énorme, imposant (Ron Mueck, avait déjà travaillé son autoportrait de la même manière, autoportrait qu’il avait intitulé masque, d’ailleurs ; ci-contre).

Et puis, très discrètement, face à l’autre mur, deux petites sculptures délicates (qui n’en font qu’une) représentant un couple miniature, couché sur le flanc, emboîté, où domine une impression à la fois de proximité, d’habitude et aussi d’indifférence, et peut-être bien d'éloignement. (ci dessous).
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Tout est ici fabriqué, organisé avec une extraordinaire minutie : chaque cheveu est implanté isolément, les flétrissures et la couleur de la plante des pieds sont le fruit d’une observation et d’un travail hors du commun. Là, également, le même trouble est perceptible et nous renvoie à notre condition humaine.
Un autre personnage couché nous attend lorsque l’on pénètre dans le deuxième espace de l’exposition : “In Bed” (ci-dessous) est une sculpture monumentale occupant quasiment tout le volume de cet espace (6,50m X 3,95m X 1,62m). Une femme dans son lit se présente à nous dans un état intermédiaire; certains diront qu’elle se réveille. Elle n’est pas tout à fait couchée et se tient la joue. C’est une femme pensante, inquiète aussi, mais animée d’une pensée sûrement informulée, une pensée tournée vers elle-même, un regard tourné vers l’intérieur, indifférent à ce qui l’entoure. Un mur invisible nous sépare d’elle dans toute son intimité.
Enfin, un peu plus loin, deux vieilles femmes discutent, nous ignorant, nous les regardeurs occupés autour d’elles à observer l’implantation de leurs cheveux, les vêtements râpés qu’elles portent (faits sur mesure par des couturières), le pli des bas, les chaussures de tennis éculées modelées en fibre de verre, les yeux brillants et malicieux, les petits poils raides et blonds sur la lèvre supérieure. Elles vont se mettre à parler tant le frémissement de leurs gestes est perceptible. On est tenté de s’approcher, et l’on s’approche de très près. La gardienne de la Fondation Cartier, chargée de surveiller ces deux petites vieilles, veille : elle intervient vivement à chaque fois que cette intimité risque d’être perturbée par un geste approximatif…

Ces deux vieilles dames (dernière image de ce billet), si vivantes, ne font que 85cm de haut. Ce détail est important. En effet, on serait tenté de parler de réalisme ou d’hyperréalisme en considérant les sculptures de Ron Mueck…

ron-mueck5-200.jpg Il s’agit de ne pas faire ce contresens pour au moins une raison : les géants font de quatre à cinq mètres de haut (à l’instar de Boy, montré à la Biennale de Venise en 2001, à la demande du regretté Harald Szeemann) et les petits êtres si réalistes, hyper présents jusqu’à la gêne, ne sont pas plus grands que mon bras. Jamais, jusqu’à présent, Ron Mueck n’a produit de personnage à l’échelle 1. Nous ne nous situons ni dans le réalisme, ni dans l’hyperréalisme pratiqué dans les années 70.
En effet, à l'inverse de Ron Mueck, Duane Hanson ou John de Andrea utilisaient pour leurs sculptures de touristes ou de clochards, des objets et vêtements usés, réels, empruntés au quotidien pour des personnages de notre taille qui pouvaient sembler nos égaux ou nos semblables.

C’est peut-être bien cela qui crée cette tension, cette fascination aussi. Nous nous reconnaissons (?) dans notre chair, dans son exactitude ainsi que dans ses défauts, mais tout est maintenu à distance, car précisément cette distance n’est jamais la bonne; cette distance est fluctuante d’un personnage à l’autre, tout comme la taille des sculptures. Et ceci produit un phénomène extrêmement troublant, de l’ordre d’une certaine lenteur. Une oeuvre qu’il semble impossible, pour qui le souhaiterait, de consommer en urgence comme on peut être amené à le faire pour un certain nombre d’entre elles lorsque nous visitons les galeries régulièrement. Les états de passage, qui se manifestent tantôt par un demi-sommeil, une semi conscience, un regard vague, ou bien, de manière plus radicale, par une naissance ou même par la mort (comme à l’occasion de l’exposition Sensation à Londres en 1997) et qui sont organisés pour ces corps et ces visages par Ron Mueck, favorisent un temps d’observation qui s’étire et s’installe. Il suffit d’observer les gens qui les regardent.

ron-mueck6-200.jpg Cet artiste virtuose qui travaille des mois sur une même sculpture n’est jamais dans l’anecdote, mais inscrit son travail dans une démarche beaucoup plus essentielle.

L’art de Ron Mueck n’est pas, non plus, un art de la provocation (même s’il fut débusqué par Charles Saatchi dans le cadre de l’exposition Sensation déjà mentionnée) mais ce serait plutôt un art habité d’un pouvoir d’évocation.


Ron Mueck est un artiste qui est en train de renouveler considérablement la sculpture contemporaine ; ce renouvellement passant, pour l’occasion, par un changement de continent : en effet, si la grande peinture moderne et contemporaine s’origine sur le continent américain, la sculpture faisant date à notre époque est européenne et plus précisément britannique. Rappelons-nous les oeuvres d’Anthony Caro, de Richard Long, de Bill Woodrow ou encore de Tony Cragg. Ron Mueck, l’Australien (mais travaillant à Londres), à l’occasion de ce renouvellement, fait un retour à la figure humaine, renouant ainsi avec la tradition de la mimésis dans son expression la plus rigoureuse, mais aussi la plus fascinante.


Ces êtres de chair, faits de fibre de verre et de silicone - mais aussi les regardeurs qui les observent avec tant d’intensité - méritent d’y aller voir de plus près.


illustrations :

- Big Man, ©Ron Mueck, extrait du catalogue de l'exposition Mélancolie, Paris, 2005, p 492
- Wild Man
, ©Ron Mueck, extrait du site de la Fondation Cartier, Paris
- Mask, autoportrait, ©Ron Mueck, extrait du catalogue de l'exposition, p 77
- Spooning Couple,
©Ron Mueck, emprunté au site Drine Déblog
- In Bed,
©Ron Mueck, emprunté au site Casafree.com
- Two Women,
©Ron Mueck, emprunté au site Drine Déblog





site du Musée des Beaux-arts du Canada




Commentaires

Dis donc pour Lunettes Rouges tu mettais le paquet ;-)
ça donne envie d'aller faire un tour à Ottawa, tout ça... tu ferais pas gagner un voyage pour le X millième visiteur ??
Commentaire n°1 posté par laurence le 09/04/2007 à 10h33
C'est que holbein a toujours été "généreux" dans ses billets et ses commentaires.
On peut voir aussi le même holbein écrire un billet pour mélancolie, pour Lunettes Rouges,
Commentaire n°2 posté par Elisabeth le 09/04/2007 à 14h04
Si tu veux voir mes photos choisies sur Lynch...
Commentaire n°3 posté par Cendre le 10/04/2007 à 13h04
Très sympa.

Nouvelle exploration urbaine en ligne.

Please visit http://teka.over-blog.org/

à bientot.
Commentaire n°4 posté par Teka le 12/04/2007 à 14h49
C'est vraiment sympa de laisser des commentaires sur mon nouveau jouet :-) mais moi j'avais prévu de lire TOUS tes billets, cette semaine, et rien, nada... Alors au boulot, hein, m'sieur holb(ein), parce que je serai bientôt à Paris et je veux savoir quoi voir ;-)
Commentaire n°5 posté par laurence le 15/04/2007 à 22h05
'Lut M'sieur !

Faudra vraiment m'expliquer ce qu'apporte Ron Mueck par rapport à Duane Hanson ou John de Andrea. La taille des sculptures ? Bah ! La nudité ? De Andrae fit des nus, il y a bien longtemps.
Tu dis : « Nous ne nous situons ni dans le réalisme, ni dans l’hyperréalisme pratiqué dans les années 70 », puis : « Nous nous reconnaissons (?) dans notre chair, dans son exactitude ainsi que dans ses défauts, mais tout est maintenu à distance ».
Se reconnaître dans les défauts de la chair agrandie, n'est-ce pas le comble de l'hyperréalisme ?
Quant à la mise à distance, il faut se souvenir des réactions des spectateurs devant les sculptures de Duane Hanson ou John de Andrea : les gens s'approchaient, intrigués, puis reculaient brusquement, horrifiés, presque, quand ils s'apercevaient qu'ils n'avaient devant eux qu'un amas de polyvynile peint !
Et sans aucun doute cette réaction est-elle toujours vécue par des spectateurs qui n'ont pas de grandes connaissances artistiques.

Hyperréalisme, mise à distance : où est la différence entre Hanson-Andrea et Mueck ?
(Cela dit, je ne conteste pas la beauté de son travail et la fascination qu'il peut exercer, hein. C'est juste l'aspect novateur que je conteste. Mais c'est juste pour discuter ;-)
Commentaire n°6 posté par KA le 17/04/2007 à 09h31
Bon, j'ai pas été beaucoup là ces temps-ci : petits voyages qui servent à me faire briller les yeux ;-) mais également obligatoires pour le boulot. Malheureusement ces dernières semaines mes yeux n'ont pas eu l'occasion de briller beaucoup en région parisienne et Laurence devra découvrir les belles choses elle-même...

Pour revenir sur Ron Mueck, ce n'est évidemment pas la nudité qui fait l'intérêt des sculptures de cet artiste puisque le nu est une pratique conventionnelle, académique, dans le champ et l'exercice des arts plastiques. La ressemblance extrême non plus : les hyperréalistes ont labouré le terrain jusqu'à l'indigestion...
Peut-être que ce qui se passe avec Ron Mueck réside dans la conjonction de deux choses : premièrement, une perception que nous avons de ce qui est profondément humain dans ces représentations (qui résonne en chacun d’entre nous et qui nous est intensément commun à la fois) et deuxièmement, une dimension particulière de ce qui est relatif à la taille de ces sculptures qui ne sont jamais à l’échelle 1 : soit trop grandes, soit trop petites. Ceci entraînant (dans une nécessaire confrontation) une perte de repères (ou un flottement) et une gêne quant à l’appréciation de la distance exacte qui devrait pouvoir exister entre Moi et cette sculpture à laquelle je me confronte. J’ai dit, dans le papier, que cela produisait une espèce de “lenteur” dans la perception. On n’est jamais “à la bonne distance” et cette appréciation de la distance change lorsque l’’on passe d’une sculpture à une autre. Elle est sans cesse remise en question.
Et c’est là que je trouve cette sculpture nettement plus intéressante que ce qui était fait dans les années 70 avec l’hyperréalisme.
Ce type boxe dans une autre catégorie. En tout cas, il joue pas dans la même cour. Personnellement, je n’ai jamais été un fan de l’hyperréalisme et l’on sait tous que le côté virtuose a ses limites (Paganini fascine momentanément, mais c’est bien Bach que j’écoute régulièrement).
Quel est l’intérêt, finalement, de reproduire à l’identique ce qui existe déjà ? (sauf toutefois pour les faux-billets ou là, c’est évident ;-)) A l’exception du savoir-faire, la portée artistique est très limitée. Il y a un côté un peu tâcheron dans cette pratique, un peu vain ; et ce qu’il y a de pathétique c’est quand un ”artiste” s’essaie à cet hyperréalisme avec maladresse, sans véritable succés, et montre ainsi, de manière dramatique, toute son indigence mais aussi toute sa vanité.
Mais tout ceci est une question de goût...
Commentaire n°7 posté par holbein le 20/04/2007 à 11h31
Bonsoir,
Allez jeter un coup d'oeil sur mon site et peut-être aurez -vous envie de voir mes sculptures en vrai!
Cordialement, Patrice Annic
Commentaire n°8 posté par patrice annic le 04/06/2007 à 20h34
Ron Mueck  ou d'autres  artistes  travaillant  sur le  corps (  hyperréaliste on non), ne sont pas  à mettre  en  "concurrence"...  chacun apporte  quelque  chose  à sa façon....   en regard  avec l'époque, les techniques utilisées...

le rapport à la dimension de Mueck est important, il nous fait rentrer  comme par  effraction dans son monde  de géants....   même si ce sont de petits  géants....
et pas  choisis dans leurs moments  les plus esthétiques...  voir  le nouveau né, par exemple
...  ça  fout les  chtons  me disaient  mes filles....

c'est  donc un regard plus direct etintime  que nous propose Mueck, de ses géants  qui n'inspirent pas vraiment la joie...
Commentaire n°9 posté par chabriere le 04/03/2010 à 15h15