Critique et art contemporain |
Où en sommes-nous ?
Il est parfois bon de se soustraire au flux de l'actualité, de regagner la rive afin de marquer une pause. [...]
Nous sommes évidemment tombés d'accord sur le rôle désormais tentaculaire du marché de l'art. Celui-ci est, rappelons-le, absolument
nécessaire, mais ce qui apparaît en revanche gênant, c'est l'obsession immodérée qu'on nourrit aujourd'hui pour lui, si bien qu'il en arrive à légitimer plus qu'auparavant les choix là
où, à une époque pas si lointaine, ce qu'on appelait les «convictions» et une «vision personnelle de l'histoire de l'art» présidaient avant tout à l'engagement auprès des artistes. De la
même manière, notre débat souligne l'importance prise par les grands collectionneurs, dont l'aura, dans l'imaginaire collectif, se mesure généralement davantage à l'aune de leurs moyens
financiers qu'à leurs options esthétiques proprement dites -si François Pinault est aujourd'hui l'objet de tous les fantasmes, on analyse en revanche bien peu les lignes de force qui
structurent sa collection, laquelle constitue un commentaire pertinent sur notre sombre époque. C'est aussi que le silence des méga-collectionneurs est assourdissant, et l'on aimerait
bien savoir ce qui les motive sur un plan plus intellectuel, au-delà de l'agitation «bling-bling» du milieu.
Enfin, et surtout, nous avons tous fait le constat, en tant que critiques, que l'élargissement du monde de l'art au cours de la
dernière décennie a eu pour conséquence l'impossibilité d'embrasser l'actualité dans son entier, et que toutes nos tentatives pour la cerner à grands renforts de voyages aux quatre coins
du monde, de nouvelles foires en biennales et triennales, ne débouchaient pas sur une meilleure compréhension de la scène internationale. D'autant que ces manifestations ont souvent
traité en gros des mêmes thématiques (la mondialisation, la ville...), exposant les mêmes artistes, voire les mêmes œuvres, au point que nous nous sommes demandé si cela valait
encore la peine de voyager : dans les années 2000, le chemin de l'art contemporain a été sans doute plus balisé qu'auparavant. D'où le réflexe, pour nombre de critiques, d'une forme
d'hibernation, d'un repli stratégique sur une sphère plus personnelle, en travaillant avant tout à faire découvrir à leurs lecteurs des artistes dont l'œuvre leur semblait détoner dans le
bruit de fond ambiant, serait-ce sur le mode de la modestie. Dans une boîte de nuit, tenter de crier plus fort que la musique du DJ est somme toute aussi illusoire que de remplir le
tonneau des Danaïdes. Tandis que le son baisse sensiblement ces derniers temps, car le monde de l'art, à intervalles réguliers, éprouve malgré tout le besoin de retrouver ses repères pour
se remettre des emballements, nous osons croire que la critique doit à nouveau faire entendre sa voix.
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Richard LEYDIER,
éditorial du N° 374 du magazine artpress de janvier 2011
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illustration : Simone DECKER,
Chewing in Venice 1 + 2 (détail) 1999, Venice, 48. Biennale |
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