Diane ARBUS, Jeu de Paume | |||||
Le visage de la jeune fille est doux, d'une beauté mélancolique. Les traits sont réguliers et l'expression pleine d'une profonde retenue. L'intensité de ce regard qui me fixe est à la fois l'invitation à pénétrer cet espace de la photographie et le trouble qu'il provoque. La coiffure est aussi noire et intense que les ongles sont blancs et nacrés. Les mains, comme le visage, s'ouvrent, se dilatent dans un mouvement timide de générosité. Figure vulnérable qui semble émerger mollement d'une obscurité. Le voile trouble et doux des rideaux est une sorte de clair-obscur inversé. La jeune fille est nue et porte seulement une petite chaîne et une médaille autour du cou. Il s'agit du portrait de Sharon Golberg, jeune beauté juste âgée de seize ans. | |||||
L'ombre noire et longue du bas de la photographie, celle qui contourne l'épaule ronde, longe le bras puis court
sur le corps nu avant de plonger dans l'obscurité, n'est pas une étoffe, ni même l'amorce d'un vêtement. Il s'agit d'une natte épaisse, une sorte de serpent fait de cheveux, d'un noir de
ténèbres. Serpent vigoureux, étonnamment long. Mes yeux le suivent, bloquent sur la partie basse de la photographie puis remontent le long du bras bizarrement sombre, comme l'est le
tirage présenté dans l'exposition. Et puis, soudainement, je prends conscience que le grain noir de la photographie de Diane Arbus n'est pas le grain mais la pilosité du modèle : la
totalité des épaules et des bras est recouverte de poils noirs, fins, serrés, réguliers.
«Vous voyez quelqu'un dans la rue et ce que vous remarquez essentiellement chez lui, c'est la faille» : c'est ce que disait Diane Arbus lorsqu'elle parlait de ce qui retenait son attention chez les gens qu'elle croisait. Et cette faille était avant tout la sienne. Elle passera sa vie à la traquer. |
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Diane Arbus, avec acharnement et délicatesse, va construire une espèce de famille composée d'individus
qui ne semblent pas avoir trouvé exactement leur place, des gens qui débordent, penchent, s'extraient malgré eux du quotidien, des gens qui n'arrivent pas à occuper cette place qu'ils
devraient naturellement avoir dans une photographie normale, celle que l'on trouve dans les albums de famille ou dans les boîtes en carton, une photographie sans qualité, somme
toute. Et cette faille va donner du sens et de l'humanité aux photographies de l'artiste. Ici, un jeune couple et ses deux enfants. Mais l'homme -le père- est lui-même une sorte
d'enfant. Il entretient la confusion. Il semble dépassé et subit sa vie, alors que sa femme -personnage construit, sophistiqué- concentre le malheur du couple qui a mis au monde un petit
enfant attardé ; au contraire du plus jeune qui semble déterminé, actif. Quatre membres d'une cellule familiale : deux volontaires et deux autres qui subissent. Dans la photographie, la
ligne du mur fait séparation. Et puis une autre famille, celle qui voit son enfant sortir de la norme. Des gens simples, normaux, dans un univers normal qui ont mis au monde un
géant ; mais un géant maladroit, qui a besoin d'une canne pour avancer.
Drôles de familles. |
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Suite de l'exposition Diane Arbus : demain, peut-être | |||||
Diane Arbus
du 18 octobre 2011 au 05 février 2012 site de l'exposition Jeu de Paume 1 place de la Concorde 75008 Paris |
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