Conturbatio | |
Dans son ouvrage L'œil du Quattrocento, l'historien d'art britannique Michael Baxandall fait état de
cinq phases de l’Annonciation en se fondant sur un sermon de Fra Roberto Caracciolo da Lecce :
"C'est
le troisième mystère, celui du Colloque angélique, qui traduit pleinement le sentiment du XVe siècle à l'égard de ce que Marie a ressenti affectivement au moment crucial que le peintre
avait à représenter. Fra Roberto analyse le récit de saint Luc (I : 26-38) et énumère cinq conditions ou états spirituels et mentaux successifs, imputables à Marie :
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Le troisième mystère de l'Annonciation est appelé Colloque angélique, qui comporte cinq conditions louables de
la Sainte Vierge :
1. Conturbatio trouble 2. Cogitatio réflexion 3. Interrogatio interrogation 4. Humiliatio soumission 5. Meritatio mérite
La première des conditions louables s'appelle Conturbatio ; comme l'écrit saint Luc, quand la Vierge
entendit la salutation de l'Ange -"Je te salue, toi pleine de grâce, le seigneur est avec toi, bénie sois-tu entre toutes les femmes"-, elle se troubla. Ce trouble, comme l'écrit
Nicolas de Lyra, ne venait pas de son incrédulité mais de sa surprise, car elle avait l'habitude de voir des anges et s'étonnait non pas du fait de l'apparition de l'Ange, mais bien plus
de l'altière et magnifique salutation par laquelle l'Ange lui faisait comprendre des choses si étonnantes et magnifiques, et elle, dans son humilité, en était étonnée et confondue".
(1)
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"Les prédicateurs préparaient le public au répertoire des peintres, et les peintres respectaient la
catégorisation émotionnelle généralement admise de l'événement. Et même si, sans les indications données par Fra Roberto, il nous est possible de saisir une vague sensation de trouble ou
de réflexion ou d'humilité dans l'image de cette scène, il est indubitable que la connaissance plus explicite des catégories du XVe siècle peut aiguiser notre capacité à percevoir des
différences. Elle nous permet de percevoir, par exemple, que Fra Angelico, dans un grand nombre de ses Annonciations, ne s'est jamais beaucoup éloigné du type d'Humiliatio,
tandis que que Botticelli se rapproche témérairement de Conturbatio ; (...) ou que, dans les années 1500, des peintres s'essayaient à des types plus complexes et plus mesurés de
Conturbatio que le type traditionnel adopté par Botticelli ; ceux-ci partageaient la réprobation de Léonard à l'égard du mode violent :
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Qu'aurait donc bien pu penser Léonard de Vinci de la furieuse Conturbatio que Lorenzo Lotto a fait subir à Marie dans son Annonciation de Recanati ? L'Ange est en train de l'effrayer, le regard de Marie se lève (vers le ciel ?) mais croise intensément celui du fidèle -que je deviens à l'instant même où je regarde l'œuvre-, me faisant ainsi partager ce moment exceptionnel et inquiétant. Daniel Arasse note au sujet de ce tableau -dans son ouvrage sur Le Détail - que Lotto produit ici du fait de son dispositif, une œuvre dévote en installant la Vierge au plus prêt du dévot "face à face avec lui" et indique que "l'irrégularité et la singularité de l'œuvre visent à susciter l'interrogation du fidèle face au mystère représenté devant ses yeux". (3) | |
(1) Michael BAXANDALL, L'œil du Quattrocento, Paris, Gallimard, 1985, p. 82 |
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(2) Michael BAXANDALL, L'œil du Quattrocento, Paris, Gallimard, 1985, p. 88 |
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(3) Daniel ARASSE, Le Détail", Paris, Flammarion, Édition couleur de 1992, collection Idées et recherches, p. 88 |
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illustrations :
1.Sandro BOTTICELLI, Annonciation, vers 1490, Florence, Uffizi, Panneau 2. idem (détail) 3. Lorenzo LOTTO, Annonciation, vers 1527, Recanati, pinacothèque communale (détail). Complet ici |
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