Nicolai POUSSINI | |
J'ouvre la fenêtre, au nord, et une lumière douce envahit le nymphée. Je vois un lit, ou un divan, où est imprimée la marque d'un
corps mais couverte de poussière. Sous le plafond du second niveau, je tire une petite échelle oblique, aux quelques degrés larges comme ceux d'un escalier, qui bascule d'une seule
traction. Il faut soulever une trappe.
C'était l'atelier. Cerné par trois murs et par l'espace ouvert sur le rez-de-chaussée, sans balustrade. Contre les murs, sous des couvertures et des housses isolantes, des tableaux. Au centre, deux toiles sur leur chevalet, une chaise, une caisse et un guéridon, des couleurs, des pinceaux, des chiffons, des bouteilles de solvant, des pots de colle, une trousse ouverte contenant de petits instruments de tailles différentes pareils à des scalpels. Contre le mur, sur une planche posée sur deux piles de briques, un ordinateur portable. Je tirai les housses qui couvraient les tableaux contre les murs. L'image me sauta à la figure. Anachronique, elle était insérée dans un cadre de bois et de plâtre autrefois doré à l'or fin, écaillé et abîmé, à l'entrelacs feuillu exubérant : la photo démesurée de la jeune baigneuse morte, retouchée à la plume et au pinceau, par endroits grattée ou incisée. Et une vingtaine, une trentaine de toiles et de dessins de la même image ou d'images semblables, crayons noirs et blancs, sanguines, fusains, gouaches, pierres noires, huiles, qui épuisaient les ressources de la technique classique. Et même des photos de certains de ces dessins, tirées à très grand format, retouchées, peintes par-dessus. Je fis glisser les housses des chevalets. Deux tableaux se tenaient vis-à-vis, inachevés. Ils figuraient immuablement la jeune baigneuse. Mais le premier avait commencé d'être peint il y a trois cent cinquante ans, le second voici un an ou un peu plus. Le plus ancien représentait, comme de juste, une femme à la nudité désespérante de jeunesse et de beauté, endormie dans l'herbe, sur un drap blanc ; elle est couchée sur le côté, son bras encercle sa chevelure brune. La plus grande partie de son corps est inachevée bien que la forme spectrale de se jambes, de sa hanche, et la ligne de son dos soient précisément délimitées. A droite et à gauche, potelés et dodus, deux amours couronnés de fleurs jouent l'un avec des flèches, l'autre avec un arc. Au deuxième plan, on voit un homme assis sur un rocher et une femme debout à ses côtés, qu'il enlace ; elle émerge d'une rivière où s'abreuvent des moutons. J'aperçois une musicienne, à demi vétue d'une draperie rose et blanche, et une danseuse, en or et blanc, les seins nus. Dans l'ombre, sous les feuillages, un peu à droite, penché vers la jeune fille endormie, on devine un visage, peut-être un homme. La jeune fille endormie se tient dans la position exacte de la jeune baigneuse de la photo. Près d'elle, une stèle en pierre, gravée. Parmi quelques mots en latin, je lis, médusé : NICOLAI POUSSINI. |
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Philippe AUTHIÉ,
Le Corps de la baigneuse, Éditions du Seuil, 2005, p142, 143, 144 |
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illustration
: Nymphe endormie surprise par des satyres (détail) Nicolas Poussin ,1627 Huile sur toile 66 x 50,8 Londres, National Gallery |
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