Chimères
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À l'occasion de cette suite d'évocations des chimères (chimères authentiques, métaphoriques ou parfaitement inventées), je m'aperçois
que j'ai fait la part belle aux squelettes. Ceci n'était pas réellement mon intention et je prends conscience qu'on se laisse guider, malgré soi, par un imaginaire qu'on ne maîtrise pas
totalement. Ceci pour annoncer que je vais encore montrer des os et des squelettes au travers d'œuvres créées par cette artiste italienne (née en 1968), Benedetta Bonchini qui, après
un itinéraire assez atypique , a été amenée à produire ces chimères, mystérieuses et poétiques. Je vais ensuite essayer d'éviter les squelettes.
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Les squelettes font apparemment partie de son monde, de son imaginaire à elle. Un grand nombre d'œuvres qu'elle a produites en
témoignent (voir les liens en bas de page). Il va sans dire que le motif du squelette ou du crâne est une composante forte et constante dans toute l'histoire de l'art et qu'à ce titre
Benedetta Bonchini s'inscrit dans un sillage bien tracé. Sa formation philosophique est là pour conforter et étayer ses convictions et sa sensibilité artistique. Mais cette artiste (à
l'instar de grands aînés comme Marey ou Muybridge) va utiliser des médiums empruntés au domaine des sciences. Dans le cas de ces images qui sont montrées ici la technique de la radiographie
médicale est utilisée à des fins artistiques. |
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Il ne s'agit pas pour elle d'esthétiser des radios mais de créer le trouble en mêlant différentes catégories. L'imagerie médicale peut-elle
prétendre à une dimension artistique ? Il s'agit de la transformer, de lui faire subir une métamorphose, de l'embarquer sur un terrain qui n'est pas le sien et de lui désigner un usage qui
contribuera à nous faire réfléchir sur sa place, sur son statut. La première difficulté pour l'artiste a été de produire de grands formats avec une technique (la radiographie) qui ne le
permettait pas. Cette contrainte a constitué un premier pas vers une transformation. Les radiographies médicales ont dû être photographiées pour permettre un agrandissement conséquent (en
général de l'ordre de 2,50 m de haut) puis imprimées sur papier ou sur tout autre support préparé. Le statut initial de la radiographie ainsi que sa fonction se trouvent ainsi transformés
par cette opération. À partir de là une telle image peut s'émanciper tout en gardant certains traits constitutifs de son origine scientifique ou médicale.
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La radiographie, rappelons-le, naît en 1895 (l'année de l'invention du cinéma), découverte par Wilhelm Röntgen. L'image qui reste de
l'invention de cette technique s'affirme décidément dans un domaine que l'on pourra qualifier ultérieurement d'artistique puisque c'est une radio représentant la main baguée de sa
femme que l'on conservera dans la mémoire collective (photo ci-contre). Même si cette image n'est pas forcément artistique, elle reste néanmoins affectée par les sentiments et ne peut
évidemment être réduite à de l'imagerie médicale comme ce qui sera la règle pour ce type d'objet. Quelques artistes vont profiter de cette opportunité et tenter de détacher l'image
radiographique de celle du corps malade.
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Benedetta Bonichi va être de ceux-là et mettra en scène des disposifs liés aux codes de la peinture et notamment à ceux de la séduction dans
la peinture. On rencontrera dans ses photographies des femmes parées de bijoux, s'admirant dans un miroir ou prenant des poses de séductrices. Mais l'ensemble sous la forme de
radiographies. L'extérieur, la surface, l'apparence, la superficie (pour ne pas dire le superficiel) de chaque figure seront contredits par ce que nos yeux seront incapables de voir
naturellement, tous les jours, dans la vie courante, sans appareillage, c'est à dire l'intérieur du corps, l'architecture des os, la forme du crâne (ruinant instantanément tout espoir et
toute envie de séduction). L'artiste va placer le spectateur dans une situation plusieurs fois paradoxale : nous l'avons dit, dans un premier temps la radiographie renvoie à la pathologie
(ou plutôt à la recherche de pathologies, vers un corps potentiellement malade). Ici les figures montrées expriment le contraire, elles montrent le désir la séduction, voire des formes de
sexualités, donc la vie. Le dehors contredit le dedans. Ensuite on devra considérer ce qui relève de la pose et du mouvement : la qualité d'une radiographie repose sur la capacité du sujet
radiographié à se tenir le plus parfaitement immobile (jusqu'à ne plus respirer, nous le savons tous pour avoir subi au moins une fois cette épreuve dans notre vie). Ici, les scènes ou les
figures représentées supposent la vie donc le mouvement. Un autre paradoxe relèverait de ce qui serait montré à l'excès et qui s'avérerait parfaitement inutile pour ce que l'on attend de la
situation décrite et qui peut même se poser de manière contradictoire. Et puis enfin ce jeu d'illusion et de réalité confondues que Benedetta Bonchini va radicaliser en mettant en scène des
chimères que je qualifierai d'objectives (pour être objectivement composites) comme la femme-pieuvre, la femme à tête d'oiseau ou bien la sirène. L'imagerie radiographique fait
référence à la science et l'objet observé, qui comporte toutes les apparences de la réalité, n'en est pas moins une invention improbable, un leurre. Néanmoins, Benedetta Bonchini ne ment pas, elle ne cherche pas à abuser de notre crédulité. Elle pose un objet artistique. Un autre artiste va également devenir un
artisan d'objets à caractère scientifique, fabriquant lui aussi des chimères dont il va légitimer l'existence dans un corpus beaucoup plus vaste, plus complexe : il s'agit de l'artiste
catalan Joan Fontcuberta dont je parlerai sans doute un peu plus tard.
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Benedetta Bonichi, photographe italienne née à Rome en 1968 . |
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Travaux extraits de la série FRENOLOGIA DELLA VANITAS
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photo 1 : La collana di perle, 2002
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photo 2 : La metamorfosi, 2007
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photo 3 : La sirena, 2001
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photo 4 : Wilhelm Röntgen, radiographie, 1895
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Benedetta Bonichi |
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d'autres œuvres |
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