dimanche 5 janvier 2014

Le Surréalisme et l'objet, Centre Georges Pompidou

Le Surréalisme et l'objet, Centre Georges Pompidou
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SO15 300 Le Surréalisme continue à hanter l'imaginaire artistique français. Un certain nombre d'expositions (notamment au Centre Georges Pompidou) ont contribué à documenter ainsi qu'à revisiter ce mouvement constitué autour de la figure controversée d'André Breton : rappelons l'exposition intitulée "La Révolution surréaliste" ou bien encore "La Subversion des images" (à propos de la photographie surréaliste) ou bien plus récemment celle autour du peintre Salvador Dali (auquel le centre avait d'ailleurs déjà consacré une rétrospective très spectaculaire en 1980). Pour mémoire, ce mouvement n'a pas toujours séduit. Il fut vivement attaqué et considéré parfois comme réactionnaire. La célèbre déclaration d'André Breton, " L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. Qui n’a pas eu, au moins une fois, envie d’en finir de la sorte avec le petit système d’avilissement et de crétinisation en vigueur a sa place toute marquée dans cette foule, ventre à hauteur de canon", n'y étant évidemment pas pour rien. ( La RÉVOLUTION SURRÉALISTE N°12, 15 décembre 1929, p2)
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 Pourtant, des aspirations politiques progressistes furent à un moment donné de son histoire, constitutives de ce mouvement qui rassemblait des personnalités à caractères si différents. Et en effet, en 1927, les surréalistes s'engagent auprès du Parti Communiste qui prône un matérialisme a priori si éloigné des préoccupations des surréalistes. Le rêve, l'inconscient, l'intime, l'amour, les désirs érotiques, le hasard, toutes ces notions relevant de la sphère de l'idéalisme ne pouvaient s'accorder parfaitement au matérialisme valorisé par les thèses du Parti. L'objet devait trouver une place centrale tant dans la pensée que dans les pratiques artistiques. C'est à partir de ce constat et de cette analyse que Didier Ottinger, commissaire , va construire cette exposition. 
           
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  Afin de mieux faire comprendre la suite du parcours, deux types d'objets -qui précèdent d'une dizaine d'années la naissance du Surréalisme- vont être présentés dans la première salle de l'exposition : le ready-made de Marcel Duchamp avec le porte-bouteilles, (2) ainsi que la figuration de mannequins élaborés par Giorgio de Chirico (3). Ces deux entités vont se retrouver, d'une manière ou d'une autre, durant tout l'itinéraire. 
           
Mais un objet va incarner véritablement les attentes des surréalistes et  fournir une réponse satisfaisante à leur volonté de matérialisme : la Boule suspendue d'Alberto Giacometti (4, 5). Dali avait défini la notion d'objet à fonctionnement symbolique et c'est précisément cette Boule suspendue qui en deviendra le prototype ainsi qu'un déclencheur pour d'autres objets à venir. Un acte décisif participe à l'élaboration de cet objet : c'est un ébéniste qui sera chargé de la fabrication des pièces. Cette délégation du travail inaugurera sans doute des pratiques qui sont devenues courantes actuellement mais, surtout, installera un acte de cohérence politique compte tenu de l'orientation idéologique prise par les surréalistes.
           
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  Didier Ottinger,  a voulu mettre en place une muséographie dynamique qui prend appui sur des éléments de l'histoire de ce mouvement (jamais avare de traces et de déclarations) qui continue à féconder des pratiques contemporaines comme le montre ce long corridor (1) parsemé de noms de rues plus improbables les uns que les autres (6, 7, 8, 9, 10, 11)...
         
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 Ce très long passage (si cher aux surréalistes) présente échoppes et vitrines construites et ordonnées par des artistes contemporains que Didier Ottinger a sollicités. En fonction des goûts et des pratiques de chacun(e), le commissaire d'exposition a commandé une vitrine de bijoux à Mona Hatoum (15) ou bien une charcuterie à Philippe Mayaux (12), un sex-shop (?) à Cindy Sherman (14), une boutique de souvenirs à Théo Mercier (16) ou bien encore un bureau de Postes à Mark Dion (13).
           
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  Mais, dans le cadre de cette demande, la réponse la plus étonnante -en tout cas la plus fournie- a été celle d'Arnaud Labelle-Rojoux intitulée À la main du diable (18, 19, 20). Didier Ottinger lui a commandé un magasin de farces et attrapes. On connaît la nature éruptive, foisonnante et iconoclaste du travail de cet artiste (on se rappelle sa contribution à l'excellente exposition "Les Maîtres du désordre" au Musée du quai Branly en 2012). Arrivés au bout de ce long corridor, un immense accrochage coloré et éclectique occupe la totalité du mur du fond de l'exposition, cet ensemble étant séparé par un grand rideau jaune plaqué au mur.
           
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Le principe du collage est retenu, qu'il s'agisse d'objets de récupération, de dessins, d'écritures, de sculptures, de bas-reliefs ou de photographies et loin de singer les pratiques de l'époque historique du mouvement, l'artiste nous installe de plain-pied avec ce que nous connaissons du Surréalisme. On sent chez Arnaud Labelle-Rojoux le goût des mots, leur utilisation imagée, leur convocation comme témoins, comme passage d'un monde à un autre mais néanmoins l'artiste fait vivre son univers personnel, toutes ses mythologies pour qui connaît un peu son univers. Dans cette composition, dite À la main du diable, les animaux hybrides, les clowns, la satire, les ombres, l'impertinence des grimaces ou du slogan détourné, le sang, les sécrétions, la pilosité,  l'absurde, le symbole religieux dadaïstement pratiqué, la magie, le masque (qui constitue -comme l'écrit  Jean-Pierre Vernant-  dans les jeux funèbres, un mode de figuration  de l'esprit du mort), la sexualité débridée, moqueuse, l'univers rouge et violent de la décollation, des corps découpés, mutilés, des coupures de journaux, du fait divers insupportable -qui, si divers soit-il, nous plonge au centre de préoccupations qui restent centrales, essentielles-  la dérision, l'arrogance des formes, le jeu intellectuel (la figure qui tire la langue (22) ne rappelle-t-elle pas -de façon exagérément inversée- le fameux With my Tongue in my Cheek de Marcel Duchamp ? que l'on va rencontrer un peu plus loin dans l'accrochage) ; et puis la dimension politique (le fameux Коба, (23) Koba étant un des pseudonymes de Staline) au cœur des préoccupations des surréalistes. La filiation suit son cours et se manifeste tout au long de cette immense façade éclatante (je crois avoir identifié une photographie en noir et blanc du groupe punk  Pussy Riot devenu universellement fameux depuis quelques temps et ceci pour des raisons violemment politiques).
           
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 Face à ce mur impressionnant, une figure incontournable : la poupée, Die Puppe, de Hans Bellmer (27), une autre espèce de collage, de corps démembré à recomposer, une autre espèce de sexualité à inventer. Et ce thème de la poupée, transfigurée en mannequin -nous le disions- va continuer son chemin pour prendre des formes et une apparence inhabituelle, trouble, sans doute gênante pour un certain nombre de visiteurs : une véritable poupée, grandeur nature, substitut à caractère sexuel est assise discrètement sur un banc, dans l'obscurité (28). Le regard sage, les genoux légèrement écartés, elle regarde l'immense écran sur lequel sont projetées des photographies de mannequins installés dans les expositions historiques surréalistes.
           
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  Plus loin, d'autres objets qui font l'épaisseur de l'univers surréaliste : objets trouvés aux puces, éléments minéraux naturels mais aux formes extravagantes, objets à caractère technique ou scientifique, poupées et fétiches issus de cultures lointaines, etc. L'humour n'est pas non plus exclu comme en témoigne cette part de fromage sous cloche (29) , fabrication de René Magritte -qui en profite pour continuer à poser son problème de la représentation. Certains autres, à la limite du ready-made, comme cette inattendue Vénus du gaz de Picasso (30) pour laquelle l'artiste s'est borné à relever d'un quart de tour un élément de brûleur comme le fit en son temps Marcel Duchamp avec sa Fountain
           
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 Ce qui frappe c'est l'extraordinaire diversité des artistes et l'incapacité -heureuse- à les rassembler dans une même catégorie. La complexité vient du fait que chacun a continué à évoluer mais aussi que la conception de ce qui faisait le Surréalisme  des origines a bougé terriblement du fait des soubresauts politiques. Les conceptions idéalistes initiales ont dû céder la place à des pratiques fondées sur un matérialisme affirmé, revendiqué et théorisé. En ce sens, l'objet fut une commodité, une façon efficace de pratiquer des formes artistiques en cohérence avec des principes d'ordre politique ou idéologique.
           
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 Pour terminer, une œuvre de l'artiste polonaise Alina Szapocznikow que je trouve à la fois puissante, drôle, extrêmement plastique et qui fait directement référence au corps tout en abordant le côté dérisoire, éphémère, incertain, indéfinissable de l'œuvre d'art. Il s'agit de "sculptures abstraites" faites de chewing-gums machés par l'artiste. Ce travail a toute sa place dans cette exposition consacrée à l'objet surréaliste puisque ces sculptures éphémères, involontaires font directement référence aux petites sculptures de tickets roulés, froissés, faites par Brassaï (sculptures involontaires). Une façon rafraichissante de réactualiser notre définition de l'œuvre d'art. Et comme l'affirme Alina Szapocznikow :"La création se situe entre le rêve et le travail de tous les jours".
           
           
           
           
           
           
Références

 

1. La rue des artistes contemporains, photo personnelle
2. Marcel Duchamp, Porte-bouteilles, s.d. fer galvanisé et ombre
3. Giorgio de Chirico, Le Prophète, 1915
4. Alberto Giacometti, La Boule Suspendue, 1930
5. Alberto Giacometti, La Boule Suspendue, 1930
6. Nom des rues-Projection de lumière, allée centrale
7. Nom des rues-Projection de lumière, allée centrale.
8. Nom des rues-Projection de lumière, allée centrale
9. Nom des rues-Projection de lumière, allée centrale
10. Nom des rues-Projection de lumière, allée centrale
11. Nom des rues-Projection de lumière, allée centrale
12. Philippe Mayaux, Reconstitution
13. Mark Dion, Package , 2013
14. Cindy Sherman, Untitled, #187
15. Mona Hatoum, Hair Necklace 
16. Théo Mercier, La Compagnie du Bon Goût
17. Paul McCarthy, Fear of Mannequins1
18. Arnaud Labelle-Rojoux, À la Main du diable
19. Arnaud Labelle-Rojoux, À la Main du diable
20. Arnaud Labelle-Rojoux, À la Main du diable
21. Arnaud Labelle-Rojoux, À la Main du diable
22. Arnaud Labelle-Rojoux, À la Main du diable
23. Arnaud Labelle-Rojoux, À la Main du diable
24. Arnaud Labelle-Rojoux, À la Main du diable
25. Arnaud Labelle-Rojoux, À la Main du diable
26. Arnaud Labelle-Rojoux, À la Main du diable   
27. Hans Bellmer, Die Puppe  (1937)  
28. Chléa, 2013 DreamDoll création, mannequin 
29. René Magritte, Ceci est un morceau de fromage, 1936
30. Pablo Picasso, Vénus du gaz, 1945
31. Georges Hugnet, La Profanation de l'hostie, 1935
32. Œuvres de Joan Miro
33. Alina  Szapocznikow, Photosculptures, 1971/2007  
34. Alina  Szapocznikow, Photosculptures, 1971/2007

en pop up (neuvième paragraphe) : Man Ray, Mannequin de Marcel Duchamp dans la rue aux lèvres, 1938, Centre Pompidou
           
           
           
           
           
           
           
           
           
 Le Surréalisme et l'objet  

30 octobre 2013 - 3 mars 2014
Galerie 1 - Centre Pompidou, Paris
           

Commentaires

 Ce  texte et ces photos m' ont menée un peu par procuration à cette expo, dont je ne connaissais pas l'existence,  et que je n'aurai peut être pas l'occasion d'aller voir. J'ai lu ton texte avec un grand intêret et je te remercie beaucoup de l'avoir "illustré". Et si jamais je m'y rendais, j'y repèrerais certains éléments que je n'aurais pas remarqués. Il me reste encore des interrogations, comme le pourquoi de l'importance du long corridor pour les surréalistes... J'aimerais aussi connaître les raisons des commandes de Diddier Ottinger, les vitrines, le magasin de farces et attrapes... bref, plein de questions... et la signification de ce rideau jaune... Il n'y en a peut-être pas... C'est une muséothèque ou un marché d'ailleurs? Je me demande si Ottinger n'a pas mis des noms de boutiques dans un chapeau puis a tiré au HASARD les noms des commerces qui apparaîtraient dans l'expo. Bon, c'est peut-être complètement con, tout ce que je viens de dire, mais je m'en fous... un peu. L'idée de départ c'était de dire merci pour cette déambulation éclairée.
Commentaire n°1 posté par cannelle beck le 08/01/2014 à 22h47
Le passage a été important pour les surréalistes : voir le bouquin d'Aragon "Le Paysan de Paris" dans lequel il décrit précisément des endroits de Paris et notamment le passage de l'Opéra qui a été détruit et où se réunissaient les surréalistes. Le commissaire d'expo a repris le principe en installant des "boutiques" imaginaires adaptées à des pratiques artistiques d'artistes contemporains qu'il connaissait. Pour les farces et attrapes, le choix d'Arnaud Labelle-Rojoux est bien vu car c'est quelqu'un qui fait systématiquement des trucs extraordinaires, surprenants. L'idée du hasard n'est pas étrangère au surréalisme, bien sûr, mais je constate que les choix décidés par Didier Ottinger sont très en rapport avec la pratique et les œuvres que l'on connaît des artistes sollicités. Ces choix du commissaire d'expo n'ont pas du tout été faits par hasard. Et pour le rideau jaune, c'est sûrement plus complexe. Il y a forcément l'idée du théâtre. Mais il faut laisser place à l'imaginaire de chacun.
Réponse de espace-holbein le 09/01/2014 à 23h37
Merci pour ces autres explications. Quant au rideau jaune, que la signification soit plus complexe qu'aucune, je n'ai pas trop de mal à le croire...J'en aurais une, je me permets de la partager, si tu me le permets... A droite cette sorte de sanctuaire "baroque" avec beaucoup d'objets représentant des icônes du monde politique ou artistique. Aucune apparition de figure religieuse, hormis le triangle, trinité? Je vois mal les lettres( Père Fils, Esprit?) et la couleur améthyste du mur supportant tous les objets, qui me fait penser au spectre du catholicisme.... Plusieurs suppositions pour le rideau jaune... choix de la couleur car seulement complémentaire à la couleur violette-ça ferait un peu court peut-être-? La main du diable chauffe certainement... au delà de 500°, et l'améthyste devient jaune à cette température, donc si on franchit la limite... (mais d'ailleurs, où est la limite ?) Tu parlais aussi de rapport avec le rideau du théâtre, habituellement rouge... là, il est jaune. Et en Espagne, le jaune est l'équivalent du vert au théâtre. Ce serait donc un rideau blasphématoire ?...
Commentaire n°2 posté par cannelle beck le 10/01/2014 à 21h58
Bon, exposition vue! Pas pu résister! Je ne voyais pas bien cet objet près de la main du diable. Un tonneau de bois contenant une vierge Marie avec une tête de mouton enfilée sur la tête, un crucifix "barbotine" jaune derrière elle et un serpent villet enlaçant le tout... Allez j'arrête les com. Des limites Bon Dieu!
Commentaire n°3 posté par cannelle beck le 14/01/2014 à 00h31
Bonne chose.
Réponse de espace-holbein le 19/01/2014 à 12h33
?????.... villet est un intrus! 
Commentaire n°4 posté par cannelle beck le 14/01/2014 à 00h34
           

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