samedi 19 août 2006

Keïta et le Prince

Seydou Keïta et le Prince

"Le Prince impérial sur son poney, posant pour le photographe", vers 1859. MAYER & PIERSON "Portrait, Mali", années 50,
Seydou KEITA
Approximativement un siècle et quelques milliers de kilomètres séparent ces deux photographies. Dans les deux cas, un photographe met en place une construction qu'il juge nécessaire à sa prise de vue. Étrangement, le dispositif retenu présente des similitudes.
photographie de MAYER & PIERSON, lieu de conservation : Hôtel Napoléon
photographie de Seydou KEITA : mes archives ; sans doute le Photo-poche N°63, Robert Delpire/ACTES SUD, mais je n'ai pas noté d'où vient précisément le document (si quelqu'un a les références, me contacter).


Commentaires

Elle est surprenante cette photo du jeune Prince solidement attaché à son poney. Je continue de me demander pourquoi M&P l'ont réalisée. Pour faire un essai ? pour photographier (à son insu ?)Napoléon III - eux qui s'étaient auto-proclamés "photographes de l'Empereur" ;-), pour rendre compte de leur manière de travailler ? Parce qu'il leur semblait que cadrer à la fois le prince, son père, le chien, le poney, l'écuyer et le décor était plus intéressant que photographier seulement le Prince ? (d'ailleurs, je n'ai jamais vu l'image qui a dû être la photo officielle). Ce sont bien les mêmes codes qui sont utilisés dans la photo de Keita. Ils photographiaient tous les deux à la chambre, il faut dire : ça impliquait des contraintes formelles (notamment, ne pas bouger, hein le chien, donc on fait poser les gens). Et puis, il s'agit aussi très tôt, avec la photographie, de copier les conventions du portrait pictural (cf. le portrait du Prince Impérial sur son poney préféré: c'est ici http://www.franceantiq.fr/raux/Cat.asp?idTable=Raux0506&classe=11 (image 13817). Dès que la technique le permet, les photographes occidentaux délaissent aux "artisans" la technique du portrait de studio. Le bon goût photographique implique dès lors de préférer les postures "naturelles" au portrait de face. Dans les années trente, Sanders et Evans ont un temps réhabilité l'usage de la chambre photographique et du portrait (cf. le superbe livre d'Olivier Lugon Le Style documentaire). Mais pour ce qui concerne les années cinquante, soixante et soixante-dix, c'est sans doute chez Keita et SIdibé qu'on trouve les plus beaux portraits de studio. (genre bien plus difficile qu'il y paraît : il suffit pour s'en convaincre de regarder les vitrines des photographes en France...) Le Mali n'est pas encore Indépendant au moment où Keita et Sidibé commencent à photographier les habitants de Bamako - Malick a d'ailleurs fait son apprentissage dans le studio d'un français : Gérard Guillat... d'où sans doute (mais pas seulement) les similitudes avec les poses pratiquées dans les studios français au 19ème. Je demanderai à mon ami Guy Hersant (qui s'est beaucoup intéressé à la photographie ambulante et à la photographie de studio en Afrique) ce qu'il en pense...
En tout cas, merci, c'est très agréable de voir cette petite série de photos de studio. Et puis, ça m'a fait plaisir de voir une photo de Samuel Fosso ; avec lui, le studio devient pièce de théâtre (un peu comme la photo du prince Impérial, finalement, mais avec l'auto-dérision en plus !). C'est un de mes photographes préférés ;-)
Commentaire n°1 posté par laurence le 19/08/2006 à 20h39
Comme toi, je me demande pour quelle raison cette photographie du Prince impérial a été faite et pourquoi elle a été conservée (elle avait toutes les chances d’être considérée comme une « photo ratée » de l’époque) : une photographie qui montre ses propres conditions de prise de vue en 1859, ça n’avait rien de courant (la toile de fond est là, généralement, pour effacer le contexte trop anecdotique du studio et ici elle fonctionne de manière contradictoire en laissant apparaître généreusement le hors champ).
Tu as raison pour Sanders et Evans, mais je ne sais pas s’il s’agit d’une réhabilitation (pour ce qui concerne Sanders, il y avait en tout cas une volonté encyclopédique, un souci de classification donc une volonté d'installation et de conservation ; j’avais d’ailleurs vu une magnifique expo il y a deux ans à Rome où c’était évident) mais je crois que ce « genre » a d’une certaine manière toujours existé et a toutes les chances de continuer à exister : voir (toujours) les artistes allemands, et plus proches de nous, en France, Despatin & Gobeli, par exemple). Personnellement j’aime beaucoup « la pose » photographique.
Pour Malick Sidibé et la question que je posais sur l’origine des codes, j’ai lu, évidemment l’histoire de son apprentissage et l’existence du fameux « Gégé » qui devait naturellement être l’héritier d’une culture occidentale véhiculant ses propres codes. Si l'on cherche à identifier l'origine de ces codes, c’est vrai, qu’à ce rythme-là, on peut remonter jusqu’à l’icône byzantine et à la disparition progressive de l’isolant au tout début du Quattrocento ! ;-) L’avis de Guy Hersant m’intéresse au plus haut point..
J’ai bien aimé les portraits (autoportraits) de Samuel Fosso à Africa Remix, cette année à Pompidou.
Commentaire n°2 posté par holbein le 29/08/2006 à 11h12
Notes sur le bouquin d'Olivier Lugon et sur August Sander :
Olivier Lugon : Le «style documentaire» d’August Sander à Walker Evans 1920-1945
Commentaire n°3 posté par holbein le 29/08/2006 à 13h28
Bon, je le refais ;
Notes de lecture sur le bouquin d'Olivier Lugon et concernant August Sander (et non Sanders comme je l'ai écrit dans mon 1er comm ; après une petite dizaine de jours à regarder de la peinture de la Renaissance, j'ai pas les yeux en face des trous. Ca s'appelle "le syndrome de Stendhal", il paraît...) :
http://www.galerie-photo.com/le-style-documentaire.html
Commentaire n°4 posté par holbein le 29/08/2006 à 13h39
Oui, c'est ça, une photo ratée... mais alors, ont-ils deviné ce qui la rendait plus intéressante qu'un simple portrait du jeune Prince ?

Pour la réhabilitation dont je parlais, je pensais surtout à Evans. Il a acheté une chambre en 1930, après l'invention du Leica et du Rollei, dont il ne pouvait  ignorer ni l'existence, ni l'usage. Il était allé en Europe, avait vécu à Paris, en 1926-27. Il devait connaître ce qui se faisait à l’époque, et savoir que les avant-gardes parisiennes n'étaient pas toujours admiratives des photos réalisées à la chambre et dans le style documentaire. Bon, c'est vrai, ils aimaient beaucoup Atget, mais souvent pour des « mauvaises » raisons (parce qu’il avait photographié des mannequins, par exemple). Un des rares, je pense, à avoir compris l’importance des photos d’Atget, c’est Boiffard. Il était assistant de Man Ray, en même temps que B. Abbott, quand Man Ray a découvert l’œuvre d’Atget. Dans ses photos pour Nadja (dans une moindre mesure, dans le film Paris-Express) on sent l’influence d’Atget. Or on sait que Breton détestait les photos réalisées par Boiffard pour Nadja. Bref, ce que je voulais dire, c’est qu’Evans a volontairement choisi d’acheter une chambre et de faire poser les gens à une époque où la modernité consistait surtout à faire des instantanées et à faire basculer les angles. Mais tu as raison, ce n’est sans doute pas vrai chez Sander… Et tu as raison bis : ce genre a toujours existé et continuera toujours à exister.

Pour ta phrase : « on peut remonter jusqu’à l’icône byzantine et à la disparition progressive de l’isolant au tout début du Quattrocento » : tu pourras m’expliquer ;-) ??

Il y avait au même moment que l’expo Africa Remix des photos de Samuel Fosso à l’expo Africa Urbis organisé à la galerie « Musée des arts derniers ».

J’aime beaucoup toute ta série de photos…
Commentaire n°5 posté par laurence le 01/09/2006 à 14h12
On comprend pourquoi Breton détestait Boiffard…et Lotar aussi et tous ceux de la bande à Bataille…
Je n’ai pas vu les Samuel Fosso au “Musée des arts derniers”

J’avais écrit : “Si l'on cherche à identifier l'origine de ces codes, c’est vrai, qu’à ce rythme-là, on peut remonter jusqu’à l’icône byzantine et à la disparition progressive de l’isolant au tout début du Quattrocento !”
Bon, je ne vais pas rentrer dans le détail mais si l’on se met en quête d’une sorte de “traçabilité” visant à repérer dans une série d’images l’étape précédente dont certains éléments auraient été à l’origine d’un trait de fabrication, d’un code adopté par la suite, il faut décider d’où l’on démarre. Dans la confrontation de ces deux images on se doute que Seydou Keita a subi (malgré lui ?) l’influence des codes de pose, ainsi que de l’installation des décors, qui date (au moins) de l’époque de Mayer & Pierson (via les photographes “blancs” qui se sont installés en Afrique et qui ont fonctionné comme modèles). Mais le modèle figé de Mayer & Pierson de 1859 devait être vraisemblablement lui-même l’héritier de la représentation d’Hippolyte Bayard en noyé qui, lui, ne pouvait absolument pas bouger durant un temps excessivement long s’il voulait une photo “nette” (le temps de pose était lorsqu’il l’a fait de trente minutes à deux heures!), d’où le modèle qui “fait le mort” adossé à une toile de fond. Les contraintes liées aux conditions techniques de cette prise de vue vont sans doute conditionner l’esthétique et produire du code.
Doit-on arrêter cette recherche de l’origine des codes aux débuts de la photographie ? Evidemment non puisqu’elle-même est héritière de la peinture et qu’on voit très nettement les codes de la peinture utilisés, notamment, aux débuts de l’histoire de la photographie.
Et la peinture est elle-même, au cours de son histoire, une suite de codifications et de transgressions progressives ou radicales. J’évoquais (pour faire un clin d’oeil) l’histoire de l’isolant : les figures (ex : la Vierge) représentées sur les icônes byzantines sont sur un fond plat, sans profondeur (pour parler vite, pas de paysage, pas de décor). Les premières vierges peintes en Italie conservent ce fond (l’isolant qui permet de préserver symboliquement la virginité de Marie et de la présenter au reste du monde). Cet isolant (sorte de “toile de fond” ) va progressivement et timidement glisser : voir certains Giovanni Bellini, par exemple, laissant apparaître quelques petits élément de paysage pour finalement disparaître :



Doit-on faire remonter la mise en scène de Seydou Keita à celle de la Madonna degli Alberetti de Giovanni Bellini ? Ce serait, sans doute, ridicule. ;-)

Merci pour ton commentaire sur les petites photos. Je dois trouver le temps d'en mettre d'autres.
Commentaire n°6 posté par holbein le 04/09/2006 à 19h36

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