mercredi 16 août 2006

Philip Kwame Apagya

Les décors peints de Philip Kwame Apagya

Mon dernier billet évoquait les effets liés aux excès de la consommation des produits de la culture. Ces excès répondent finalement à des pulsions assez voisines de celles que produit le désir excessif des biens matériels : un besoin d’acquérir toujours plus, de tout posséder jusqu’au dernier gadget, à la dernière nouveauté, par définition inutile.
A des degrés divers, il est sans doute difficile d’échapper à ce travers, même si l’on en a conscience et que l’on cherche à le combattre (qu'il s'agisse de biens culturels ou de biens de consommation courante) ; alors, chacun s’en sort avec plus ou moins de bonheur. En effet, dans la majorité des cas, la possession de biens a tendance à valoriser les individus. On peut adhérer à cette idée, s’y opposer : cela relève du constat. Où commence l’excès ? C’est souvent aux marges qu’il faut aller voir pour en prendre la mesure. Pour ce qui concerne les biens matériels, si nous nous tournons du côté des populations déshéritées, certains comportements affichés fonctionnent comme des signes et nous aident à comprendre les choses.

En ce sens, un pan de la photographie africaine porte les traces de ce désir d’accès à la consommation du monde occidental tout en affichant et en affirmant fermement l’identité des sujets photographiés.
Certaines de ces photographies sont étonnantes comme ces portraits en pied du photographe ghanéen Philip Kwame Apagya (ci-contre) . De grandes et superbes toiles peintes sont tendues verticalement puis tombent et se déroulent au sol de telle sorte que les sujets photographiés entrent complètement dans les décors, tentent de s’y fondre comme s’il s’agissait d’un milieu familier, le leur. Mais les postures un peu gauches des figures photographiées trahissent un certain malaise. Et le décor qu’ils habitent à l’occasion de la prise de vue crée définitivement l’écart. De quoi s’agit-il ?
Il s'agit tout simplement de la représentation en trompe-l’oeil d’un univers à l’occidentale et idéalisé. Les intérieurs sont peuplés de chaînes hi-fi, de réfrigirateurs (remplis), de canapés, de téléviseurs, de téléphones, de meubles de salon, de moquette douillette, etc. Tout ceci à l'échelle humaine, pour un monde résolument moderne, tout en couleur. En somme, les biens les plus contemporains (Philip Kwame Apagya rajoute d'ailleurs des éléments ou modifie ses toiles pour les actualiser) et le confort.
Les décors peints par Philip Kwame Apagya (explique Edgar Roskis,
journaliste et Maître de conférences associé au département information-communication de l'université Paris-X (Nanterre) dans un article du Monde Diplomatique de février 1999) sont le résultat des désirs des gens qu’il photographie :


Ses décors sont le résultat d'interviews méthodiques menées auprès de ses clients - ou doit-on dire ses patients ? Que veux-tu ? Une belle maison, un bel intérieur, un réfrigérateur bien rempli, de la marchandise à gogo, tout ce qu'il faut pour tous les jours, et pour les autres voyager sur les Boeing de Ghana Airways. Le " Studio Normal " est conçu comme la scène d'un magicien qui dévoilerait ses tours, concentrant ainsi l'essence même de toute photographie, perpétuel jeu d'intentions et d'illusions, mais ici énoncées comme telles. Il mêle au fond - c'est le cas de le dire - le désir de l'opérateur et celui du sujet, qui peut sans bouger d'un pouce se rendre dans un Manhattan clinquant comme un juke-box, comme chez nous voir Naples et mourir.
Ces mises en scène sont simultanément magnifiques et décalées, très involontairement. Elles produisent des effets qui sont étonnants mais également amusants dans leur naïveté affichée.
Ces objets de consommation (courants pour l’occident mais nécessairement désirés et idéalisés pour ces Africains) sont peints, le plus souvent maladroitement, organisant ainsi des perspectives variées, contradictoires, au sein d'un même espace de représentation, ce qui a pour conséquence de ruiner l’effet de naturel voulu par les poses à la fois nonchalantes et affirmées des sujets.

Ces photographies montrent donc des êtres désirants qui posent au milieu de biens de consommation dont ils sont dépourvus. Le monde des images existe et ces désirs sont sans doute légitimes. En conséquence, on ne peut évidemment pas leur en faire grief. Les photographies de
Philip Kwame Apagya sont de très beaux objets qui, si nous n'y faisons pas suffisamment attention, peuvent à leur tour susciter notre convoitise.
site présentant des oeuvres de Philip Kwame Apagya
Le Monde Diplomatique, "Le cabinet des illusions", article d'Edgar Roskis
photographies de l'article : portrait(s), 1996 © philip kwame apagya courtesy prestel-verlag

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