lundi 14 juin 2010

Le Désert de RETZ. 4

Le Désert de RETZ
retz18 300 Le comte de Monville était un dandy, il était également érudit, libertin et peut-être franc-maçon. Mais ça, rien ne l'atteste. Il est troublant de constater que la majorité de ses amis et de ses invités l'étaient. Et puis on a cru voir dans l'ordonnancement de ce jardin une volonté de donner un sens allant chercher du côté de la franc-maçonnerie. Il existait un endroit qui permettait d'entrer dans le domaine et qui s'appelait La Porte en Rocher.  Cette porte faite de fausse roche -disparue aujourd'hui dans son état originel- était destinée à marquer l'imaginaire du visiteur qui pénétrait dans le parc. Il s'agissait d'un lieu initiatique qui servait de passage entre la forêt (lieu sauvage, inorganisé, anarchique) et le Désert qui mimait la nature mais était le fruit d'une pensée, d'une réflexion, d'une philosophie, d'un axe de vie. Les fabriques auraient été autant de stations sur le chemin de la connaissance expliquent Julien Cendres et Chloé Radiguet,  les deux auteurs de l'ouvrage cité en bas de page. Et cette Porte aurait été la première de ces stations.
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Et puis il y a cette fabrique qui serait celle de l'aboutissement : La Glacière en forme de pyramide (1) qui avait une fonction très technique et utilitaire puisqu'elle était une véritable glacière. En revanche son apparence pure et géométique à l'excès lui fait endosser  le rôle de métaphore de la perfection maçonnique. Toutes ces constructions fondées sur un cheminement, sur une progression, pourraient faire référence à différentes civilisations  ou à différentes pensées philosophiques et religieuses.
           
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Le jardin classique à la française, avec ses alignements, sa rigueur, sa maîtrise de l'espace, a vécu. C'est le jardin à l'anglaise qui va prendre le relais. Il sera une espèce de refuge pour l'aristocratie qui constituera dans ce lieu clos de nouvelles règles, y inventera de nouveaux jeux, remédiera à son désœuvrement. Annie Le Brun dans un ouvrage intitulé Les châteaux de la subversion - J.J. Pauvert, 1982-  décrit les aristocrates de l'époque comme des «spectateurs fascinés d'une civilisation à l'agonie, encore incapable d'intervenir sur le monde».* Elle voit dans ce lieu qu'est le jardin, un «refuge où l'on se rend pour différer le moment d'affronter les orages qui se préparent. Ce sont d'ultimes décors qu'on ne peut s'empêcher d'interposer entre le monde et soi. Imperceptiblement on l'aménage pour tromper l'attente ; on en fait un lieu où tout devient signe.»*  
 
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Pris dans la tourmente révolutionnaire, François de Monville va vendre son domaine et le Désert de Retz va décliner lentement durant les deux siècles qui vont suivre. En 1856 Frédéric Passy - premier prix Nobel de la Paix-  va  en devenir le propriétaire et y faire vivre sa famille. Abel Gance y filmera  en compagnie de Max Linder. Dali, Aragon, Arp, Breton et les membres du Groupe surréaliste y passeront. Denise Bellon les photographiera (4, 5).
Et enfin, en 2007, la commune de Chambourcy acquiert pour un euro symbolique la partie «historique» du Désert de Retz qui progressivement va s'ouvrir aux visites **.
           
           
           
           
           
           
           
  (suite prochainement, j'espère)
 
 
* cité par Veer Dobbeleir dans le journal de l'exposition Prisonniers du soleil, mars/mai 2010, Le Plateau, p8
** voir  les conditions dans le commentaire de Mr Saury, président de l'association "Le Désert de Retz, jardin des Lumières"
 
 
Rappel : un certain nombre d'éléments rapportés dans cet article sont le fruit de la lecture de l'excellent ouvrage de Chloé Radiguet et Julien Cendres : Le Désert de Retz, paysage choisi, Éditions de l'éclat, Paris, 2009
 
photographies personnelles sauf 4 et 5 qui sont extraites de l'ouvrage de Chloé Radiguet et Julien Cendres : Le Désert de Retz, paysage choisi, Éditions de l'éclat, Paris, 2009
 
 
site consacré aux parcs à fabriques et plus particulièrement au Désert de Retz
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Commentaires

Merci infiniment à vous pour ce travail de fond et de synthèse, bref, pour ces excellents billets dédiés au Désert de Retz sur lequel je m'interroge et cherche à me renseigner (mais sans grand résultat) depuis que je l'ai découvert cet hiver en visitant une exposition de photos de M. Kenna à la BNF Richelieu... Cet endroit m'a d'emblée fascinée et obsédée ... Je ne suis pas étonnée d'apprendre que les surréalistes ont adoré et encensé le lieu ... D'emblée, on le sent, c'est un lieu propice à l'épanouissement des rêves et des sortilèges;
Je ne viens que rarement sur votre blog (que j'ai toujours apprécié pourtant) (cf. vos réfléxions marquantes sur l'oeuvre de Tichy) : TRES heureux hasard !
Vraiment comblée !
Commentaire n°1 posté par Cécile le 17/06/2010 à 17h19
Le Désert de Retz était effectivement présent dans l’exposition de Michael Kenna à la BNF  :
L’épisode Tichy a été  un très bon moment, très drôle (lié à l’émission de radio mettant en scène les « faux artistes »). Il était question pour moi d’évoquer la figure de l’artiste (comment on «crée un artiste» ) et la manière dont il était exposé.  Mon intention était de  bousculer les normes, et d’éviter l’hagiographie – généralement béate, comme il se doit -  et surtout de questionner le mode d’exposition qui peut s’avérer très glauque dans le propos qu’il induit. J’ai choisi de le faire de manière drôle afin de provoquer des réactions. Ce qui n’a pas manqué, dont certaines très hargneuses.
Merci pour vos marques d’attention.
Vous êtes la bienvenue sur l’espace-holbein.
Commentaire n°3 posté par espace-holbein le 18/06/2010 à 15h30
IZIS a photographié le Désert de Retz avec un texte de COLETTE, découverte faite lors de la très belle exposition IZIS de cet hiver.
Commentaire n°4 posté par e.toile le 21/06/2010 à 11h24
«J’ai visité le Désert de Retz par un beau jour torride où tout était propice à la sieste et aux mauvais songes. Je n’y retournerai pas, de peur de voir pâlir ce lieu fait pour le cauchemar modéré. Une eau troublée et jonceuse y dormait au pied d’un kiosque que meublaient des bonheurs-du-jour rompus, des tabourets apodes et d’autres épaves mobilières inexpliquées. Je tiens à me souvenir d’une tour tronquée, achevée brutalement par un toit en biseau. Elle se divisait intérieurement en cellules réparties autour d’un escalier pivotant, qui affectaient chacune, à vue de nez, la forme d’un trapèze…
Ô monde, que tu es plein de mystères et d’incommodités, à qui n’est point l’élu de la géométrie et peine en vain pour décrire la tour tronquée du Désert de Retz ! Celle-ci regorgeait de meubles massacrés. Devais-je rire de leurs squelettes, ou redouter qu’un reste maléfique de vie…
Le bris soudain d’une vitre, m’obligeant à tressaillir, en décida. : un bras végétal, coudé, tors,  en qui je n’eus pas de peine à reconnaître l’application, le cheminement subreptice, l’esprit reptilien des glycines, venait de frapper, et d’entrer par effraction.»

                                               COLETTE
                                               Pour un herbier                                                                              
Commentaire n°5 posté par espace-holbein le 21/06/2010 à 18h21
j'ai réservé ma visite un deuxième samedi plutôt qu'un quatrième puisque tel est le choix et j'emporterai vos  phares en quatre épisodes pour éclairer comment le Temps mange la vie, les Déserts et les Lumières ..merci !
Commentaire n°6 posté par Ch le 13/07/2010 à 00h43
Vous prendrez plaisir à cette déambulation, j'en suis persuadé. N'oubliez pas de nous faire profiter de vos sensations, de vos émotions.
Je vous ai réservé un cinquième et dernier épisode ; surveillez bien !
Commentaire n°7 posté par espace-holbein le 13/07/2010 à 08h41
           
           

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