mardi 29 juin 2010

Prisonniers du soleil

Prisonniers du soleil
pris15 300 Prisonniers du soleil fut le second volet d' "Érudition concrète", programme lancé avec l'exposition La Planète des signes (présentée en 2009). Il s'agissait «d'interroger les rapports de l'art à la connaissance et la manière dont les artistes créent leur propre système cognitif hors des canons universitaires ou académiques, dont ils peuvent se nourrir par ailleurs.» Ce qui a intéressé  Guillaume Désanges, commissaire de l'exposition, c'était, dit-il, «la manière dont certains artistes contemporains créent des formes imprégnées de savoir et d'érudition, mais, contrairement à leurs aînés conceptuels qui exposaient les mécanismes même de leurs recherches logiques ou intellectuelles, la transforment en objets autonomes, souvent jusqu'à l'abstraction.»
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Dans cette logique, un travail inédit de l'artiste américain Corey McCorkle autour du Désert de Retz * fonctionnait de manière centrale et devait servir à échafauder une réflexion plus générale sur le fonctionnement et la nature de systèmes artistiques actuels. Un diagramme dont le centre est un disque (le Désert, la production initiale) et la périphérie composée de sept faisceaux qui convergent vers ce centre  (Utopie, Architecture, Modernisme, Décadence, Ornementation, Naturalisme et Fantastique) est proposé. Le tout formant un soleil. Dans un éditorial de Paris-art du 22 avril 2010 André Rouillé écrivait au sujet de cette exposition : «Longtemps les discours esthétiques — les énoncés sur l'art — ont obéi à une logique essentialiste, sous la forme binaire d'inclusions et d'exclusions péremptoires: ceci est de l'art, cela n'est pas de l'art; ceci est du «high art», cela est du «low art», ou du kitsch. Cette séparation du bon grain de l'ivraie avait ses prêtres sévères, tels que le célèbre critique américain Clement Greenberg, qui tranchaient avec d'autant plus d'intransigeance que leurs oracles reposaient sur de bien fragiles fondements.
Ces gourous du champ et du marché de l'art croyaient, ou feignaient de croire, que l'être «art» est immanent à l'œuvre, qu'il réside en elle, et ne renvoie par conséquent qu'à elle seule. À charge aux critiques d'en déceler, expliciter, et valider les qualités…
Aux beaux jours de l'art moderne, se sont ainsi actualisés dans les œuvres et dans les discours, des valeurs, des énoncés et des formes procédant par dichotomie, par simplification, par oppositions binaires: découpant, séparant, éliminant, désincarnant afin d'atteindre à un idéal d'unité, de pureté, de minimalisme.
Les lumières contre l'obscurantisme, la transparence contre l'opacité, la raison contre la sensualité, la pensée contre la poésie — en architecture, cela se traduisait par le
fonctionnalisme contre l'ornementation, ou les angles droits contre les courbes, etc. En peinture, Clement Greenberg défendait la planéité contre la figure, et surtout contre le kitsch qu'il considérait comme le non-art absolu.».  
Mais tout a évolué : le monde et le regard sur le monde, et on a vu les limites et les apories d'une telle approche. Certains pans complets de ce qui fournissait les matériaux potentiels de l'art ont été écartés, ont disparu et continuent néanmoins à hurler de leur présence.
           
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Le travail du commissaire d'exposition a été de construire une scénographie très nouvelle, en remodelant complétement l'espace du Plateau et surtout en créant une promiscuité entre des objets d'époques différentes, des objets appartenant à des registres différents et des niveaux de complexité variés sur une échelle très vaste. À côté d'œuvres  complexes ou dont le sens reste mystérieux comme certaines pièces d'Anna Barham ou de Louidgi Beltram (voir les articles qui précèdent), des objets sont là pour valoriser l'ornementation (Pablo Bronstein), rappeler l'existence et l'imporance du kitsch (à travers la naissance et le développement des cabinets de curiosités : ici les collections de Céleste Olalquiaga) ou encore le pittoresque ou le romantisme d'un paysage d'Hubert Robert, par exemple. Mais une dimension plus provocatrice dans le cadre d'une telle exposition est l'intégration d'une salle de jeu offrant au spectateur (acteur ?) la possibilité de manipuler des jeux de logique, de société, des jeux de construction, etc. Ceci pouvant être interprété comme l'intégration d'une pratique du jeu très répandue au XXème s!ècle dans le milieu de l'art contemporain. 
Toutes ces composantes étant installées dans un salon  reprenant les canons esthétiques et habituels d'un univers bourgeois traditionnel.  
           
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Une porte "belge" (5), reconstitution d'une vraie porte découverte à Gand par Corey McCorkle, sorte de "monstruosité" (dixit) refaite à l'identique, permet d'arriver dans un autre espace -plongé dans le noir-  qui est une installation du même artiste , faite autour du Désert de Retz. (4), "Zootrope". Cette installation va préparer le spectateur à la projection du film "Hermitage" de McCorkle que l'on va découvrir dans la dernière salle (6, 7). Le promeneur, silhouette noire, sans visage, reprend la figure énigmatique du comte François Racine de Monville, créateur - au XVIIIème siècle - du fameux Désert de Retz *. 
 
            
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Cette exposition pose un grand nombre de questions. C'est une proposition complexe, fine, qui a le mérite d'ouvrir des pistes de réflexion sur les usages et les conceptions artistiques. On perçoit la volonté du commissaire d'exposition de ne pas imposer de parti-pris fermé sur lui-même. La démarche est intuitive. L'expérience relève de l'imprégnation de chacun. Nous sommes, à l'instar du promeneur visitant le Désert de Retz, dans une déambulation érudite et plaisante, assez stimulante. La surprise et l'intelligence du propos sont au rendez-vous. Les systèmes de pensée trop rigides sont exclus ; ce qui en fait une qualité mais produit simultanément de la fragilité. En effet, loin d'exclure toute pensée, ce parti-pris du "grand tout", sans hiérarchisation, peut glisser vers un aplanissement voire un appauvrissement. Il n'en demeure pas moins que cette façon nouvelle d'aborder le domaine aurait mérité un débat plus large dans les médias spécialisés, une confrontation d'idées plus soutenue et enfin que l'on s'attarde un peu plus sur ce qu'est en train de produire le Plateau, auquel il faut rendre hommage.
           
           
           
           
Photographie 1 : diagramme présenté dans le journal de l'exposition Prisonniers du soleil, mars/mai 2010, Le Plateau, p2
Photographie 2 : Maëlle Dault, tournage de Zootrope, Corey McCorkle,  Désert de Retz, 2010
photo (détail) extraite du journal de l'exposition Prisonniers du soleil, mars/mai 2010, Le Plateau, p14
Photographie 3 :  photo personnelle, ambiance dans le cadre de l'exposition Prisonniers du soleil, mars/mai 2010, Le Plateau 
Photographies 4, 5, 6, 7 :  Martin Argyroglo.

                
           
           
           
* voir les articles sur le Désert de Retz :
Le Désert de Retz 1:
Le Désert de Retz 2
Le Désert de Retz 3:
Le Désert de Retz 4:
Le Désert de Retz 5:
           
       
           
« Prisonniers du soleil », 2e volet du cycle «Érudition concrète », qui s'est tenue du 11 mars au 9 mai 2010.

Le Plateau, Fonds Régional d’Art Contemporain d’Ile-de-France, Place Hannah Arendt, métro Buttes-Chaumont, Paris 19ème


www.fracidf-leplateau.com

        

Commentaires

Je sais bien que le 30 juin est le lendemain du 29 et que c'était le jour du sommaire, mais c'est dommage de ne pas avoir laissé cet article en "Une" du blog plus longtemps. J'avais un peu regretté l'absence des analyses plus complexes  qu'il y avait autrefois sur l'espace-holbein et je trouve toute cette dernière série - sur le désert de Retz et l'expo Prisonnier du soleil (quel beau titre!) très réussie. Il est bien l'édito de Rouillé... Dommage que l'exposition soit finie - mais l'expo en cours au plateau vaut aussi vraiment le coup !
Pas possible de mettre le plan - image 1 - en plus grand pour pouvoir lire les listes ? (bon c'est vrai mon ordi, c'est un 13 pouces = petit écran).

Commentaire n°1 posté par laurence le 03/07/2010 à 12h15
Merci Laurence. Bon, tu as dû remarquer (après coup) le procédé : j'ai essayé d'égréner différentes œuvres sans entrer dans le détail, juste comme des citations, puis j'ai rassemblé en parlant plus précisément de l'exposition dans son ensemble. Il aurait sûrement fallu évoquer plus en détail le contenu et les intentions cette expo mais... le temps, l'énergie... Et puis, évidemment,  j'ai mis en lien l'édito d'André Rouillé qui fait très bien la chose.
Je n'ai pas encore vu la suivante. Mais ce qu'ils font est pas mal je trouve.
J'ai agrandi le diagramme.
Commentaire n°2 posté par espace-holbein le 04/07/2010 à 20h58











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