lundi 6 juin 2011

Joan Fontcuberta, Fauna .3

 Chimères
fontcuberta-fauna29 300 un clic de souris pour agrandir
C’est la fin d’une saga de près de cinq ans. Une longue chasse au virus dans laquelle se sont engagées, en vain, des centaines de chercheurs. Et pour cause : le pathogène recherché n’en était pas un.
En publiant, vendredi 3 juin, deux nouvelles études sur le Xenotropic Murine Leukemia Virus-Related Virus (XMRV), la revue Science met un point final à la controverse qu’elle avait contribué à lancer, en 2009, en publiant les premiers travaux sur les effets troublants d’une infection par le XMRV. L’éditeur de la revue se fend dans la même édition d’une «expression d’inquiétude» sur la validité de cette étude –premier pas vers une rétractation.
  L’affaire commence en réalité en 2006, avec la découverte du XMRV –apparenté à des virus provoquant des leucémies chez la souris – dans des tumeurs de la prostate, ouvrant la possibilité que l’agent pathogène ne soit oncogène.  
En 2009, un lien fort est découvert entre le même virus et le syndrome de fatigue chronique (SFC, ou encéphalomyélite myalgique), une maladie énigmatique touchant près d’un million de personnes aux Etats-Unis, dont les symptomes sont une fatigue extrême, des douleurs musculaires, des troubles cognitifs, etc. Sur un échantillon de malades, 67% étaient porteurs du virus, tandis que les mêmes personnes saines n’étaient que marginalement infectées (moins de 4%).

 

Manipulations

 De nombreuses tentatives de reproduire cette association ont échoué, en particulier en Europe. Aux États-Unis, les associations  de malades ont soutenu l’étude, de même que quelques membres éminents de la communauté scientifique.
La première des deux études publiée par Science, menée par Konstance Knox (Visconsin Viral Research Group), reproduit des tests de détection du virus sur le même échantillon de malades qui avaient été testés en 2009. Résultat : aucune trace de XMRV. D’où venaient, alors,  la souche virale  découverte en 2006 puis en 2009 ? La seconde étude, menée par Vinay Pathak (National Cancer Institute) répond de manière saisissante à cette question.

Selon le chercheur américain et ses coauteurs, le XMRV est une chimère créée de toutes pièces au cours de manipulations de lignées cellulaires en laboratoire. Ces manipulations ont consisté à effectuer des greffes successives de cellules cancéreuses humaines sur des souris. Ces xénogreffes successives sont pratiquées pour obtenir des cellules cancéreuses stables, propres à être étudiées. Mais parmi les souris qui ont subi ces xénogreffes, deux étaient porteuses du virus. C’est le mélange de ces deux virus, accidentellement mis en contact, qui a construit, par recombinaison génétique, le XMRV.

Ce dernier n’est donc pas un «vrai» virus. Mais plutôt une chimère présente dans une lignée de cellules utilisée à des fins de recherche dans de nombreux laboratoires. La détection du XMRV chez les patients était donc, très vraisemblablement, le fait d’une contamination des échantillons. Pas d’une réelle infection.

 
 

S.Fo.

La «fatigue chronique» n’est pas liée au virus XMRV

Deux études montrent que l’agent pathogène découvert en 2006 est une chimère créée accidentellement

Le Monde, samedi 4 juin 2011, p17

 
 

 Ce que l'on vient de lire est un véritable article à caractère scientifique paru dans le quotidien Le Monde de ce week-end. Cet article fait état d'un fait scientifique réel et met en lumière l'apparition d'une «chimère» produite involontairement par de véritables chercheurs. La construction de cette histoire est pour le moins surprenante car elle adopte les formes d'une fiction alors même qu'elle se situe dans un processus solidement scientifique. Le développement de cet événement ainsi que ses conséquences (l'invention d'une chimère, d'un virus prétendument responsable de la souffrance de millions d'individus, très sérieusement analysé par la communauté scientifique) relèvent quasiment de la science-fiction.

En revanche, la photographie 1, mettant en scène un spécimen de Myodorophera Colubercauda, décrivant un animal constitué de deux parties -l'une ayant l'apparence d'un petit rongeur et l'autre, reptilienne- est une pure fiction, une véritable chimère, créée par Joan Fontcuberta pour le projet Fauna (cliquer sur l'image pour lire la fiche zoologique). La description qu'en fait l'auteur dans sa fiche technique pourrait néanmoins être totalement crédible.

Pour donner du crédit à ce relevé d'observation «scientifique», Joan Foncuberta indique à la fin de la fiche zoologique (non reproduite ici) du petit animal :

«Myodoriphera Colubercauda : semble correspondre au sous-ensemble 8 de l'actuelle Nouvelle Zoologie. Cat : 0937HK77-4JS »

           
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La mise en parallèle de ces deux épisodes -l'un purement scientifique, l'autre relevant du champ artistique- devrait nous amener à nous questionner sur les pratiques qui contribuent à l'acquisition de nos connaissances et sur les systèmes qui font autorité dans ces processus d'acquisition ; un groupe de scientifiques qui font état de leurs recherches dans la prestigieuse revue Science, mais qui produisent un artifice, une véritable chimère  aura, a priori, plus de crédit et bénéficiera de plus d'écoute qu'un artiste qui se servira des outils et des moyens techniques et scientifiques les plus élaborés du moment et appliquera la rhétorique la plus adaptée au champ qu'il va investir , celle  mise en place par la recherche ainsi que celle qui est en vigueur dans ses modes d'exposition (le langage, les modes d'approche, les différentes classifications, la taxinomie, les notes, les croquis, la photographie technique, etc.)
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Ci dessus, figure une aberration de la nature, l'Alopex Stultus (2). Magnifique spécimen extrait de la fameuse série Fauna. La légende indique : «Ce document prouve*  bien la capacité de l'animal à muter et à s'adapter à des  conditions climatiques difficiles. Faisant partie, à l'origine, de la famille des tortues, cet animal, pour résister au froid et à la neige, a laissé grandir ses pattes, s'est partiellement relevé et, surtout, a développé une abondante fourrure qui lui permet d'affronter les hivers rigoureux. Hélas, nous n'avons aucune information sur son mode de reproduction». (J.Fontcuberta par Christian Caujolle, Éditions Phaidon, p62).

prouve* ; c'est moi qui souligne : un document photographique prouve-t-il quelque chose ? La preuve que non. La photographie ci-dessous (3) nous laissera encore plus dubitatifs...

Y a-t-il une «évidence» dans l'acceptation d'une réalité même (et surtout, peut-être) si elle transite  ou est véhiculée par une technologie qui a fait ses preuves, une technologie soumise à l'obligation de témoigner objectivement, de dire la vérité ?

À moins de redéfinir la notion de réel, il conviendra sans doute de repenser notre rapport à l'image et aux  liens qu'elle entretient à la connaissance. Joan Fontcuberta y contribue largement.

           
  Dans son ouvrage sur Joan Fontcuberta ("Du réel à la fiction, la vision fantastique de Joan Fontcuberta", Isthme éditions, 2005), Robert Pujade écrit page 14 : «L'œuvre de Joan Fontcuberta mime jusqu'à son comble un geste scientifique» ; et en effet, il s'agit bien de cela. Dans un souci de conviction, se positionner dans le champ scientifique est un atout majeur puisque l'objectivité et la rationalité sont la règle. D'un autre côté, les pratiques de l'imitation (la mimèsis) relèvent des attendus et des compétences traditionnelles de l'artiste. Donc, après avoir copié la Nature (exercice classique), quoi de plus naturel pour un artiste que de copier les formes et les pratiques humaines mises en place petit à petit par les générations successives d'hommes de science ? L'artiste se livre à un exercice de représentation tout en déclinant une critique -humoristique- de ce que ce type de représentation met en jeu. Connaissant la nature de la photographie il faudrait, tout de même, s'attarder sur les formes, et non pas, à tout prix, être systématiquement en quête de la «vérité». fontcuberta-fauna28 300
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Fontcuberta sait, en effet, avantageusement jouer de ce médium, la photographie, qui lui permet toutes les avancées, toutes les provocations. Il déclare à Christian Caujolle (op cité, p3) : «Méfiez-vous, c'est de la photographie, donc c'est vraisemblablement faux». Avant d'ajouter, dès la minute suivante : «Regardez, c'est la photographie la plus vraie qui soit. Une pure empreinte du réel». Dans le même ouvrage, un peu plus loin (p5) Christian Caujolle écrit : « Joan Foncuberta a, très tôt, constaté cela (la photographie synonyme de vérité) et s'est interrogé sur les raisons qui faisaient que, autour de la photographie, s'était constitué une crédulité unanime dans le pouvoir du «vrai» de l'image, devenue aujourd'hui tant elle est irrationnelle, une véritable attitude religieuse». D'où les projets qu'il a élaborés du côté des sciences (Herbarium, Fauna, etc.) mais également du côté des croyances et des religions (Miracles & Cie, photos 4, 5). Dans tous les cas, avec tous ces projets, nous assistons à une théâtralisation de la réalité que la photographie met en scène de manière tonitruante et magistrale. Rappelons-nous que la photographie, dès sa naissance, constitue une sorte d'hybride entre l'art et la science et que, simultanément, on lui attribuera des pouvoirs magiques ou ésotériques (fantômes, revenants, captation de l'au-delà, etc.) 
           
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L'utilisation massive de la photographie chez Fontcuberta implique l'idée de suspicion, de mise en doute que l'artiste encourage avec humour. Mais, simultanément, dans le cadre de sa pratique artistique, la photographie lui permet aussi de mettre à nu des stratégies destinées à créer des effets de pouvoir par le biais des images. Et il ne s'agit pas de mettre à l'index ou de diaboliser les nouvelles technologies avec l'utilisation de plus en plus croissante de logiciels de modification d'images comme Adobe Photoshop , par exemple. Comme l'écrit Joan Fontcuberta dans son excellent ouvrage  Le Baiser de Judas (publié en 2005 chez Actes Sud) : «Ce qui a ruiné la vraisemblance et la confiance dans le document photographique n'est pas tant la retouche digitale qu'une conscience critique croissante. La technologie digitale peut précipiter le discrédit, mais elle ne peut le provoquer à elle seule» (p163 ).  
           


           
           
           

La suite demain.

 

voir Joan FONTCUBERTA, Fauna .1

voir Joan FONTCUBERTA, Fauna .2

           
voir, ou revoir,  la série Herbarium de Joan FONTCUBERTA
           
           
           
           
Les images qui figurent sur cette page sont extraites du catalogue de l'exposition Joan Fontcuberta.Sciences-Frictions qui a été présentée du 9 avril au 3 octobre 2005 au Musée de l'Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie (Nathalie Parienté, commissaire de l'exposition) ou de l'ouvrage consacré à Joan Fontcuberta par Christian Caujolle, Éditions Phaidon N°55,( photo N°2, Alopex Stultus, p63) ou bien encore du livre de Joan Fontcuberta Miracles & Cie, publié en 2005 chez Actes Sud (photos 4 et 5) 
 
 
 site de Joan Fontcuberta
           
           
           
           
           
           

 photographies :

 

1 : Myodoriphera Colubercauda, série Fauna (fiche zoologique du professeur Ameisenhaufen)

2 : Alopex Stultus, série Fauna, Barcelone, 1986

3 : couple d'«aérophants» du Kenya prenant leur envol. Photographie de Claude A. Bromley (1941), document de valeur douteuse

4 : série Miracles & Cie, Miracle de la chair

5 : série Miracles & Cie, Miracle de l'invisibilité


           
           
           
           
           
           

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