Une expo photo de Fontcuberta volée… dans sa quasi-intégralité | |||||
PARENTHESE troublante : aujourd'hui dans Rue 89, Par Louis Mesplé | Rue89 | 04/06/2011 | 18H06, cet article : |
|||||
|
|||||
C'est pas tous les jours que l'on vole une exposition photo. Une première en Europe, selon la police spécialisée en œuvres d'art. C'était pendant la nuit du 25 au 26 septembre dernier. Le lieu : dans le Gard, la prestigieuse Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon (XIVe siècle), Centre national des écritures. L'exposition : Miracles & Co. , soit 35 photos encadrées (des 50x60 et 30x40). Le photographe : Joan Fontcuberta. Si nous ne savons que depuis peu l'information, c'est qu'une extrême discrétion a suivi le forfait. Discrétion du côté de La Chartreuse (ça la fout mal…), discrétion voulue par la police (pour mieux enquêter). Discrétion toute relative néanmoins : le lendemain du forfait, dans son atelier de Catalogne, lorsque Joan Fontcuberta apprend la nouvelle, il est en compagnie d'une journaliste d'El País venue l'interviewer sur un autre sujet. Il ne peut cacher son émotion et le 28 septembre, l'information paraît dans le quotidien espagnol. Bizarrement, elle n'est ni relayée dans les rubriques artistiques, ni dans dans les milieux professionnels hors d'Espagne. Joan Fontcuberta et ses essais photographiquesPourtant, Joan Fontcuberta est un photographe espagnol (catalan) de renommée internationale (le seul exposé au MoMA de New York). Historien, critique, enseignant, il étudie depuis toujours – et de façon malicieuse – les forces et les faiblesses de la véracité des images, ses transformations selon leurs modes de communications, ses changements profonds dans ses usages à l'heure d'Internet. Pour éprouver ses fragilités, il invente des scénarios qui reposent sur des histoires réelles – ou fictives – dans lesquelles il se met en scène. Exemple : la série « Sputnik » (1997) ou l'Odyssée de Soyouz. Pour l'exposition Miracles & Co (2002), il se fait journaliste d'investigation infiltré dans une communauté religieuse, orthodoxe, habitant le monastère de Valhamönde, installé en Carélie, au fond de la Finlande, au milieu d'un labyrinthe de lacs et d'îlots. Le reporter raconte l'histoire du monastère, terre d'accueil de grands tapés (Cagliostro, Raspoutine, Ron Hubbard…). C'est un lieu où l'on apprend à faire des miracles « censés conférer à celui qui les réalise un grand pouvoir sur les masses ». |
|||||
Notre reporter découvre vite que ces miracles sont fabriqués par une équipe de prestidigitateurs engagés par les moines. Une arnaque. Parmi les miracles, on citera le plus prisé, celui de la chair, où le visage du Che apparaît sur une tranche de jambon (image ci-contre). Il est écrit dans un catalogue : « Cet essai photographique fait une référence critique à la foi religieuse, au fanatisme, à la superstition, au paranormal, et à la crédulité. »
Généralement, les visiteurs se marrent à parcourir l'exposition. Mais au matin du 26 septembre, on ne rigole plus. Toutes les photos de Miracles & Co ont bel et bien disparu. Escamotées comme par miracle. Seule une grand format de 1,20m x 1,60 est restée sur le mur. Ainsi que les cartels d'explication des scènes. |
|||||
Le mobile du vol ? Hypothèses plus ou moins fantaisistesAprès avoir escaladé le mur d'enceinte et pénétré sans encombre dans le bâtiment, les monte-en-l'air ont soigneusement décroché les cadres sous verre. Une fois déposés, ils en ont ouvert le dos, puis découpé au cutter les marie-louise afin de ne prendre que les photos et les transporter plus facilement enroulées. Seul un cadre a été endommagé (il n'y a pas de casse zéro). Détail (pour les apprentis détectives) : le cambriolage a eu lieu quatre jours avant la fin de l'exposition. Autre détail (dans lequel se cache peut-être le diable) : la disparition de tous les petits « tortillons » de fil de fer qui servaient à relier le piton du mur à l'anneau du cadre et empêcher le larcin compulsif. |
|||||
Fétichistes, les voleurs ? Plusieurs hypothèses circulent pour essayer de les profiler. Dans le désordre :
Ce qui nous emmène à la valeur du dommage. Les tirages, propriété de Fontcuberta, sont récents (après 2000). Le coût de leur remplacement est, sans surprises, au tarif de laboratoire. Mais le préjudice moral subit par le photographe est difficile à évaluer. Sa première estimation (dans El País), faite sous le coup de l'émotion, fixe le prix de chaque photo à 5 000 - 6 000 euros environ. Aujourd'hui, il juge sa perte globale à 80 000 euros. Une somme excessive pour La Chartreuse, qui propose un dédommagement de 1 000 euros par photo. Et l'assureur, Axa ? Arguant du manque de sécurité (les vidéos de surveillance seraient factices), il ne veut rien entendre. Bref, tout le monde est fâché. Le ton monte du côté de l'auteur, soutenu par El País (voir son édition du 30 mai). C'est désormais au tour des avocats de tenter le miracle de la conciliation. Et les photos, où sont-elles ? Dieu seul le sait. |
|||||
lévitation (Joan Fontcuberta) |
|||||
Photos : l'exposition Miracles & Co de Villeneuve-lez-Avignon avant le vol (DR) ; le miracle de la chair (Joan Fontcuberta) ; les murs de La Chartreuse après le vol (DR) ; lévitation (Joan Fontcuberta). | |||||
source : blog Rue 89, On est là pour voir | |||||
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire