mardi 26 septembre 2006

Ernst MACH

Le moi est insauvable
  L’autoportrait d'Italie d’Henri Cartier-Bresson sélectionné pour le billet précédent (ci-dessus) présente de troublantes similitudes avec cet Autoportrait du moi , dessin publié une trentaine d’années auparavant dans  l’ Essai d’analyse des sensations du philosophe autrichien Ernst Mach. Cartier-Bresson adopte un point de vue monoculaire, qui s’origine au plus près du visage, et qui a pour conséquence d'intégrer, dans son rendu, la plus grande partie de son corps allongé sur le dos ; ce corps faisant partie du paysage ou peut-être bien mettant en scène un paysage qui serait le prolongement du corps en question.
Pour ce qui concerne le dessin d’Ernst Mach, le sujet est également allongé sur le dos, peut-être adossé puisque le point de vue se situe légèrement plus en hauteur. Il s’agit, comme chez Cartier-Bresson d’une vision monoculaire. L’origine de ce point de vue est plus en retrait, beaucoup plus à la place de l’oeil : il s'agit  d'une vision qui opère de l’intérieur de la tête.  En effet le dessinateur va représenter sa moustache, l’aile gauche de son nez ainsi que l’ intérieur de l’arcade sourcilière et la partie basse du sourcil gauche.
Dans les deux cas, l'intention de mettre le spectateur à la place exacte du sujet-auteur de ces représentations d'eux-mêmes est forte.

Le rapprochement de ces deux images n’est pas arbitraire. Ernst Mach, maintenant oublié, a été un philosophe extrêmement important et influent à son époque au sein du milieu culturel viennois. Sans entrer dans le détail, il faut savoir que Hugo von Hoffmannsthal et Peter Altenberg suivirent ses cours à l’Université de Vienne, que Schnitzler fut sur le point d’écrire un livret d’opéra avec lui et surtout que Robert Musil (l’auteur de l’Homme sans qualités) lui consacra sa thèse de doctorat.
 "Le moi est insauvable"

En 1908, Ernst Mach écrit  à son ami Hermann  Bahr :


“Quand je dis que le moi est insauvable, je veux dire par là qu’il réside dans la perception par l’homme de toutes les choses, de toutes les manifestations, que ce moi se dissout dans tout ce qu’on peut ressentir, entendre, voir, toucher. Tout est éphémère, un monde sans substance qui n’est constitué que de couleurs,  contours et sons. La réalité est en mouvement perpétuel, en reflets changeants à la manière d’un caméléon. C’est dans ce jeu des phénomènes que se cristallise ce que nous appelons notre “moi”. De l’instant de notre naissance jusqu’à notre mort il se transforme sans cesse”.
  Mach proposera une théorie sensualiste et constructiviste du sujet. Ni la chose en soi, ni le moi ne peuvent exister indépendamment l’un de l’autre, ils se constituent réciproquement sur la base de l’expérience, c’est à dire sur la base de la perception des phénomènes et des événements au travers des sensations.
  D'où l'importance de l'ouverture au monde environnant, de la disponibilité,  qui va produire de l'échange et contribuera conséquemment à la construction de ce moi.
  La Vienne culturelle de l'époque de Mach se caractérisait par un certain  épanouissement, un hédonisme affiché, un monde constitué d'utopies en train de se créer, une ouverture tant dans la pensée que dans les pratiques artistiques. La série de photographies de Cartier-Bresson du début des années trente (d'où est extrait l'autoportrait italien) renvoie ce même parfum d'hédonisme, de liberté, d'ouverture, de disponibilité où l'épanouissement et l'expression du désir semblent être des valeurs. Il suffit de regarder les autres photographies de ces mêmes années comme celle-ci et puis, peut-être, d'observer un peu plus soigneusement le fameux autoportrait italien présenté en haut de la page :
L’instant décisif”, cher à l'auteur, va prendre ici une tournure très particulière. Je disais mercredi qu'Henri Cartier-Bresson était animé du désir d'élire la vie comme valeur suprême. Et c’est peut-être dans cette photographie que cette idée s’illustrera de la manière la plus directe en prenant la forme d’un petit homo erectus, lointain dans le paysage, mais situé très précisément  où plaisir et don de la vie se conjuguent.
photographies  extraites de  pages reconstituées du "scrapbook" Italie, 1933
© Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
dessin : "Autoportrait du moi" publié dans Essai d'analyse des sensations (1900) d'Ernst Mach.
Catalogue Vienne, l'Apocalypse joyeuse, ´Éditions du Centre Pompidou, 1986, p 128
La lecture du chapitre, rédigé par Yves Kobry, consacré à Ernst Mach dans le catalogue Vienne, l'Apocalypse joyeuse (p 124), m'a été d'une aide précieuse.


Commentaires

bonjour, peut-être serez vous interessé par ce site www.visionsantete.com jlr
Commentaire n°1 posté par josé le roy le 05/03/2007 à 00h05
Oui, intéressant. On est dans les figures du solipsisme.
Commentaire n°2 posté par holb le 06/03/2007 à 10h18

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