Fleurs & Questions Une rétrospective du 22 février au 13 mai 2007 |
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Une rétrospective Fischli et Weiss au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris. Un bonheur, donc (voir le billet Fischli et Weiss) . Reprenons. Hum, hum... Plusieurs questions me taraudent. Tarauder, tarauder... Justement, voilà une question importante : la question des trous. Les trous dans l'œuvre de Fischli et Weiss... |
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Cette petite sculpture, tout en caoutchouc noir, on peut la voir comme un autoportrait(s) ? F&W, dubitatifs, devant un trou (noir) plongeant dans le sol ; eux, les artistes, y introduisent un tuyau relié à un camion-citerne. Ils triturent, ils cherchent, ils attendent. Métaphore de la quête ? (vaine) | |||||||||
Le trou : genre appartenant à la fois à la catégorie du trivial et à celle de la métaphysique. L'écart (voire le grand écart) sur un sujet, ça peut être une façon d'envisager l'œuvre de F&W. Revenons à nos trous. Une salle de l'exposition est consacrée à ce qui relève, globalement, de cette préoccupation.
On va y trouver, par exemple, une sculpture, Röhre, Tuyau, (1, ci-dessous), représentant un tuyau court, large, légèrement courbe, en polyuréthane. On apprend que F&W ont travaillé avec les services des égouts de la ville de Zurich. La scuplture ci-dessus s'appelle, d'aillleurs, Les égoutiers. Le cloaque. Duchamp, pas loin...? Ce ne serait pas la première fois que F&W feraient un clin d'œil au Maître. «Tout-à-l'égout sont dans la nature» : dixit Marcel D. Une autre sculpture Tier, animal (2) représente une petite bête à quatre pattes, creuse, avec, d'un côté, deux trous pour les yeux et un pour la gueule, et de l'autre, un autre, tout rond pour l'anus. Le jeu consiste à placer son oeil pour regarder dans le corps vide de l'animal : lorsque l'on regarde par l'anus, on voit la bête qui nous regarde de l'intérieur (l'impression d'être face à soi-même ?). Bon, il faut pas être trop sérieux avec F&W. Deuxième règle : désamorcer à temps. Un autre trou : Kanalvidéo (5) qui est une projection, genre kaléidoscope, qui t'aspire toujours plus profond... Fournie par le service de voirie de Zurich à la demande de Peter Fischli & David Weiss, la bande vidéo est constituée d’une heure de travelling avant d’une caméra télécommandée dans une canalisation d’égout, afin d’en vérifier la salubrité...Un peu comme dans le Paradis de Jérôme Bosch du Palazzo ducale à Venise. (Enfin, faut pas pousser... Désamorcer à temps, je te dis.) Et puis il y a Fragentopf, (3, à droite de l'image et 4) le pot aux questions qui est un très grand récipient de 2 mètres de diamètre dans lequel il y plein de questions écrites sur la paroi. On se dit : pour écrire ces questions, F&W ont du physiquement rentrer dans le pot, tomber au fond du trou... Éprouver physiquement leur questionnement. Le grand écart, je te dis ! Plonger dans un trou (sans fond) et se poser des questions, ça te rappelle rien ? Métaphysique, je te le répète. |
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Le pot aux questions va être une étape qui va nous accompagner vers une autre salle, toute noire celle-ci, dans laquelle des questions écrites tout en courbes et ondulations blanches seront projetées de manière souple, en fondu-enchaîné. La manière est ludique ; les questions sont drôles, souvent naïves, parfois profondes (comme certains trous). L'art de F&W, l'air de rien, sous son côté pseudo-infantile, bricolé, pose pas mal de questions. D'ailleurs, pour ce qui concerne le bricolage et les savoirs-faire en général, F&W posent là aussi de bonnes questions : il faut se rappeler ce que disait Levi-Strauss de l'artiste et du bricoleur : «Tout le monde sait que l'artiste tient à la fois du savant et du bricoleur : avec des moyens artisanaux, il confectionne un objet matériel qui est en même temps objet de connaissance».* De ce point de vue, il est marrant de mettre en parallèle les travaux 9 et 10 (ci-dessous) : l'image 9 montre un petit travail naïf en terre non cuite, un truc un peu patouille, mal dégrossi. C'est un bout d'autoroute. L'association d'un sujet comme celui-là (vaguement inhabituel), du medium qui lui est associé et la manière un peu grossière avec lequel il est traité, est déjà déroutant (si j'ose dire...). Mais lorsqu'on le resitue dans son contexte, l'effet est extraordinaire : il s'agit d'une pièce appartenant à une véritable "forêt" de sculptures de ce type (intitulée "Soudain cette vue d'ensemble") et qui représentent des scénettes ou de petits lieux communs fabriqués de manière franchement humoristique. Le savoir-faire lié à la pratique de la terre est volontairement négligé. Et on s'aperçoit que l'écart des savoirs-faire est énorme lorsque l'on découvre l'œuvre suivante (10), Tish, qui présente une accumulation d'objets usuels, sans intérêt, sur une table et qu'en lisant le cartel, on se rend compte qu'il s'agit là d'objets fabriqués en polyuréthane ; des ready-made, en quelque sorte. Duchamp, pas loin ? Je te disais. Le naïf et le bricolé cachent un savoir-faire et une réflexion au delà de ce qu'on peut imaginer. L'air de rien... |
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Il y a d'autres questions qui m'intéressent dans le travail de ces deux artistes mais ça risque d'être un peu long... Alors, en vrac :
- L'idée du travail à deux chez F&W : on doit être, de temps en temps, proches du déséquilibre, de la chute. Comment cela peut-il tenir ? Là, il est impossible de superposer le destin d'un artiste à son œuvre, comme on le fait souvent sans réfléchir pour tous les autres artistes. -La banalité, toujours interrogée, toujours prise en compte. Jamais esquivée et jamais ennuyeuse à tel point que cette banalité rejoint parfois l'étrange : les mouvements extraordinaires de ces pauvres objets de Der Lauf der Dinge, les situations abordées par un ours en peluche et un gros rat un peu ridicules dans un film tel que La moindre résistance, une racine (13) ou une armoire en caoutchouc, ou encore une projection lumineuse faite sur un mur à l'aide d'un verre à moutarde et appelée pompeusement (mais qui fait rêver) "Le Rayon Vert"... -La prise en compte de la beauté des images au premier degré sans que le spectateur aguerri en ait à en rougir... Exemple : ces murs d'images, dans l'exposition (11 et 12) de tirages représentant des fleurs (15) et des photographies d'aéroports (14) mélangés. Comment s'y prennent-ils ? |
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- Qu'est-ce qui fait, finalement, l'unité de cette œuvre ? Une œuvre toujours au bord du précipice, qui prend des risques, faite de glissements successifs et qui fait qu'on s'interroge à nouveau sur ce qui fait "art" (l'artistique) : on en perçoit sur nous les effets et on a du mal à le définir. Peter Fischli et David Weiss ont remporté le Lion d'or de la meilleure oeuvre à la Biennale de Venise en 2003. F&W vont à nouveau surprendre en emboîtant le pas à grands artistes contemporains comme Robert Ryman ou Jeff Wall en recevant à leur tour le prestigieux prix Roswitha Haftmann 2006. Ce ne doit pas être tout à fait un hasard.
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photographies :
-Égoutiers, caoutchouc, artificiel, 265 x 475 x 190 mm, Courtesy David Fischli et Peter Weiss
-Röhre, Tuyau, Polyuréthane enduit et peint, 1986, 400 x 1770 x 700 mm Courtesy David Fischli et Peter Weiss -Tier, Animal , (série des Sculptures métaphysiques),1986, Polyuréthane enduit et peint 850 x 450 x 500 mm, Courtesy David Fischli et Peter Weiss -vue d'une salle avec Fragentopf (1984), Röhre 1986) , Tier (1986) et Möblierte Wohnung (1984) catalogue de l'exposition F&W, centre G. Pompidou, 1992, p 67 -Fragentopf, le pot des questions, polyuréthane, 1984, 140 x 200cm, collection particulière. -Kanalvideo, 1992, vidéo, couleur, non sonore, durée 60 ' source :collection FRAC Lorraine -L'ascension vers l'empyrée, après 1500, Palazzo Ducale,Venise .Jérome Bosch -Soudain cette vue d'ensemble, 60 sculptures, terre non cuite, 60 x 70 x 50 mm and 820 x 830 x 50 mm Courtesy David Fischli et Peter Weiss -Beliebte Gegensätze: klein und gross, sculpture terre non cuite, 1982 -Série The Big Projection with questions, projection de diapositives, dimensions variables, Friedrich Christian Flick Collection. -Autobahn, autoroute, sculpture terre non cuite, 1982 -Der Tisch, la table, 1992, catalogue de l'exposition F&W, centre G. Pompidou, 1992, p 42 -La moindre résistance, photogramme du film 30 minutes, V.O. allemand, sous-titrage français, 1981 -Le Rayon vert, installation, 1990, catalogue de l'exposition F&W, centre G. Pompidou, 1992, p 26 -deux photographies de l'exposition au MAMVP -Racine , Caoutchouc 1400 x 1140 x 1000 mm Emanuel Hoffmann Foundation -Aéroports,1600 x 2250 mm, Courtesy Matthew Marks Gallery, New York & Galerie Eva Presenhuber, Zürich & Monika Sprüth Philomene Magers, Cologne/Munich/London -Blume, Fleurs, 740 x 1070 mm, Courtesy Matthew Marks Gallery, New York & Galerie Eva Presenhuber, Zürich & Monika Sprüth Philomene Magers, Cologne/Munich/London Un certain nombre d'images présentées sur cette page proviennent du site de la Tate, de Londres où l'exposition s'est tenue avant d'arriver à Paris. textes : * Claude Levi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Éditions Plon, 1962, p 33 |
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Musée d'Art moderne de la Ville de Paris (MAMVP), du 22 février au 13 mai 2007Commentaires |
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Lynch aussi, évidemment. Ca ne peut que te plaire. Je vais essayer de terminer avec un dernier billet. C'est difficile de passer à autre chose. Lynch est quelqu'un de tellement attachant.
Bon, holb, c'est plus court (la flemme, quoi ;-)