La Montagne que nous cherchons est dans la serre
18 février-13 mai 2007
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Une exposition Tetsumi Kudo ouvre ses portes ces jours-ci à La Maison Rouge. Kudo Tetsumi est un artiste japonais qui est né en 1935. Tetsumi était un enfant d'à peine dix ans au moment de la catastrophe qui secoua le Japon et l'humanité tout entière. « Il appartient à une génération des artistes japonais qui considèrent les événements de Nagasaki et d'Hiroshima comme l'année artistique zéro et en font un point constant de référence dans leur travail. » peut-on lire sur le site de la galerie Albert Benamou qui présente des travaux de l'artiste, mort à Paris en 1990. |
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Kudo est un artiste très atypique. Dans les années 60, il fréquente un mouvement artistique d'avant-garde, celui des «Néo-Dada Organizers».
La référence c'est Jaspers Johns, Robert Raushenberg, et plus généralement -compte tenu du contexte politique- une attirance ambigüe pour l'art américain de l'époque. Ce groupe se caractérise par un art du rebut, qui intègre le happening et cherche à s'affirmer contre l'art informel en vigueur à l'époque. Le comportement qu'il adopte est violemment destructeur. La contestation politique liée au contentieux avec les États-Unis va traverser les pratiques artistiques. On verra notamment des membres du groupe Néo Dada défiler dans les rues, le corps couvert de tracts. Contestation politique et happening : la frontière est poreuse. |
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hangeijutsu, anti-art
Les journalistes qui couvraient les événements de l'époque, se sont mis à appeler hangeijutsu, anti-art, tout ce qui relevait de cette tendance.
Tono Yoshiaki, critique d'art et organisateur d'expositions raconte : |
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«J'avais utilisé ce terme dans les colonnes du journal Yomiuri à propos de l'objet de Kudo Tetsumi "Zoshokusei rensa hanno" (Réaction en chaîne proliférante -photo ci-dessus-) fait d'une lavette et d'une armature en fer, exposé en 1960, lors de la treizième exposition des indépendants Yomiuri. En réalité j'avais inventé ce terme en m'inspirant de mots fréquemment utilisés dans d'autres domaines, tels que anti-théâtre ou anti-roman.» * |
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L'exposition présentée à La Maison Rouge rend un véritable hommage à cet artiste si particulier qui parle de sexe et d'écologie, qui mêle fleurs et phallus, limaces et crucifix. L'art qu'il pratique convoque des formes organiques ; des fragments de corps côtoient des fleurs en plastique, des formes flasques, humorales baignent dans une terre noire habitée d'insectes ou d'escargots fluorescents ; des formes humaines improbables, ficelées sont disposées dans des boîtes légendées...Et puis des cages. Beaucoup de cages, vertes rouges, roses, multicolores, accrochées en hauteur, posées, vomissant de l'informe ou bien des fleurs. |
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A l'agitation du corps, de l'époque des happenings, ont succédé ces objets troublants, soigneusement organisés, qui peuvent prendre, parfois, l'allure d'installations comme cette pièce (que nous avions vue dans l'exposition Féminin-masculin, au Centre Georges Pompidou, il y a quelques années) : Pollution, cultivation, nouvelle écologie, 1970-71. Cette œuvre qui se présente comme une installation où, dans un curieux jardin, baignant dans une lumière noire, poussent des fleurs en plastique et des fragments épars de corps humains. Traumatisé par la bombe atomique, Kudo présente, ici, un univers éclaté, où les têtes, les sexes, les membres humains se mélangent à la terre, ou sont accrochés à des tiges en métal qui se dressent à la verticale (1ère photo ci-dessous).
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Dans la vidéo qui passe en boucle dans l'exposition, on entend Tetsumi Kudo déclarer : « Le sexe, comme la chrysalide, passe par un état transitoire». Ainsi nous surprenons certaines fleurs qui se transforment en phallus. Ces objets, organes de passage, de métamorphose sont transitoires. Ils ne semblent pas avoir de forme définitive. Ceci était déjà en germe dans les travaux anciens de Kudo : ces œuvres que certains critiques ont appelé «œuvres de la post-Hiroshima generation» étaient des sortes de convulsions à l'image des tristes et inquiétants objets déformés, liquéfiés par la bombe. | |||||||||
Ce trauma, l'Oeuvre de Tetsumi Kudo le porte en elle. En effet, l'Explosion est le symbole de la ruine totale, définitive, qui anéantit tout espoir. Le vide absolu. Comment se reconstruire ? L'humanisme de pacotille est dénoncé, les fleurs en plastique ne poussent plus mais sont là, dérisoires, baignées d'une lumière fluo, irréelle, artificielle. Le recours à une «nouvelle écologie» est nécessaire selon l'artiste, qui ne peut sombrer dans un pessimisme total. Son pays peinera à le reconnaître. Il partira pour la France en 1962 et fera des allers-retours entre son pays et Paris où il finira par s'éteindre en 1990.
Il laisse une œuvre grave, révoltée, déjantée et poétique. |
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Une autre exposition est présentée à La Maison rouge : Mutatis, mutandis. Il s'agit d'extraits de la collection d’Antoine de Galbert. A l’occasion de l’exposition Tetsumi Kudo, Antoine de Galbert présente pour la première fois un choix d’œuvres de sa collection, autour d’une pièce de Kudo lui-même: Sans titre (1971), un jardin hybride sous un globe de plexiglas mêlant fleurs artificielles et germinations de phallus.
Un très beau choix d'œuvres. J'en parle prochainement. |
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* texte : Tono Yoshiaki, catalogue de l'exposition Le Japon des avant-gardes, Centre Georges Pompidou, 1986, p329 Illustrations : -Tetsumi Kudo, Anti-art, happening, 1957, Japon, Tokyo, galerie Mimatsu, catalogue de l'exposition Hors Limites, Centre Georges Pompidou, 1994, p 43 -Tetsumi Kudo, Réaction en chaîne proliférante dans un corps élémentaire en X, 1960, catalogue de l'exposition Le Japon des avant-gardes, Centre Georges Pompidou, 1986, p343 - 2 registres au centre : vingt photographies de l'auteur. Oeuvres de Tetsumi Kudo -Tetsumi Kudo, La vie confortable : Cinq pièces, calme, chauffage centrale, électro-régulateur, appareil gymnastique, plein soleil, petite jardin avec fleurs et pollution, taxes, TVA et tout compris, 1972 - 1973 Commentaires |
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C'est vrai que je n'ai pas évoqué Patty Chang et sa vidéo, mais il y aurait tant de choses à dire.