mardi 13 mars 2007

David LYNCH - The Air Is on Fire .3

David Lynch
The Air Is on Fire

du 3 mars au 27 mai 2007




«The Air Is on Fire» ("L'Air est en feu").
« Ce sont juste quelques mots que j'avais écrits sur un dessin, et qui peuvent faire surgir mille images chez chacun.»

David Lynch

David Lynch n'est pas simplement ce grand cinéaste que nous connaissons aujourd'hui. Sa formation est celle d'un peintre. C'est ce que nous montre cette superbe exposition qui débute ces jours-ci à la Fondation Cartier à Paris.

Mais David Lynch va produire une œuvre excédant très largement les frontières de la peinture.


Lorsque nous pénétrons dans l'espace d'exposition, d'immenses taches de couleurs s'imposent. Ce sont d'impressionnantes tentures colorées accrochées à des structures métalliques noires, non moins impressionnantes. Ce qui frappe immédiatement et simultanément les sens c'est le son, cette musique enveloppante, mystérieuse, douce et vaguement inquiétante. On prendra conscience plus tard, en se déplacant dans l'exposition, que le visiteur peut intervenir lui-même sur ce flot musical lancinant, ininterrompu en appuyant sur de petits boutons placés sur des bornes mises à sa disposition et qui jalonnent tout son parcours. Il s'agit d'une installation sonore interactive créée spécialement pour The Air Is on Fire. L'importance du son est toujours perceptible dans les œuvres de Lynch et ceci dès le début (se rappeler le générique du film The Elephant Man qui le fit connaître au grand public avec le bruit étrange, inquiétant des éléphants se déplaçant, le cri du bébé qui naît et clôt ce générique et puis, dans le même film, le bruit répétitif, lancinant, musical de ces machines du XIXe siècle anglais, ce bruit de l'industrie naissante).

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Sur ces tentures immenses, pans de jaune, bleu ou rouge sont suspendus les tableaux. Des œuvres d'assez grande taille. L'espace est alvéolé, créant ainsi à la fois des parcelles privées et invitant à une circulation qui contraint le visiteur à repasser par les mêmes endroits, à refaire le même chemin, de manière quasi obsessionnelle, comme le ferait (l'a fait ?) l'artiste lui-même. 

Ces tableaux présentent des amorces de récits autour d'une figure centrale nommée, à minima, Bob. Les situations que David Lynch installe sont fortes, pesantes, chargées, incommodes, violentes. Les traces que Francis Bacon a laissées dans l'imaginaire artistique et sensoriel de Lynch sont palpables. Le traitement pictural fait corps avec ces situations. D'immenses panneaux, dont certains font près de trois mètres de côté, sont présentés (1ère et 3ème illustration , ci-dessus). Les figures humaines sont à l'échelle 1 : de véritables vêtements et objets courants sont intégrés dans le plan de l'œuvre. Le support est souvent un agrandissement (jet d'encre) extrême de fragments photographiques ; ce qui produit un grain multicolore très éclaté, ou plutôt un pointillisme coloré (on aura en tête la peinture et notamment celle des post-impressionnistes pour ces fonds). En superposition, une pâte épaisse, matiériste, traitée à la limite du volume, parfois, va engluer ces objets de notre quotidien que sont un pantalon véritable, une ceinture ou un couteau menaçant émergant de ce magma. Enfin, Lynch aimant les mots, l'écriture interviendra fréquemment dans les œuvres, sous forme de collages ou plus simplement de manière peinte ou manuscrite.




En pénétrant dans l'exposition, nous avons progressivement l'impression de nous plonger dans ce magma, cette pâte engluante à la manière des objets dont nous ne voyons que de fragments, empêtrés qu'ils sont dans ce devenir-monde qui les absorbent. Cette œuvre a la capacité de tout intégrer comme ces peintures qui accueillent tous les matériaux, cet art qui expérimente sans cesse: médiums, supports, textures, espaces et situations diverses. Ce qui est fascinant c'est le silence des visiteurs, leur concentration, malgré la promiscuité et l'affluence.

Ce monde souple des figures troubles de l'inquiétante étrangeté, de l'onirisme, de l'étrange, de l'organique, du rêve, de la sensation, de l'informe, de l'énigmatique, des ombres mouvantes, de la nuit qui mange l'image, de la vitesse hurlante, des cris désordonnés, des corps désarticulés, violentés, ce monde souple est fascinant ; comme est fascinant celui du glamour, ou bien des silhouettes désirables qui apparaissent dans un éclat de lumière, ou encore des visages effacés et beaux, des plaintes, de la solitude de la fille qui pleure seule, assise sur le canapé dans l'éternelle chambre aux murs colorés.

«Le cinéma est fait pour créer une ambiance» dit David Lynch.
Il n'y a pas que le cinéma pour créer cette ambiance chez Lynch qui est un peintre des affects. Cette exposition nous le montre.
Où chercher le sens ? Qu'en est-il de la question du sens ? Est-ce une bonne question ? Je n'en suis pas persuadé.





Je vais (sans doute) continuer : la photographie, le court métrage et puis la question du sens, évidemment.




«The Air Is on Fire», exposition à La Fondation Cartier pour l'art contemporain


du 3 mars au 27 mai 2007
illustrations :

1.
This man was shot 0,9502 seconds ago, 2004, huile et technique mixte sur impression jet d'encre 152,4 x 296 cm, photo : Patrick Gries, ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier
2. Distorted Nude, sans date, tirage numérique ©David Lynch
extrait de Beaux Arts magazine, mars 2007, p 101
extrait du site de la Fondation Cartier
3. Do you want to know I really think ?, 2003,  huile et technique mixte sur impression jet d'encre 152,4 x 296 cm, photo : Patrick Gries, ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier
4 et suivantes : photographies de l'auteur


Commentaires

Cette expo, il faut la voir plusieurs fois, comme les films, justement, je trouve, pour finir par oublier de chercher un sens dans ces histoires, ces images. C'est elles, et cette musique dont vous parlez si bien, le sens et, curieusement, on se sent (!!) rasséréné après une séance, quelle qu'elle soit, de David Lynch. C'est compliqué, profond, énigmatique, abyssal, cauchemardesque parfois mais ce n'est jamais morbide ni désespéré et toujours d'un esthétisme réjouissant. Ce monsieur est d'ailleurs fort sent...imental, dans ce que l'on perçoit des relations qu'il a avec ses acteurs, dans le cœur des histoires qu'il met en scène; les happy end coulent de la source du cheminement plein d'épreuves qu'il nous a invités à suivre avec des anges et des madonnes areligieux. Twin Peaks fait penser à La Flûte Enchantée! Il y a une grande unité quelque part entre l'expo et les fims..tant mieux car sinon mon commentaire serait complétement mal à propos!

Ce site a au moins le mérite d'être fait par des passionnés: http://www.thecityofabsurdity.com !
Commentaire n°1 posté par Ch le 16/03/2007 à 22h54
Je vais évoquer la question du «sens» dans mon dernier billet (.5)
Je suis d'accord, l'exposition est à voir et revoir pour une raison (au moins) liée précisément à la question du sens de l'œuvre de Lynch.
C'est vrai  qu'il n'y a jamais de morbidité. Je trouve que Lynch est quelqu'un de très «sain». Et sentimental ! Voir (et revoir) Sailor et Lulla !

Merci de vos interventions, ça me fait réellement plaisir . A renouveler : l'internet est un lieu d'échange et l'occasion de partager nos expériences, nos perceptions et nos connaissances (à ce titre merci pour ce lien).
Commentaire n°2 posté par holb le 18/03/2007 à 10h33

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