dimanche 18 mars 2007

David LYNCH - The Air Is on Fire .4


David Lynch
The Air Is on Fire

du 3 mars au 27 mai 2007




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«The Air Is on Fire» ("L'Air est en feu").
« Ce sont juste quelques mots que j'avais écrits sur un dessin, et qui peuvent faire surgir mille images chez chacun.»

David Lynch


Le feu est dans cette exposition qui débute ces jours-ci à la Fondation Cartier à Paris. Lynch aime ce feu qui nous brûle de l'intérieur. Cet air qui nous enflamme, cet air que nous respirons et que nous partageons avec nos semblables. Pour ce mystère.

Une énigme que David Lynch essaie de traquer par tous les moyens : cinéma, photographie, etc.


Lynch s'approche, s'approche de la bouche rouge de la dame. Son regard est sélectif. Son œil fait la mise au point sur les lèvres. Rouges. Rouges comme le sont sûrement ses ongles. Là, David Lynch est photographe. La lumière, bizarrement distribuée va provoquer une image qui peut basculer sans que l'on n'y prenne garde vers une sorte d'abstraction. Certains nus exposés relèvent de cette quasi abstraction. La proximité intense du regard et la déformation par la lumière débouchent sur des formes chaotiques et l'on ne sait plus bien si l'on est devant un visage ou dans un paysage industriel abandonné, cabossé, suintant, à la manière de Tarkovski. De toute façon, tous deux jouent la séduction.

Le traitement de ces nus et visages de (belles) dames est à l'exact opposé de ce que Lynch met en œuvre lorsqu'il traite de peintures grand format avec personnages (voir billet sur la peinture). Dans ces photographies, la promiscuité amoureuse est là, tout entière. Le visage de l'artiste est à proximité de son modèle ; on doit pouvoir sentir le souffle, l'air chaud. Le champ du regard est rétréci, intense.

En revanche, pour ce qui concerne ces grandes peintures (comme celle-ci, par exemple), l'espace que David Lynch installe semble être fait pour intégrer le visiteur/voyeur/regardeur extérieur que je suis. En effet, outre le format immense de certaines de ces toiles (qui m'intègrent de fait), les éléments du décor sont ouverts, déformés, disposés en éventail, et les personnages sont représentés en déséquilibre comme s'ils allaient tomber hors-champ de chaque côté du tableau (à la manière d'une photographie prise au grand angle, type objectif 28 mm). La relation à l'œuvre est radicalement différente.
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David Lynch est un photographe insatiable. Dans l'exposition nous voyons beaucoup de ces paysages incertains, brumeux, boueux, post-industriels. Noir et blanc. Certains sont animés de présences fragiles et éphémères comme ceux de la série "Snowmen", les bonshommes de neige. Blancs et noirs. L'unique serait amusant. La série, tous identiques et tous différents, donne un côté vaguement inquiétant.

Et puis il y a, bien entendu, ces films d'animation et ces courts-métrages présentés dans le petit théâtre reconstitué par Lynch au centre du grand espace du sous-sol. Petit théâtre d'Eraserhead : colonnettes et rideaux épais, lampes à filaments au sol et damier (noir et blanc, toujours présents...).
Des découvertes étonnantes. On ne peut
tout évoquer. Les films se regardent et l'on a besoin de temps. Du temps qui se déroule avec parfois des boucles, des répétitions, des ressassements nécessaires à la transmission de affects. David Lynch nous promène dans un labyrinthe au sein duquel il nous est permis d'identifier certaines constantes ; à ce moment précis, l'étrangeté devient rassurante : nous sommes bien dans l'œuvre de David Lynch.

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Les ombres sont très présentes. Un de ces fims expérimentaux mettant en scène les ombres c'est Intervalometer Experiments "Steps" (9, ci-dessus). Ce film est extraordinaire et d'une très grande beauté : un plan fixe montre un simple escalier de ciment. Les ombres avancent et mangent progressivement l'image. Très rapidement s'amorce cette dévoration entamée par l'angle droit,
en bas ; elle gagne le centre puis la totalité à une vitesse vertigineuse. Au tout début, on ne repère pas qu'il s'agit d'ombres (accélération oblige). Ce sont des sortes d'animaux rampant, envahissant. Ne pas louper. Un autre de ces films mettant en scène l'ombre (du monstre, cette fois) c'est Out Yonder-Neighbor Boy (8) où l'on voit Lynch lui-même en présence de quelqu'un d'autre, assis sur un banc et une ombre à forme humaine gigantesque va progressivement s'avancer puis les recouvrir. Le son (comme d'habitude chez Lynch) est traité de manière singulière et troublante. Il y a également Alphabet (6) d'une grande beauté formelle, Boat (7), très mystérieux dans lequel la lumière excessive phagocyte le visage de Lynch ; l'ensemble finit par se perdre dans la nuit. Enfin The Grandmother(10), souvenir (?) recomposé inquiétant où la figure du petit garçon est malmenée.

Tous ces travaux anciens s'inscrivent bien dans la logique de cet artiste qui a un monde véritable, un monde labyrinthique bien à lui, doué d'une grande cohérence malgré l'apparente confusion générale ou les prétendus égarements.

(peut-être) une suite, et fin les jours qui viennent.


«The Air Is on Fire», exposition à La Fondation Cartier pour l'art contemporain

du 3 mars au 27 mai 2007
illustrations :

1.
Sans titre, sans date, photographie couleur, 27,9 x 35,3 cm ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier
2. photographie de l'exposition. Distorted Nude, ©David Lynch, photographie : Patrick Gries
(détail en vignette)

extrait du site de la Fondation Cartier
3. Sans titre, sans date, photographie couleur, 27,9 x 35,3 cm ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier
4. Do you want to know I really think ?, 2003, huile et technique mixte sur impression jet d'encre 152,4 x 296 cm, photo : Patrick Gries, ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier
5. photographie "snowman" extraite d'une série de bonshommes de neige prises en 1993 à Boise.
photograhie empruntée à un site consacré à David Lynch.

6. The Alphabet, 1968, 3 mn 45, 16 mm couleur ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier

7. Boat, extrait des films expérimentaux 1998-2002, 7mn 15 video couleur, ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier
8. Out Yonder- Neighbor Boy, extrait des films expérimentaux 1998-2002, 9mn 37 video couleur, ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier 
9. Intervalometer Experiments "Steps", extrait des films expérimentaux 1998-2002, 3mn 39 video couleur, ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier
10. The Grandmother, 1970, 34mn 16 , 16 mn couleur, ©David Lynch
extrait du site de la Fondation Cartier





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