jeudi 20 juillet 2006

Sophie Ristelhueber

Les Rencontres d'Arles 2006...(2)

"Il y a chez moi un côté documentariste - je veux voir et savoir. Mais je ne publie pas dans la presse. Les légendes que l'on met sur les images sont pour moi un cauchemar."
Sophie Ristelhueber

Propos recueillis par Michel Guerrin pour le quotidien Le Monde, le 08.04.2005.
Sophie Ristelhueber est née en 1949 à Paris. Elle présente à Arles une installation, "Eleven blowups", comportant onze photographies grand format, collées directement sur les murs de cet appartement ancien, au papier peint défraîchi, du deuxième étage des locaux de la Banque de France. L'appartement de style bourgeois est vide mais semble avoir été habité jusqu'à une date récente. Les immenses tirages numériques qui occupent les murs jusque dans les endroits les plus communs, comme la cuisine, produisent un contraste violent avec le calme de ce lieu intime et privé. Et paradoxalement, l'ensemble fonctionne admirablement.
Ce que l'on peut voir sur ces photographies numériques est proche de la blessure : elles présentent une série de cratères d'attentats sur la terre irakienne. Les images sont grises ou brunes, obligatoirement déceptives et imposent une présence qui relève de la gêne ou du trouble.
Ce sont des images qui renvoient à une réalité lointaine, celle de la guerre en Irak ; cette réalité que l'on ne connaît que par le biais des médias que sont la télévision, l'internet, les quotidiens et les magazines. Une sorte de déréalisation, en quelque sorte, qui s'introduit dans notre univers de tous les jours. Quel crédit accorder aux images ? Ou plutôt (ceci me paraît plus intéressant), comment nous situons-nous par rapport à ces images ? Si cette réalité est géographiquement lointaine, Sophie Ristelhueber va accentuer le propos en mettant ces images encore plus à distance par le traitement qu'elle va leur imposer : ces photographies exposées ne sont pas les siennes. Plus précisément, elle n'a pas fait les prises de vue de ces paysages blessés que l'on peut voir sur les murs de cet appartement. Sophie Ristelhueber a passé des heures et des jours entiers à visionner des vidéos de l'agence Reuters. Elle en a extrait des photogrammes puis a rassemblé différents fragments de ces images afin d'en composer d'autres, les siennes. La mise à distance est plurielle et l'effet de présence est radical, sans tomber, d'aucune façon, dans le pathos, le voyeurisme ou la mièvrerie.
La photographie a tout le temps été interrogée en terme de "vérité" ; elle entretient un rapport qui se veut proche de ce que l'on reconnaît ou perçoit de la réalité. La mécanique qui la caractérise lui confère sans doute une sorte d'objectivité que n'a pas la peinture. Or, (est-ce utile de le rappeler ?) la photographie n'est pas plus objective que les autres médiums. Le choix du sujet, d'un détail, de l'angle de vue, de la prise en compte, ou non, du hors-champ, etc. sont des paramètres décisifs pour qui veut "composer" une réalité. Et ceci, même à l'époque, déjà un peu ancienne, de l'argentique où l'on se complaisait dans l'idée qu'une photographie constituait une "preuve" (les masquages, ou autres rajouts étaient déjà pratiqués en chambre noire). Sophie Ristelhueber va porter un coup (décisif ? Si cela devait être encore nécessaire) à ces scrupules relatifs à "la manipulation" des images en installant ce dispositif et en l'annonçant comme tel. Ceci engendrant un questionnement sur ces photographies qui font partie de notre monde, au même titre que le papier peint ou les carreaux de la cuisine de l'appartement.
Cette exposition est importante, non seulement pour ses qualités, mais également par rapport aux choix opérés par l'actuel commissaire des Rencontres d'Arles, Raymond Depardon, car c'est peut-être la seule à questionner cette pratique de la photographie de reportage en nous permettant de regarder, maintenant, autrement le travail des illustres et imposantes figures (d'ailleurs présentées dans d'autres lieux du parcours), que sont Don Mc Cullin, Cornell Capa ou encore, Gilles Caron.
photographies de l'auteur


Commentaires

Ce qui me semble frappant c'est la mise en scène de la photo plus que le sujet lui-même. Ce qui interpelle ce n'est pas le trou mais la distance infranchissabe de ce monde cloisonné et tapissé d'un appartement et la réalité de la guerre et en même temps la perception de proximité, de probabilité que ces trous pourraient être là dans ces murs au premier bombardement.
La photo des fenêtres ouvertes en est le révélateur : vous ouvrez bien vos fenêtres sur un monde en guerre!!
Ce que tu résumes très bien par "la mise à distance plurielle et l'effet de présence radicale..". 
Commentaire n°1 posté par Lyliana le 21/07/2006 à 21h39

Je suis passé très vite dans cet apartement «squatté» de visions terribles. Je crois avoir parfaitement compris ce que voulait nous dire Sophie Ristelhueber... Mais je n'ai pas été accroché, j'ai même trouvé cela un peu trivial. Et j'ai plus regardé l'appartement, cherchant machinalement ou je mettrais mon bureau et si la cuisine serait assez grande. Et du coup, ces photos, elles auraient disparu dans le chantier de rénovation. Elles avaient d'ailleurs disparu de ma mémoire, jusqu'à ce que je voie les photos que vous avez faites.

De photographier l'accrochage, et donc de le mettre à plat (littéralement) produit une vision beaucoup plus intéressante à mes yeux. Les choses prennent une réalité différente, elles deviennent intrigantes. A mon avis, elles fonctionnent encore mieux car elles entrent dans des conventions visuelles classiques: on peut les regarder. Alors que lors de la déambulation qui est proposée, on est confronté à des incohérences matérielles qui focalisent inutilement notre attention, les images de cratères agissant comme des artefacts.

(Mais que diable utilisez-vous comme appareil de photo pour obtenir des clichés techniquement aussi mal foutus? C'est bougé, trouble, les blancs sont brûlés, les noirs bouchés, les verticales en barillet... vous faites cela avec votre mobile ;-)
Commentaire n°2 posté par Béat le 22/07/2006 à 02h41
Effectivement la mise en scène est importante. Il y a plusieurs choses que je trouve vraiment intéressantes dans le travail de Sophie Ristelhueber : elle appelle ce travail "une installation". Ce n'est donc pas simplement des photographies grand format accrochées ou collées sur des murs (elle aurait alors sans doute dit : "exposition de photographies"). Il s'agit de prendre en compte l'ensemble, y compris l'objet constitué par cet appartement. Ca n'est pas rien. Autre chose : Sophie Ristelhueber (qui est par ailleurs une excellente photographe) n'a pas fait elle-même les prises de vue qui serviront à fabriquer ce qu'elle montre. Elle se sert d'images de presse de l'agence Reuter, d'images qui ne se caractérisent pas par leur qualité artistique (il n'y a pas de "volonté d'art" dans ces images, comme on dit) et la qualité technique de ces images est basse (n'en déplaise à notre ami Béat...). J'ai signalé le côté gris ou brun des images exposées. On n'est plus dans cette logique de "la belle image", "bien fichue", qui "claque" avec piqué, noir velouté, composition au nombre d'or, cadre distingué et marie-louise d'un blanc crémeux. S.R. va déjà piocher directement dans de l'image de relégation car le numérique permet de produire de l'image au kilomètre ou à la tonne donc souvent dans un vivier images qui du fait de la quantité qu'elles représentent ne seront jamais vues. La posture n'a rien à voir avec les "beaux tirages" au Leica d'images de guerre ou de famine exposés dans les ateliers SNCF d'Arles.
Pour ce qui me concerne, je n'ai moi-même aucune prétention à fabriquer de "belles images". J'ai dans ma poche un petit appareil numérique classique qui me sert à prendre des notes lorsque je visite des expositions (et j'en visite pas mal, et j'ai donc besoin d'avoir des traces). J'ai le souci d'être discret et respectueux des oeuvres et n'utilise en conséquence jamais le flash (plus particulièrement quand il s'agit de peinture) et c'est la raison pour la quelle mes photographies sont parfois bougées (par manque de lumière).
Béat, je vois, dans votre commentaire, que mes mauvaises photographies ont quand même réussi a rendre le travail de Sophie Ristelhueber plus intéressant que vous ne l'aviez perçu à l'occasion de votre visite... J'ai d'autres clichés mal foutus que je m'apprête encore à mettre en ligne !
Commentaire n°3 posté par holbein le 22/07/2006 à 10h09

Oui, j'ai peut-être une déformation professionnelle qui fait que les défauts techniques des photos me sautent aux yeux. (Un peu comme un dentiste qui ne peut s'empêcher de faire une rapide analyse de l'état bucco-dentaire de chaque personne rencontrée.) Mais ne croyez pas pour autant que je ne vois pas l'essentiel, c'est à dire le contenu véritable des images. La preuve: j'ai bien apprécié cette mise à plat que vous avez opérée.

Vous avez la franchise de publier des pages de votre bloc-notes telles qu'elles. Moi je ne sais pas faire cela, je suis obligé de les recopier avec une plume neuve sur une feuille de papier blanche. Je n'ai par contre rien à reprocher aux qualités techniques des photos de S.Riestelhuber qui me paraîssent tout à fait en concordance avec le travail qu'elle a fait.

Je me réjouis sincèrement de voir les autres «clichés mal foutus» que vous avez en réserve. Puissent-ils nous apporter autant de révélations que les derniers! Et cette fois, promis, je ne dirai plus rien sur la technique.
Commentaire n°4 posté par Béat le 22/07/2006 à 16h02
Arg... je fais des recherches sur Depardon pour le boulot et via google je tombe sur ton site ; je me disais bien que j'avais déjà lu ce texte ;-) bon, je m'y remet (à bosser, si ! si !)
Commentaire n°5 posté par laurence le 11/01/2007 à 16h49
Ouais, Google et moi, on est des côpains, tu savais pas ? ;-)))
Commentaire n°6 posté par holbein le 11/01/2007 à 16h58

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