Igor Kostine, Tchernobyl corps et paysage |
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L'enterrement d'un village. Igor Kostine - dont on peut voir l'ombre en bas à droite- prend en photo la destruction d'un village évacué. Selon la technique préconisée, le bulldozer creusait d'abord une fosse géante devant la maison, puis la poussait dedans et la recouvrait de terre. C'est ainsi que des villages entiers ont été enterrés. | ||
Au tout début, on avait estimé que, certaines zones étant trop contaminées, on utiliserait des robots. On avait notamment envoyé sur le toit de la centrale un robot allemand très perfectionné. Mais il a refusé d’obéir, la radioactivité perturbant même les machines. Puis il a roulé vers le bord du toit, et il s’est précipité dans le vide. On aurait dit qu’il avait sauté. C’est comme cela qu’on a découvert que ni les robots, ni les ordinateurs ne pouvaient plus rien pour nous. Juste après les premières évacuations, les campagnes se peuplent de chiens et de chats abandonnés. Les gens n’ont pas eu le droit de les emmener avec eux car les poils s’imprègnent de poussières radioactives. Alors ils errent, vont dans les endroits les plus contaminés et deviennent radioactifs. Dans les régiments, on a fait passer la consigne aux soldats : ne surtout pas prendre un chat dans ses bras. On en meurt. On peut mourir d’un chat qu’on a pris dans ses bras. L’ordre est donné de constituer des brigades de chasseurs, et de tuer ces animaux. Au bout de quelques jours, il y a des centaines de cadavres de chiens et de chats, partout, dans les rues des villes abandonnées et dans les bois. Les brigands patrouillent en colonne, leurs coups de feu résonnent en permanence. C’est facile de les tuer, ils courent vers les soldats, tout contents d’entendre des voix humaines. Il suffit de prendre le temps de bien viser… Puis d’autres brigades sont chargées de ramasser et de brûler les cadavres. Parfois, on en aperçoit un qui s’enfuit à toute vitesse. On n’a pas le temps de tirer. On croise le regard de l’animal. C’est terrible. Les nerfs lâchent d’un coup. A Tchernobyl, on a pensé à sauver l’homme, d’abord. Pour la nature et les animaux, on s’est contenté de solutions plus simples et plus radicales. Le fusil pour les chiens et les chats, la pelle et le bulldozer pour la nature. Nos seules armes pour combattre la radioactivité. |
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Références : TCHERNOBYL, Confessions d'un reporter, Igor Kostine. Éditions des Arènes, 2006, p 49. | ||
photographies : ©Igor Kostine/Corbis. |
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liens * Éditions des Arènes, le livre * photographies extraites de l'album * autres photographies de l'album Commentaires |
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Blanc sur noir de circonstance :
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« La possibilité de voir la terre livrée à l’uranium est évidemment de nature à justifier quelque réaction générale. Et il est étrange, dans le malaise où nous sommes entrés, que la voix humaine, jadis puissante si elle appelait à la guerre sainte (à la conquête, à la croisade, à la guerre de religion) ou à la révolution, n’ait plus l’ombre de vertu pour la raison la plus frappante qui fut jamais. Les leaders des partis les plus impuissants trouvent des échos. Mais l’on ne voit pas naître ce soulèvement qui répondrait autrement que par des phrases au souci grave du monde actuel »
George Bataille, « A propos de récits d’habitants d’Hiroshima », Œuvres complètes, tome 11, p. 174.
Je suis très sensible à la citation que tu fais de G.Bataille
Oui, indispensable ce texte de Bataille. il donne une explication pour notre indifférence, qui me paraît hélas assez plausible : l'éloignement - pas slmt géographique - du monde nippon par rapport au monde occidental. Les bombes d'Hiroshima et de Nagazaki offrent du coup davantage à la réflexion (bombe + puissante que 20000 tonnes de TNT) qu'à la sensibilité, aussi parce qu'il existe très peu de récits traduits de survivants d''H. et de N, qui apporteraient une représentation "sensible" de ce larguage de bombes. Le sens humain de l'événement, c'est la réfléxion d'une des victimes, contemplant Hiroshima et se demandant "comment une destruction aussi étendue pouvait être sortie d'un ciel silencieux. même très hauts, l'on aurait dû entendre un petit nombre d'avions".
Bataille écrit aussi : "la fission de l'Uranium est un projet dont le but est, par la peur, d'imposer la volonté de celui qui la provoque. En même temps, elle rend impossibles les projets de ceux qu'elle frappe."
Mais tout cela nous éloigne de la photographie...