lundi 8 mai 2006

Ultra peau



Palais de Tokyo, jusqu'au 21 juin 2006


La peau partage avec le cerveau une même origine, l'origine embryologique. Au commencement de la vie la première cellule se démultiplie. Elle va se séparer en feuillets. Un de ces trois feuillets, l'ectoblaste donne à la fois la peau et le système nerveux. La peau se comporte comme un cerveau périphérique étalé, chargée de renseigner le cerveau principal. La peau capte, le cerveau analyse ; ils sont en ce sens inséparables pour la vie.

Cette entrée si singulière, affichée quelque part dans l'exposition, donne une dimension particulière à quelque chose qui nous est familier, quelque chose que nous connaissons depuis toujours et qui pourtant reste si énigmatique : la peau, notre habit de tous les jours.

Une exposition intitulée Ultra peau, voyage sensoriel s'ouvre au Palais de Tokyo, à Paris.
La scénographie de l
'exposition est en effet conçue comme une sorte de voyage, comme un itinéraire jusque dans le plan fléché qui accompagne le visiteur. Nous entrons dans un espace sombre, tout en rondeur qui surprend par la douce odeur de crème corporelle qui l'envahit. Cet espace est tendu de voiles qui organisent d'autres espaces plus petits, plus confidentiels, selon des cellules rondes également. Le principe qui préside à la scénographie de cette exposition relève du souci d'accompagner le visiteur dans le registre des sens auxquels la peau est intimement liée. Le son, souvent enveloppant, n'est pas étranger à ce principe.

De grandes photographies numériques de Nicole Tra Ba Vang accueillent le visiteur à l
'entresol que l'escalier central accompagne, nous menant à l'épicentre de l'exposition ; puis des cellules thématiques sont disposées à la manière de satellites autour de cet escalier (révélation, la peau sensationnelle, codes et langages de peau, la peau émotionnelle, collection objets de peau, etc.) . Tout le long des parois de ce vaste espace, des niches percées d'oculus sont aménagées afin de présenter des photographies à différentes hauteurs.
Enfin, en décrochement, nous accédons par un étroit passage (une coque sensorielle) à une grande salle plongée dans un noir complet, intitulée reflets de peau. Cet espace est le plus magique, je pense. Alors, brisons l'itinéraire proposé et commençons par cette installation. Ce que j'ai fait. Pour y accéder nous devons écarter un voile et pénétrer dans cette coque sensorielle (voir illustration ci-contre) qui nous amène symboliquement à une sorte de naissance, ou plus précisément, qui nous amène à rejouer une naissance aboutissant à un lieu vaste, rond et plongé dans l'obscurité. Au centre de ce lieu trône un immense et épais tapis matelassé survelevé, rond lui-aussi, surmonté d'un large écran, en léger plan incliné.
Ce dispositif permet de bien apprécier ce que présente cette installation En effet le visiteur est véritablement enveloppé par ce qu'il voit et ressent, telle sa propre peau, car pour participer au bon fonctionnement de cette oeuvre, nous sommes conviés à nous allonger sur ces coussins, sous l'écran et à regarder les images qui sont projetées seulement à quelques dizaines de centimètres de nos yeux.
La position est inhabituelle, l'espace plongé dans le noir ne permet plus d
'avoir des repaires véritables, l'espace de projection n'est plus cadré étant donné la proximité qu'il entretient avec notre regard, les sons sont enveloppants et enfin, les images relèvent d'un univers très poétique et font appel à la sphère des sensations. Les petits films qui sont projetés sont courts (1'30 en moyenne) et ont été commandés à d'anciens résidents du Pavillon de l'unité pédagogique du Palais de Tokyo. On leur demandait de réagir au thème de l'exposition, chacun exprimant une vision particulière liée à la perception qu'ils avaient de la peau.
Une installation très différente est présentée dans la cellule intitulée Révélation. Cette pièce est signée par un jeune artiste, Marc-Antoine Léval et fonctionne à partir de la lumière noire. Des néons sont placés au centre d'un dispositif haut et circulaire. Toute la pièce étant baignée de bleu. Des encres et tampons encreurs spéciaux sont à disposition et permettent de se "tatouer" le corps (au moins les mains) à l'aide d'un produit qui ne laisse une trace visible qu'en présence de ces néons. Nous avons la surprise de ne plus rien voir sur notre main lorsque nous sortons de cet espace clos. Les traces sur la peau deviennent absentes. Pourtant nous sommes sûrs qu'elles existent. Nos yeux sont incapables de les voir. Est-ce la manifestation de l'idée que notre peau se souvient de tout? Même de ce que nous ne voyons plus.

Un certain nombre de travaux d' élèves de l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Appliqués sont également présentés, regroupés dans la collection objets de peau et rassemblent des objets qui peuvent être utilitaires, fantaisistes, poétiques ou mystérieux comme cet écarteur de nombril de Betty Bullon.

Comme je l'ai dit, le monde olfactif n'est pas oublié : quelle est l'odeur d'une peau peureuse ? Celle d'une peau amoureuse ou bien celle d'une peau endormie ? Vous pourrez mettre votre nez dans une de ces fenêtres rondes tapissées de photographies d'artistes dans lesquelles ont été reconstituées ces odeurs ; et à vous de voir si
ces reconstitutions correspondent bien à votre expérience.

Une prise de position souvent marquée du sponsor de cette exposition nous fait néanmoins
découvrir de temps en temps d'assez belles choses : ce paysage étonnant n'est autre que la prise de vue agrandie de la vision microscopique d'une crème solaire étalée sur notre peau. Cette vision scientifique fait partie d'un corpus appartenant au laboratoire de recherche du sponsor et établit une distance énorme entre la peau véritable et sa représentation. En revanche certaines pièces font directement appel à nos sensations comme ces souffles d'air froids ou chauds qui sont là pour nous rappeler notre existence physique.
On peut également voir des murs qui respirent, des parois en braille ou encore des manifestations anarchiques de la nature comme cet individu recouvert de poils photographié par Gérard Rancinan.

Cette exposition est certes critiquable mais s'attaque à un champ assez ambitieux, et finalement relativement vierge. Je lui trouve l'avantage d'être à la source d'un certain nombre de questionnements du fait des entrées assez variées qu'elle propose. J'ai, à ce titre, été assez ébranlé d'apprendre que nous renouvelons notre peau tous les 28 jours jusqu'à l'âge de 28 ans. Après, cette mue s'opère tous les 32 jours puis tous les 34. Ainsi, à 40 ans nous avons déjà mué 500 fois.
J'entrevois là l'épaisseur d'un matériau artistique infini puisqu'il porte simultanément sur l'identité, le temps qui passe, le corps et sa matérialité, la perte, et bien d'autres choses encore. Et, à ma connaissance, ce matériau n'a jamais été utilisé.
On vous propose de continuer le voyage sensoriel en cliquant ici



Commentaires



Merci pour vos derniers billets écrits "chez" Lunettes Rouges.
Votre blog me permettra de découvrir, à votre manière, des univers de l'art contemporain qui ne me sont pas nécessairement familiers et d'autres encore, je suppose.
Bon vent et à bientôt.
Lylian
Commentaire n°1 posté par Lylian le 09/05/2006 à 18h17
Merci pour votre message. J'ai pensé à vous en visitant cette exposition car un masque originaire du Congo y est exposé : une forme très pure, très simple. J'ai hésité à mettre la photographie de ce bel objet dans mon billet, mais je vous l'envoie.
Commentaire n°2 posté par holbein le 09/05/2006 à 19h10

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