samedi 30 décembre 2006

Cabinet d'amateur et collections

Le cabinet d'amateur
l'art et les formes de l'art


«Plus de cent tableaux sont rassemblés sur cette seule toile, reproduits avec une fidélité et une méticulosité telles qu'il nous serait tout à fait possible de les décrire tous avec précision.»*


Je terminais, hier, en écrivant :

Mon intention, en commençant par la photographie d'une planche contact était aujourd'hui de parler de «la forme» de ces cabinets d'amateur. Cette forme plastique si particulière.
 Cette forme, qui est une manière d'organiser l'espace m'intéresse. Elle est oppressante mais exerce une fascination. Il n' y a aucune hiérarchie et néanmoins tout semble avoir une grande valeur. On imagine le travail, l'implication de chacun de ces peintres, isolé, chacun dans son atelier, face à des problèmes de peintres, et néanmoins, l'organisation générale des œuvres fait autorité. Cette organisation générale de l'espace où aucun des murs ne se voit plus, produit, d'une autre manière, une œuvre. Et cette œuvre, à son tour sert de modèle pour un tableau ; dans lequel pourrait apparaître ledit tableau du cabinet d'amateur... C'est l'effet «vache qui rit». Et c'est ce qui se produit, d'ailleurs dans le livre de Georges Perec :


«(...) et comment, enfin et surtout il (Heinrich Kürz, le peintre) avait doublement signifié l'importance esthétique de cette démarche réflexive sur sa situation de peintre, d'une part, en représentant au centre de la toile ce tableau même qu'on lui avait commandé (comme si Hermann Raffke, regardant sa collection, y voyait le tableau le représentant en train de regarder sa collection, ou plutôt comme si lui, Heinrich Kürz, peignant un tableau représentant une collection de tableaux, y voyait le tableau qu'il était en train de peindre, à la fois fin et commencement, tableau dans le tableau et tableau du tableau), «travail de miroir à l'infini où, comme dans les Ménines ou dans l'Auto-portrait de Rigaud conservé au musée de Perpignan, regardé et regardant ne cessent de s'affronter et de se confondre»; » **
 Mais si l'on revient au dispositif, le fait d'accumuler les toiles, sans hiérarchie, les collant les unes aux autres, du sol au plafond, renvoie à des pratiques d'accrochages liées à la fois à des conventions ainsi qu'à des époques particulières. Il suffit de regarder les représentations d'époque (comme cette peinture de F.C. Heim montrant le salon de 1824) ou des photographies d'expositions comme celle de la rétrospective Ingres de 1855 (à comparer avec celle qui s'est tenue en mai 2006 au Louvre) où toutes les œuvres sont accumulées.

 Les années 1970 puis 80 n'auraient pas permis, en Europe, un tel accrochage. A cette époque, dans certains musées d'art moderne ou contemporain confortablement dotés, une salle était dédiée à un tableau... La référence aux États-Unis, en liaison avec les pratiques épurées du minimalisme faisait autorité (cela ne faisait, d'ailleurs, que prolonger les conceptions du rapport à l'œuvre éprises d'un certain mysticisme, initiées par des peintres comme Mark Rothko ou Barnett Newman). En outre, si l'on voulait faire acte de modernité, la référence au XIXe siècle devait être écartée car ces pratiques d'accrochage à caractère inflationniste étaient très connotées.

 Alors, le fait d'empiler les œuvres relève-t-il
d'une pratique qui se soumettrait à  l'évidence, à la simplicité, relèverait-il d'un manque de réflexion, ou d'une certaine conception  de l'œuvre d'art liée à sa valeur marchande et en rapport à l'accumulation, ou au contraire d'une mise en scène, ou bien simplement d'un manque d'espace, ou  encore d'autre chose ?

Il y a, certes, chez les collectionneurs (exemple, chez Christo), l'empilement causé par le manque de place ou la quantité excessive (?) des pièces d'art accumulées. Mais des collectionneurs disposant de place, ont parfois choisi d'accrocher leurs œuvres d'une certaine manière, à l'instar du célèbre Barnes, par exemple.

Il est certain que des pratiques contemporaines comme celle d'Allan McCollum,(2) ou d'Araki (illustration de présentation) par exemple, s'approprient ce type d'accrochage qui met en œuvre une démarche d'artiste.
Mais il y a des pratiques encore plus délirantes...
Demain ( peut-être.)



Federico Fellini a utilisé ce «mur de peintures» dans son film «Casanova». On peut  le voir dans la scène de la «joute», au Palais de Lord Talou, l'ambassadeur d'Angleterre à Rome.
Federico Fellini , Casanova, photogramme
*  Un Cabinet d'Amateur, Éditions Balland, 1979, p 30 Georges PEREC
**
Un Cabinet d'Amateur, Éditions Balland, 1979, p 33 Georges PEREC

illustrations :
- exposition Moriyama, Shinjuku, Araki Exhibition
, (détail) - Tokyo Opera City Art Gallery ©Araki

- La grande rétrospective Ingres, 1855, in L'Aventure de l'art au XIXe s, Jean-Louis, Ferrier,
Éditions Chêne-Hachette, p 470
- Charles X distribuant des médailles au Salon de 1824,F.C Heim, Louvre
- Christo et
Jeanne-Claude, New-York,  in catalogue de l'exposition Collections d'artistes - collection Lambert, p 51, ACTES SUD, Avignon, 2001
- Accrochage à la Fondation du docteur 
Barnes in catalogue de l'exposition De Cézanne à Matisse Chefs-d'œuvres de la Fondation Barnes Musée d'Orsay,1993, p 17
- ©Allan McCollum, 240 Plaster Surrogates, askart.com- ©Allan McCollum, installation detail of The Recognizable Image Drawings from The Kansas and Missouri Topographical Model Donation Project,
lien Allan McCollum :
Barbara Krakow Gallery
- exposition Araki, (détail) ©Araki



Commentaires

Cette traversée à travers différentes collections et leurs modes d'accrochage ne manque pas d'intérêt. Il serait sympa d'y rajouter quelques exemples de cabinets de curiosité au XVIIe siècle par exemple.

Je retrouve bien l'esprit des collections du XIXe. Avec cette photo de celle d'un aïeul (collection Brocard) dont l'ensemble des tableaux ont été nationalisés en Russie après la révolution. Ci-joint une photo :

Si le lien directe vers la photo ne fonctionne pas, ci-joint le lien de la nouvelle où celle-ci est insérée :


Photo :



Commentaire n°1 posté par Bertrand le 03/01/2007 à 22h34
Sorry, je viens de voir dans un autre message de votre blog un bel exemple de cabinet de curiosité du XVIIe. : http://espace-holbein.over-blog.org/article-5045307-6.html
Commentaire n°2 posté par Bertrand le 03/01/2007 à 22h41
L'accrochage extrêmement dense correspondait à une vision plus "décorative" des oeuvres, qui devaient participer à un ensemble esthétique cohérent, souvent au service de mécènes dont le prestige se mesurait à la qualité, mais aussi au nombre de toiles possédées. L'accrochage minimaliste est beaucoup moins modeste : l'oeuvre est considérée seulement pour elle-même. Quoi qu'il en soit, je cours rechercher le livre de Perec, qui dort quelque part dans ma bibliothèque ...
Commentaire n°3 posté par Caroline le 06/01/2007 à 22h17

> Bertrand :  Très belle photographie. On retrouve le même schéma dans le dispositif de présentation et d’accrochage des oeuvres. C'est intéressant. Donc, il n'y a jamais rien eu d'écrit sur cette "saga" des parfumeurs français et leurs collections ?

> Caroline : la dimension décorative de tels accrochages est indéniable. Elle est effectivement doublée de la volonté de montrer son capital, l'étendue de ses richesses car une collection ne vaut que par son exhaustivité, la rareté des pièces qui la composent et l'étendue en nombre desdites pièces. Mais ce qui relève de  la mode dans la façon d'installer les oeuvres pour qu'elles soient (bien ? ) vues est déterminant puisque cette accumulation, on va la retrouver dans les expositions officielles comme cette rétrospective Ingres de 1855 dont j'ai mis une image dans le billet (et là, il ne s'agit pas d'une collection mais d'une exposition).
Est-ce qu'il ne serait pas légitime de considérer qu’il y a  une certaine vanité dans l’accrochage du type “un espace/une oeuvre” ?…même si on a plaisir à admirer isolément telle toile, sculpture ou installation. Notons qu’il en va autrement du cinéma!
Commentaire n°4 posté par espace-holbein le 07/01/2007 à 11h26

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