lundi 11 décembre 2006

Yves KLEIN exposition

Yves Klein
retour sur exposition
 Après avoir passé le peigne fin sur une partie de l'oeuvre et de la vie d'Yves Klein,  à l'occasion des dix billets publiés ici-même  du 11 au 20 octobre 2006,  je suis retourné visiter la rétrospective de l'artiste au  Centre Pompidou. A nouveau, j'y ai passé beaucoup de temps afin de m'imprégner de l'oeuvre.
Cette valeur de «l'imprégnation» constitue, en l'occurence, une donnée fondamentale dans les conceptions de Klein (il serait intéressant, d'ailleurs, de s'attarder sur la notion d'«imprégnation» qui s'apparente à la dimension mystique de la relation que l'on peut entretenir à l'oeuvre d'art, en général).

 L'exposition qui est actuellement montrée au Centre Pompidou est réellement un modèle : l'artiste est mis en valeur et la présentation qui est faite à la fois de
son oeuvre et de sa vie (les deux étant indissociables) confirme la renommée internationale qui est la sienne. La muséographie est soignée, les espaces sont parfois vastes, somptueux lorsqu'il s'agit de montrer les monochromes, par exemple, mais peuvent également devenir discrets, intimes et relever de la sphère de la sensibilité, si chère à l'artiste. La manière de mettre une oeuvre, souvent difficile, à la portée de tous relève également du modèle.
 Mais cette exposition est aussi un modèle de séduction. Et peut-être au mauvais sens du terme car l'oeuvre présentée est tout imprégnée du personnage (le dessein d'Yves Klein étant de faire de sa vie l'oeuvre, on pourrait même dire sans excès que l'oeuvre est le personnage) et ce personnage d'Yves Klein n'a pas que des côtés reluisants.
Les conceptions d'Yves Klein sont fondées sur des élans mystiques, la plupart du temps très glauques et parfois inquiétants (d'autres artistes en ont également fait l'expérience, mais de manière beaucoup plus ouverte et généreuse). Le vocabulaire qu'il utilise, les idées qu'il lance, le mode incantatoire de sa parole, en portent les traces.  Il faut avoir en mémoire, tout de même, que  sa conception de l'art (et de la vie) est fondée très tôt, dès l'âge de dix-neuf ans, sur la lecture d'un ouvrage unique, celui de Max Heindel,  La Cosmogonie des Rose-Croix, qui est, comme le rappelle  Harry Bellet dans le quotidien Le Monde * du 07 10 06 ,  «une doctrine nébuleuse dont l'origine remonte au XVIIe siècle et qui était en vogue dans les milieux artistiques européens aux XIXe et XXe siècles.» ; Harry Bellet ajoute que «Klein sera d'ailleurs membre de la société des Rose-Croix d'Oceanside (Californie) de 1948 à 1953.» Son admiration pour les théories irrationnelles de la Société des Rose-Croix laissera une empreinte indélébile sur toute sa vie. Certes le terreau était fertile.
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 En effet, Yves Klein va grandir dans une famille très catholique dans laquelle la pratique assidue et engagée fait partie des usages, mais le passage qu'il fera dans le monde des rosicruciens le fera basculer définitivement dans l'irrationnel. Les propos qu'il tiendra à plusieurs reprises sur le fait que «la terre est plate et carrée» laissent songeur... Iris Clert, sa galeriste, parlera de lui comme d'un «être habité» et d'un «poète de l'irrationnel». (Yves Klein, catalogue d'exposition 1983, p259).
Bien plus tard, Klein cherchera une caution auprès du philosophe Gaston Bachelard. Il se gargarisera de cette fameuse phrase, qu'il répètera à l'envi, extraite de l'Air et les songes et tirée du chapitre intitulé "le ciel bleu" : «(...) d'abord il n'y a rien, puis un rien profond, ensuite il y a une profondeur absolue.»  On comprend immédiatement ce qui fait écho et Klein va tenter d'instrumentaliser la réflexion du philosophe car ce qui résonne au-delà des mots, c'est bien les théories véhiculées dans La Cosmogonie des Rose-Croix de Max Heindel. Thomas Mc Evilley écrit «Klein se rendit compte que, lorsqu'il revendiquait l'influence de Bachelard, on le prenait davantage au sérieux que lorsqu'il se présentait comme un disciple de Heindel.» (Yves Klein, catalogue d'exposition, 1983, p242).  Il essaya donc de se définir comme disciple de Bachelard, sans toutefois trop comprendre sa pensée, au point de lui rendre visite en 1961 pour lui expliquer qu'il était une espèce de «cryptocrosicrucien». Bachelard le congédia froidement pensant qu'il était «complétement fou».
 Yves Klein n'était pas un intellectuel, même s'il a écrit  beaucoup. Son intelligence était intuitive et il réagissait vivement, ce qui fit qu'il eut toutes les audaces et  qu'il devint, entre autre, un excellent judoka...
Son intelligence aura été précisément de mettre en oeuvre un «tout», réunissant l'esprit, le corps et la sensiblité au service d'une recherche de nouvelles formes artistiques. Il fut, en effet, un des précurseurs du body-art, de la performance, de l'art conceptuel sans parler des pratiques liées directement à la peinture.
Malheureusement son côté mégalomane l'a entraîné dans des aventures très discutables : les rituels spectaculaires à connotation mystique, l'utilisation de pratiques et de théories quasiment magiques utilisant les éléments comme le feu, à forte connotation païenne et purificatrice, le prosélytisme dont il usa lui donnèrent l'étoffe d'une sorte de gourou.
La compréhension des caractéristiques psychologiques du personnage se révèle très utile dans l'approche de l'oeuvre car  Klein est quelqu'un qui fonctionne très affectivement : enfant, il fut indiscipliné et ce trait de caractère, il le conservera toujours.
Le souhait constant que l'on parle de lui,  le désir d'exister devant les autres, le besoin pressant, sans répit,  de reconnaissance guideront son oeuvre. En ce sens, ceux qui l'entourent seront tout le temps des exécutants, des êtres qui seront voués à exister en fonction de sa conception du monde. Il restera le Grand Ordonnateur des rituels, et peut-être tout simplement du Rituel de sa vie.
Au cours de sa courte carrière, les rituels seront nombreux dans sa quête de notoriété. Un épisode fameux concerne la célèbre conférence de la Sorbonne du 3 juin 1959 (un certain nombre d'extraits sonores sont présentés dans l'exposition). Lorsqu'on l'écoute, on ne sait jamais si on est dans l'énoncé d'une pensée ou bien dans le désir de reconnaissance par le rire (de l'auditoire...). Ce personnage de l'histrion qu'il incarne dans cette conférence de la Sorbonne est finalement assez  pathétique car il oscille sans cesse entre un désir véritable de convaincre et un autre désir, celui de séduire l'assistance par les rires qu'il provoque mais qui doivent le blesser.
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Les traits de sa personnalité, ses convictions, ses actes et ses comportements m'ont toujours inspiré la plus grande méfiance. Il a toujours défendu certaines valeurs comme l'authenticité et de la pureté qui comptent parmi celles qui ont fait le plus de dégâts dans l'Histoire.
L'authenticité : j'ai raconté l'épisode du Saut dans le vide...
La pureté : l'exposition du Vide chez Iris Clert en est une manifestation, au sujet de laquelle il faut rappeler une anecdote : le jour du vernissage, la galerie, absolument vide, aux murs blancs immaculés, était protégée par des gardes républicains en uniforme. Il prit l'envie à un invité de laisser une trace au crayon sur un des murs. Klein demanda immédiatement au service d'ordre de «s'emparer du perturbateur et de le jeter dehors avec violence»
Est-ce le prix à payer pour maintenir la «pureté» ?
La radicalité de l'acte artistique n'aurait pas dû s'embarrasser de compromissions de ce type ; elle était déjà contenue dans les magnifiques monochromes IKB. Peut-être bien qu'Yves Klein aurait dû s'arrêter là comme l'on fait Mark Rothko ou encore Ad Reinhardt avec les ultimate paintings.
 Pour conclure, je dirais que  certains pans de l'oeuvre d'Yves Klein sont admirables  mais que je  reste  extrêmement réservé, voire très critique, à l'égard, non seulement des conceptions artistiques qu'il a développées, mais également à l'égard de ce qu'il représente comme modèle de recherche d'émancipation à travers l'art.

- il a pas avancé un peu, là ?
- non, j'crois pas. Tu déconnes...
- à moins que ce soit moi.

nota bene : t'as dû remarquer, lecteur, que la photographie d'Yves, quand il fait son saut dans le vide :
- 1° : y a un vélo qui passe derrière, et le type s'en fout.
- 2° : la photographie est dans l'expo, et y a pas le vélo !
* article du quotidien Le Monde du 07.10.06
photographies (couleurs) de l'auteur.
pour les deux dernières (noir/blanc) : celle de gauche Harry Shunk (détail de Saut, etc.) et celle de droite...écoute, t'as qu'à te forcer un peu.

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