Raymond Roussel, une machine formidable dépeindre |
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«Soudain un léger frisson agita, en face du chevalet, le bras automatique (...) Le bras se tendait lentement vers la palette, pendant que la roue horizontale et sans jante créée à son extrémité par l'étoile des pinceaux, s'élevait (...) Les deux mouvements combinés conduisirent la pointe d'un des pinceaux sur une épaisse provision de couleur (...) Le bras pivota doucement et s'arrêta en haut, devant l'angle gauche de la toile soudée au chevalet. Aussitôt le pinceau imprégné de nuance délicate traça automatiquement sur le bord du futur tableau une bande de ciel mince et verticale. Bientôt, plusieurs couleurs primitives, mélangées à une autre portion de la palette, composèrent une teinte (...) qui, transposée sur le tableau, continua le ruban vertical déjà commencé».
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Une grande partie de l'œuvre de Raymond ROUSSEL renvoie dans l'esprit, sinon dans la forme, à l'invention de tableaux imaginés (La Vue, Le Concert, La Source, les visions des lorgnettes-pendeloques que devaient contenir les Nouvelles Impressions d'Afrique...) Mais plus précisément, dans Impressions d'Afrique, l'auteur met en place une très curieuse mécanique qu'il emploie aux fins de lui faire réaliser un tableau. Le roman qui narre les aventures d'un groupe de voyageurs au sein d'une Afrique de fiction, donne avec précisions les détails de nombreuses inventions qui jalonnent le récit et, entre autres, celle de Louise Montalescot : une «machine à peindre». L'auteur décrit avec la minutie qu'on lui connaît l'appareil compliqué fait de chevalets, de trépieds, de fils conducteurs d'énergie, d'accessoires, d'armatures, d'une palette préparée par avance, les couleurs, par tas isolés, rangées en demi-cercle, d'un lourd coffret dont le couvercle vitré laissait voir plusieurs piles rangées côte à côte, d'une plaque épaisse protégée par un couvercle de métal, d'une grande sphère de métal munie horizontalement d'une sorte de bras pivotant et articulé dont l'extrémité, dirigé vers la palette, porte une dizaine de pinceaux pareils aux rayons d'une roue renversée à plat, enfin, d'une toile neuve, bien tendue sur son cadre intérieur. Quant au sujet du tableau, outre que Roussel ne nous dit qu'il fût peint «avec une merveilleuse sûreté», il n'en parle que fort peu en rapport avec ce qu'il nous dit de la machine et de son fonctionnement. En vérité Raymond ROUSSEL ne dit mot de l'œuvre achevée : il nous donne à connaître le sujet que va peindre la machine mais ne dévoile rien de la toile terminée et de sa qualité. Nous savons seulement que l'appareil est placé devant un paysage où se trouvent les grands arbres de Béhuliphruen, jardin splendide aux essences magnifiques et rares, quand le jour se lève, et que les lueurs de l'aurore créent au travers des feuillages une multitude de teintes variées.
Laurent BUSINEtexte extrait de : {Des pinacothèques imaginaires} Revue DITS N°7, automne-hiver 2006, p85
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Illustration : Jean Ferry, La Machine à peindre de Raymond Roussel
[Dessin reproduit in : Jean Ferry, L'Afrique des Impressions, Paris, J.J. Pauvert, 1967, p100 ©D.R.] liens : * Impressions d'Afrique |
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