mercredi 13 décembre 2006

La Chambre rouge

La Chambre rouge
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 Nous étions en février, il faisait froid. Froid comme rarement à Paris. L’hôtel se trouvait à vingt minutes à pied de la gare du Nord, où je venais d’arriver. J’avais réservé ma chambre depuis chez moi et je m’y rendais.
Nous étions samedi après-midi et, dans les rues, il ne se passait rien. Seuls quelques salons de coiffure étaient ouverts. L’hôtel, bon marché,  se trouvait dans une rue latérale. J’espérais qu’il ne serait pas trop mal.
Après m’être enregistré, je montais au deuxième étage par un escalier sombre et lambrissé. Ma chambre donnait sur l’arrière. Je demande toujours des chambres sur l’arrière parce qu’elles sont plus calmes.

On n’entendait ni ne voyait personne. Des tapis qui avaient oublié jusqu’à leur couleur absorbaient les pas. Tout indiquait que l’hôtel avait une longue vie derrière lui et des régiments d’hôtes. Il n’avait pas été rénové depuis longtemps. On ne pouvait lui méconnaître un certain charme désuet. Années cinquante. Finalement c’était agréable. La chambre était dans une semi-obscurité. Des rideaux rouges tirés devant la fenêtre. Sur un grand lit double, un couvre-lit du même rouge. La surprise m’attendait au dessus du lit. Un grand, très grand tableau. J’ouvris les rideaux : vue sur une arrière-cour grise.

 Le tableau, d’environ un mètre cinquante de haut, touchait presque le plafond ; il représentait un nu de dos. Une femme assise sur quelque chose recouvert d’un tissu rouge. Sur la nuque tombaient les cheveux frisés roux et on ne voyait quasiment rien du visage. Image puissante. Belle, impressionnante, troublante, même si on ne pouvait juger de la facture. Ce n’était qu’une reproduction dans un cadre sombre. La chambre tout entière devint une partie du tableau. Les rideaux rouges, le couvre-lit rouge. Comme dans une mise en scène, réalisée pour cette femme. C’était impressionnant. En bas à droite du tableau, une signature  :  «Picabia».

 Le soir au lit. Le même calme. Un moment, j’entendis un jeune couple monter. Dans la chambre d’à côté, ils parlèrent, ils rirent et plaisantèrent. En français. Je ne comprenais pas un mot. Les cloisons étaient minces. Ils firent l’amour intensément. Puis, calme à nouveau. Une demi-heure plus tard, ils se disputèrent. Nerveusement. Pas facile de dormir. Avec cette femme rouge au dessus de moi.

De loin en loin, je repense à cette chambre, à ce tableau. Ce tableau dans cette chambre.

Hans-Peter FELDMANN
décembre 2001

catalogue de l'exposition Francis Picabia, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, 2002, p52

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